Des films de noms importants du cinéma mondial ont drainé la grande foule sur la Croisette. Quels sont les plus favoris pour figurer au palmarès de cette 75e édition. Le détail.
«J’espère que vous ne plaisantez pas et que je mérite vraiment vos applaudissements», a lancé, hier, amusé le réalisateur canadien David Cronenberg à la fin de la projection de son film «Crimes of the future», en lice pour la Palme d’or du 75e Festival de Cannes avec 20 autres longs-métrages.
Trois jours seulement nous séparent de la proclamation du palmarès et on peut d’ores et déjà se demander si «Crimes of the future» fera partie des films favoris. Certes, on comprend le doute qui s’est emparé de Cronenberg tant son film est difficile à digérer après toutes ses séquences déroulant la métamorphose du corps d’un célèbre artiste performer et ces horribles scènes d’ablation d’organes. C’est là, la manière du réalisateur de «Crash» de fouiller les corps et les âmes en proposant, dans ce «Crimes of the future» épisode 2, le premier ayant été réalisé en 1972. Cette même idée de la transformation du monde par la technologie, le nouveau sexe, les nouvelles maladies, la médecine et autres.Dans la droite ligne de «La mouche», «Faux semblants» et «Existenz», ce nouvel opus du genre science-fiction sculpte inlassablement la plastique ténébreuse de l’évolution humaine façon Cronenberg.Malgré l’accueil mitigé de la critique, ce film pourrait figurer au palmarès en raison de cette vision anticipative de l’humanité.
«Decision to leave», du Sud-Coréen Park Chan-Work, creuse le sillon entamé en 2016 avec «Mademoiselle» en proposant un cinéma moins brutal en nette opposition avec ses films précédents, dont «Lady Vengeance» et «Old Boy» qui a scandalisé la Croisette, en 2004 en raison de la violence horrifique qu’il véhicule.
Dans «Decision to leave», le réalisateur met en scène une enquête sur la mort d’un homme, survenue au sommet d’une montagne, le détective qui soupçonne la femme de la victime est déstabilisé par son attirance pour elle. Une histoire d’amour en mode thriller romantique où le réalisateur multiplie les retournements afin de maintenir l’intérêt du spectateur. En vain. Car, malgré les scènes hitchcokiennes, l’ennui submerge ce polar lyrique ponctué de stéréotypes. Ìl est peu probable de voir ces films figurer au palmarès !
Thriller, comédie et tragédie
Toutefois, d’autres films pourraient être primés, voire remporter la récompense suprême.Parmi les favoris, citons notamment : «Triangle of sadness» ou «Sans filtre», une comédie politique du Suédois Ruben Ostlund, détenteur de la Palme d’or, en 2017, pour «The Square» où il a enclenché son idée-force et son propos pétris d’humour et de sarcasmes consistant à critiquer, voire laminer, la société occidentale en se focalisant, chaque fois, sur un monde particulier, le monde de l’art contemporain dans «The square» et le monde de la mode, et du luxe dans ce nouvel opus où il force, encore davantage, le trait en dénonçant, grâce au rire et à la satire, le monde égoïste et cynique du capitalisme et des ultra-riches.
On peut citer, aussi, «La Femme de Tchaïkovski» du Russe Kirill Serebrennikov qui se focalise sur le personnage d’Antonina Milioukova, la femme du musicien russe, éperdument éprise de l’artiste, prête à tout pour briser son indifférence, mais le mariage ne fera que les désunir davantage.
Dans ce drame, le réalisateur met en scène avec maestria et de manière émouvante, dans la Russie du XIXe siècle, cette descente aux enfers des plus tragiques, entre frustrations et humiliation, d’une femme amoureuse.
Obsessionnellement amoureuse d’un homme attiré par les jeunes hommes, or, c’est justement ce déni de la réalité que dénonce le réalisateur en empruntant le chemin du grand cinéma, fond et forme confondus, avec en prime un fabuleux jeu d’acteurs Odin Biron (Tchaïkovsky) et Alena Mikhaïlova (Antonina). «RMN» est le dernier-né du Roumain Cristian Mungiu avec lequel il revient en compétition après l’attachant «4 mois, 3 semaines, 2 jours», Palme d’or en 2007. Poursuivant dans la voie du cinéma social, il situe l’action en Transylvanie, dans un village multiethnique, troublé par le recrutement d’ouvriers étrangers dans une entreprise locale.
La peur de l’autre, la haine, la xénophobie s’installent et sont dénoncées par le réalisateur qui, à travers cette communauté, fait un diagnostic de la Roumanie, voire de l’Europe, minée par la montée du nationalisme. «R.M.N.» en roumain veut dire «IRM», ou scanner, et c’est ce qu’entreprend le cinéaste en scannant la société roumaine d’aujourd’hui, embourbée dans la crise économique, les frustrations, le racisme, l’exclusion et l’intolérance car, malgré la mosaïque des ethnies dans ce village de Transylvanie, la fracture et la haine entre les différentes communautés sont profondément manifestes, ce qui est montré dans un plan magistral, plan séquence fixe de facture classique et entre éléments dramatiques et de thriller «R.M.N.» vient confirmer l’importance du cinéma de Mungiu, malgré un rythme parfois lent. Enfin, «Hi-Han» du grand cinéaste polonais Jerzy Skolimowski qui, à 84 ans, est de retour à Cannes avec une sixième sélection en compétition, a ému la croisette tant le héros du film, un âne qui, après avoir été libéré d’un cirque, par des activistes de la cause animale, s’est échappé en traversant le pays.
Dans son trip de la Pologne à l’Italie, l’animal sera confronté au monde fou et cruel des hommes.Le réalisateur de «Deep-end» et de «Travail au noir» attire, ici, l’attention sur les positions excessives de certains activistes qui, quoique mûs de bonnes intentions, agissent, parfois, de manière contre-productive.
En mettant en scène le périple d’un âne pour qui, le monde est un lieu mystérieux, le réalisateur affiche son point de vue, dans un festival visuel où triomphent la nature et l’innocence. De quoi mériter vraiment une récompense.