Kaïs Saïed a finalement décidé de rectifier le tir. Pour lui, il était indispensable de mieux expliquer sa vision de la nouvelle Constitution, mais la polémique enfle toujours au sujet du référendum.
A l’occasion de l’Aïd Al-Adha, le Chef de l’Etat s’est adressé aux Tunisiens dans la nuit du vendredi dernier. C’était également l’occasion de se prononcer sur le projet de la nouvelle Constitution en annonçant des modifications de «forme et de classement d’articles». Quelques heures plus tard, l’information est tombée au Jort, le Chef de l’Etat a procédé à de nombreuses modifications de la première version, certains estimant même qu’il s’agit d’une nouvelle mouture.
A vrai dire, Kaïs Saïed, suite à une pression exercée par pratiquement tous les partis politiques et les organisations nationales, a fini par céder en présentant une nouvelle version et en introduisant de nombreuses modifications à la première. Si le Chef de l’Etat a annoncé des modifications touchant la forme pour éviter un changement du calendrier référendaire et le lancement de nouveau de la campagne référendaire, finalement les constitutionnalistes évoquent des changements de fond.
En effet, Kaïs Saïed a fait publier, dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 juillet, une version amendée de son projet de nouvelle Constitution, qui doit être soumis à un référendum le 25 juillet.
Dans la nouvelle mouture publiée au Journal officiel vers minuit, Saïed a, principalement, modifié deux articles particulièrement controversés, l’un évoquant la place de l’islam en matière de référence de l’Etat et l’autre les droits et libertés, outre les erreurs d’orthographe. Pour lui, «il était nécessaire d’introduire ces modifications pour éviter les mauvaises interprétations».
Parmi les principales modifications, au nombre de 46, on note la suppression de «la restriction aux droits et libertés en rapport avec la protection des droits d’autrui et les bonnes mœurs».
Une modification majeure concerne aussi les élections législatives, elles deviennent désormais possibles pour les électeurs et les électrices en précisant le genre. Le Président de la République a procédé dans la nouvelle version à l’ajout d’une condition pour la candidature aux élections législatives portant sur «l’absence de tout empêchement prévu par le Code électoral».
Polémique autour de l’article 5
L’article 5 du projet de Constitution ayant fait grande polémique, qui traite de la mission de l’Etat à faire aboutir, seul, les fins de l’Islam, a subi également une modification. Selon la nouvelle version de la Constitution, le Président a introduit la mention «au sein d’un système démocratique» dans la phrase affirmant que la Tunisie «fait partie de la nation islamique» et que «l’État doit travailler pour atteindre les objectifs de l’islam».
Mais ces changements peuvent-ils enrayer la polémique ? Sont-ils assez profonds au point de pouvoir changer l’avis des électeurs ? Faut-il reprendre la campagne référendaire puisque des articles de fond ont été changés et que certains participants auraient changé d’avis ? Tant de questions qui se posent alors que jusqu’à la rédaction de ces lignes, l’Instance électorale maintient le silence.
C’est dans ce contexte que la professeure de droit constitutionnel Salsabil Klibi a estimé qu’il s’agit de tout un nouveau projet de Constitution. «Le texte qui a été publié dans le Journal officiel introduit des modifications importantes. Il s’agit d’un projet sans aucun support juridique, mais il n’y a pas de réaction de la part de l’Instance supérieure indépendante pour les élections», a-t-elle expliqué appelant au report du référendum.
Sur la même longueur d’onde, l’ancien juge administratif Ahmed Souab a affirmé que la modification du projet de la nouvelle constitution soumis au référendum peut être considérée comme étant la présentation d’un nouveau projet. «Des modifications majeures y ont été introduites, ceux qui participent à la campagne référendaire peuvent changer d’avis», a-t-il estimé, appelant également au report du référendum.
Sur le plan politique, ces modifications n’ont pas calmé l’opposition ayant commencé il y a presque un an, au projet présidentiel. Lors d’une conférence de presse tenue hier lundi, Ahmed Nejib Chebbi, leader du Front du salut, s’est opposé à la nouvelle manœuvre du Président de la République estimant qu’elle n’aura aucun impact sur les choix des Tunisiens «qui ont déjà exprimé leur refus vis-à-vis de ce projet de Constitution». Il a même estimé que le Président de la République est en train d’exploiter les appareils de l’Etat au bénéfice de son propre projet.
Le parti Afek Tounes a dénoncé, dans un communiqué, ce qu’il a qualifié de «multiples infractions à la loi électorale depuis le début de la campagne référendaire à la date du 3 juillet 2022». Le parti a affirmé que la modification du texte soumis au référendum durant la campagne «représente une violation claire de la loi en opposition à tous les standards en matière électorale».
Pour sa part, la Coalition Soumoud a jugé ces modifications de «positifs» mais a estimé d’insuffisants les amendements apportés au projet de Constitution soumis à référendum. Les lacunes persistent encore dans le nouveau texte, estime la Coalition qui appelle à voter non pour ce projet. Dans une déclaration publiée à l’issue de la réunion de son instance nationale, Soumoud considère que les amendements, au nombre de 46 ont dépassé les erreurs de forme pour englober de profonds changements au niveau de certains articles.
Pour le bâtonnier Brahim Bouderbala, ces changements n’ont pas concerné le fond du projet de la Constitution, il a dans ce sens, et dans des déclarations médiatiques, appelé les Tunisiens à voter pour la nouvelle Constitution, dans une tentative de bâtir «une nouvelle Tunisie». «Notre pays a besoin d’une stabilité politique pour adopter les nouvelles réformes et faire face à la détérioration de la situation économique», a-t-il encore dit.