Manifestations, événements, festivals… les journalistes ne sont pas épargnés. Ils sont pris pour cible là où ils sont, accusés simplement de vouloir exercer leur métier. La liberté de la presse et la protection des journalistes sont-elles menacées en Tunisie ?
• Mehdi Jelassi, président du Snjt : «Cette hémorragie doit cesser immédiatement, sinon la Tunisie paiera cher ses politiques improvisées et conflictuelles»
Dans certains festivals et alors que les journalistes et les spécialistes de l’information étaient en train de couvrir les activités culturelles, ils ont subi des intimidations et même des agressions, notamment de la part des forces de l’ordre. Une situation qui les empêche d’exercer convenablement leur travail.
Le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) hausse le ton, pour lui, ces agressions ne font qu’accentuer les menaces contre les journalistes et contre la liberté d’expression. Dimanche dernier, au festival de Sfax et en marge des incidents qui ont marqué le spectacle de l’humoriste Lotfi Abdelli, des journalistes ont été agressés par les forces de l’ordre.
Selon les témoignages de nos consœurs et confrères, certains journalistes voulant couvrir ces incidents ont été verbalement et même physiquement agressés par des forces de l’ordre en tenue civile. Le Snjt recense, en particulier, les violences ayant visé les journalistes et photographes, présents lors du spectacle de Lotfi Abdelli qui ont tenté de couvrir ces incidents. «Des journalistes ont reçu des messages d’insultes à cause du soutien qu’ils ont manifesté à leurs collègues», ajoute la même source.
D’autre part, le syndicat déplore également les campagnes orchestrées par certains partis politiques visant des journalistes sur les réseaux sociaux. Il évoque en particulier la campagne de diffamation qui a ciblé la journaliste Wissal Kasraoui «par des pages suspectes sur les réseaux sociaux, de la part de responsables au ministère des Affaires sociales ainsi que par des soutiens de Kaïs Saïed».
Une menace à la liberté d’expression ?
Depuis les derniers rebondissements politiques, le Snjt fait état d’une nette régression de la liberté d’expression en Tunisie. Le syndicat note que ce sont les journalistes de terrain qui subissent de plein fouet ces intimidations et ces agressions, notamment durant les manifestations de nature politique.
On rappelle également que durant le référendum, des journalistes et des photographes ont été empêchés de faire leur travail dans de bonnes conditions. En juillet dernier, en marge d’une manifestation, le président du Snjt n’a pas été épargné. Il a été lui-même agressé par la police et il avait été transporté à l’hôpital.
Pour lui, cette situation d’absence de protection des journalistes ne peut pas continuer. Il accuse même une stratégie visant à faire taire les journalistes. «Cela peut conduire le pays vers la division, la guerre, la tyrannie et l’oppression. Cette hémorragie doit cesser immédiatement, sinon la Tunisie paiera cher ses politiques improvisées et conflictuelles», a-t-il dénoncé.
Seulement en juin dernier, le nombre de journalistes agressés physiquement a atteint vingt-deux. Les policiers sont les premiers à s’en prendre aux journalistes, suivis des agents publics, des députés et des responsables du gouvernement. Les agressions ont été commises contre 22 journalistes (16 hommes et 6 femmes) opérant dans 15 médias publics et privés.
Contactée par La Presse, l’Unité de monitoring du Snjt qui se charge d’élaborer des rapports quotidiens sur l’agression des journalistes, dénonce la poursuite de la violence contre ces professionnels, mettant en garde contre «des actes d’agression plus importante sur la Toile et les réseaux sociaux».
Penser de nouveaux rapports ?
En Tunisie, depuis 2011, une nouvelle relation entre la presse et la police est en construction. Si durant les premières années post-révolution les menaces et les risques étaient si importants, progressivement la situation s’est améliorée. Sauf que ces dernières années ces rapports ont été marqués par un regain de tension qui monte au moindre incident. Penser de nouveaux rapports entre journalistes et sécuritaires s’annonce donc nécessaire. Si les journalistes ont le droit de rassembler des informations et la police doit les protéger de toute ingérence illicite, notamment lors de manifestations, de nouveaux mécanismes de protection de ces professionnels font actuellement défaut. Sauf que ces relations ont plusieurs facettes: les policiers comme sources d’information, les policiers comme forces de surveillance des journalistes, mais aussi des journalistes se prenant pour des policiers de la vérité.