Par Hakim Ben Hammouda
Ancien ministre des Finances
Directeur Global Institute 4 Transition
Depuis deux ans, les grands dangers et les grandes crises se sont succédé et ont contribué à l’instabilité croissante de notre monde et à la montée des peurs et des inquiétudes. La première grande crise était sanitaire avec la pandémie du Covid-19 qui a constitué, tout au long des deux dernières années, le plus grand défi à l’humanité depuis plus d’un siècle. Et, si la découverte des vaccins et la mise en place de grandes campagnes de vaccination ont permis de réduire le danger du virus et la rapidité de sa transmission, l’humanité n’en a pas encore fini avec ce virus particulièrement suite à ses mutations qui vont constituer un danger permanent selon l’Organisation mondiale de la santé.
Avec le recul du danger de la pandémie, une nouvelle source d’instabilité de l’ordre global a fait son apparition avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 qui représente un important défi pour la paix mondiale. Cette guerre est venue nous rappeler les sombres heures de la guerre froide et le danger sans précédent qu’elle a constitué pour la stabilité mondiale. Cette guerre a été à l’origine de la montée des tensions entre la Russie d’un côté et l’Ukraine de l’autre, incluant ses alliés avec les Etats-Unis, l’Europe et bien d’autres pays. Parallèlement à ces effets militaires et politiques, cette guerre aura des conséquences financières et politiques sans précédent dans la mesure où elle va jouer un rôle majeur dans la déstabilisation des grands marchés mondiaux. Leur déséquilibre contribuera à la situation de rareté que traverse l’économie mondiale : une hausse des prix et la résurgence de l’inflation après des années de recul.
Mais les tensions politiques ne vont pas s’arrêter à la guerre entre la Russie et l’Ukraine mais vont se prolonger avec les dangers liés aux affrontements entre les Etats-Unis et la Chine à cause de Taïwan. Parallèlement aux grands dangers sanitaires, politiques et militaires, notre monde traverse aujourd’hui une nouvelle zone de turbulence avec l’apparition de la stagflation qui constitue une nouvelle menace pour l’économie mondiale et la stabilité des pays. La stagflation qui est la rencontre de deux grandes difficultés économiques, notamment la croissance faible et l’inflation, constitue aujourd’hui un grand sujet de préoccupation pour les pays comme pour les grandes institutions internationales. En effet, ce phénomène a été à l’origine de la montée des tensions sociales qui devraient se renforcer au cours des prochains mois et qui vont constituer un véritable danger pour la stabilité politique des pays. Et, si les pays développés ont rapidement mis en place des programmes de soutien aux familles les plus démunies et au pouvoir d’achat, les pays en développement ont les plus grandes difficultés à faire face à ces tensions stagflationnistes et à réduire leur impact social. Mais, en dépit des politiques mises en place par un grand nombre de pays pour relancer les activités économiques et sortir de cette croissance molle et des tensions inflationnistes, la situation de l’économie mondiale reste précaire et fragile. Ainsi les derniers rapports des institutions internationales soulignent que ces tensions vont se poursuivre au cours des prochains mois. Dans cette note, nous allons effectuer une analyse critique des politiques monétaires restrictives mises en place dans la plupart des pays du monde par leurs banques centrales et leur capacité à sortir du «new normal» de l’économie mondiale.
La récession et l’inflation : un duo dangereux pour l’économie
Les rapports des grandes institutions internationales ont mis l’accent sur l’entrée de l’économie mondiale dans une nouvelle phase historique depuis la fin de 2021. Cette nouvelle phase est marquée par la concomitance de deux phénomènes économiques inquiétants qui sont l’inflation et la récession.
La plupart des rapports des institutions internationales ont également mis l’accent sur une seconde caractéristique de l’économie mondiale qui concerne le caractère global de la stagflation qui ne se limite pas à une région ou à un pays. Il s’agit d’un phénomène qui touche les pays développés et en développement qui souffrent de cette nouvelle crise dans la mesure où la marge de manœuvre des politiques fiscales est réduite et ne leur permet pas de venir en aide aux couches sociales les plus défavorisées.
La plupart de ces rapports indiquent le recul de la croissance mondiale au cours de l’année 2022 qui va baisser de 6,1% en 2021 à 3,6%. Ce recul de la croissance ne se limitera pas à une région déterminée mais sera un phénomène global qui touchera la plupart des régions du monde. Les pays développés vont perdre deux points de croissance entre 2021 et 2022. Ce recul sera encore plus marqué et serait de 3 points avec une baisse de 6,8% à 3,8% entre 2021 et 2022.
Parallèlement à la récession, l’économie mondiale va connaître une forte augmentation depuis la fin de 2021. Les pays développés ont connu des niveaux d’inflation qu’ils n’ont pas enregistrés depuis des décennies. Par exemple, le niveau a dépassé 8% aux Etats-Unis et a dépassé les 9% en Europe. Cette progression rapide de l’inflation constitue une rupture et un changement majeur dans la conjoncture de ces pays ce qui les a amenés à la mise en place de politiques monétaires expansionnistes pour relancer la croissance et parvenir à un taux d’inflation de 2% que les banques centrales avaient considéré comme un signe de bonne santé économique.
Le retour des tensions inflationnistes ne s’est pas limité aux pays développés mais les pays en développement sont également rentrés dans cette turbulence. Et si les chiffres des institutions internationales, et particulièrement ceux du FMI, indiquent que le taux d’inflation sera de 9% en 2022, la réalité de ce phénomène est beaucoup plus importante dans la plupart des pays où les prix ont connu une envolée sans précédent ce qui pèse lourdement sur leur stabilité politique.
Pour mettre l’accent sur les dangers de l’inflation et la difficulté d’y faire face par les politiques économiques, les économistes reviennent souvent à l’image qu’a donné l’ancien gouverneur de la BUBA, la Banque centrale allemande, Karl Otto Pohel, qui a déclaré en 1980 «l’inflation est comme le dentifrice lorsqu’il sort du tube il est difficile de le faire rentrer».
Ce nouveau contexte économique constitue un défi majeur pour les Etats et les économistes qui ont ouvert un important débat sur ses origines profondes afin de définir les politiques économiques capables de maîtriser ce phénomène et conserver par conséquent la stabilité des pays.
Aux origines de l’inflation de nos jours
La résurgence de l’inflation après des décennies d’accalmie dans le monde a fait couler beaucoup d’encre. Hommes politiques, économistes et experts ont cherché à comprendre les origines de cette inflation. L’analyse des origines est importante dans la mesure où elle nous permet de mieux définir les remèdes et les politiques économiques à mettre en place pour la juguler.
L’analyse des origines de l’inflation a connu plusieurs lectures différentes et parfois contradictoires chez les économistes et dans les grandes théories économiques. Mais le point de convergence en dépit des différences concerne les rapports entre les poussées inflationnistes et les grandes périodes de turbulences historiques qui contribuent à leurs dynamiques et à leurs évolutions. Les études de l’histoire économique réalisées par un grand nombre d’historiens ont montré la forte corrélation entre les périodes de grande inflation et dans l’histoire moderne avec les grandes tensions dans les relations internationales, particulièrement les grandes guerres qui ont fortement contribué à la déstabilisation des marchés mondiaux et au renversement des grands circuits de distributions.
Ainsi, l’historien français, Michel Pierre Chelini, met-il l’accent sur trois grandes phases inflationnistes dans l’histoire contemporaine qui étaient liées à de grands conflits et de grandes guerres. La première phase couvre la période allant de 1914 à 1926, et a été fortement influencée par la Première Guerre mondiale qui a été à l’origine d’une grande destruction des économies européennes et d’un recul sans précédent du commerce international. La seconde phase inflationniste de l’économie mondiale couvre la période allant de 1936 à 1952 où les prix ont connu une envolée sans précédent qui a atteint 25 fois leur niveau de départ comme c’était le cas en France. Comme pour la première, cette seconde phase est le résultat du grand désordre mondial, puis l’entrée de l’économie mondiale dans la Seconde Guerre mondiale et enfin la grande destruction de l’économie et la rupture des flux de commerce international avec le développement de la contrebande dans les grands pays dévastés par la guerre. La troisième grande phase inflationniste qui a porté sur la période allant de 1970 à 1986 a été marquée par deux grandes guerres : celle du conflit arabo-israélien et la guerre de 1973 et l’embargo mis en place par les pays de l’Opep et la guerre entre l’Iran et l’Irak qui a commencé en 1980 après la révolution islamique. Ainsi, les guerres et les conflits jouent un important rôle dans l’accélération de l’inflation et dans l’accroissement rapide des prix au sein de l’économie mondiale. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et les tensions politiques et stratégiques que nous traversons ont joué, comme dans les autres phases, un rôle important dans la résurgence de l’inflation mondiale. Ce conflit a fortement contribué à la forte hausse des prix de l’énergie comme le pétrole et le gaz ainsi que les prix des produits et des matières premières agricoles mais aussi à la forte disruption des marchés et la rareté des produits exportés par ces deux pays.
Mais, parallèlement aux guerres et aux conflits, d’autres facteurs ont joué un rôle important dans ce déséquilibre croissant entre l’offre et la demande mondiale ce qui va contribuer à l’accélération de l’inflation au cours de la période actuelle et cette grande instabilité du monde.
Du point de vue de l’offre, on peut souligner deux évolutions essentielles qui ont contribué à son recul. C’est ce que les économistes appellent «un choc d’offre». La première concerne la crise de la globalisation et la déstabilisation des grandes chaînes de valeur globales suite à la pandémie du Covid-19 et les périodes de confinement qu’ont connues tous les pays du monde ce qui a ébranlé la distribution globale de la production et a créé une situation de rareté qui a touché la consommation mais surtout un grand nombre de secteurs économiques. La crise de la globalisation a poussé la plupart des pays du monde à fonder une nouvelle organisation de l’économie-monde basée sur les chaînes de valeur régionale. Mais cette nouvelle organisation de l’économie mondiale n’a pas encore dépassé le stade de l’expérimentation ce qui a entraîné une perpétuation de la crise de l’offre.
La seconde grande évolution qui a pesé sur le choc de l’offre concerne le changement climatique et ses conséquences sur l’économie. En effet, notre monde a connu au cours des deux dernières années un accroissement du nombre d’inondations, des incendies, des tsunamis et des sécheresses qui ont eu des effets sur la situation économique particulièrement sur la production industrielle et agricole et les circuits de distribution ce qui a eu des effets négatifs sur l’offre mondiale.
En dépit du recul de l’offre, le niveau de la demande mondiale est resté élevé ce qui a été à l’origine d’un déséquilibre important sur les grands marchés mondiaux. Les politiques monétaires et budgétaires expansionnistes mises en place pour aider les économies à sortir des effets récessionnistes de la pandémie du Covid-19 sont à l’origine du maintien de la demande à des niveaux très élevés sur les marchés mondiaux.
L’ensemble de ces facteurs politiques et économiques a joué un rôle important dans la montée de la stagflation que nous connaissons aujourd’hui et qui constitue une menace importante pour la stabilité de l’ordre du monde. Mais la discussion sur les origines est importante dans la mesure où elle va déterminer la nature des politiques à mettre en place pour la juguler.
Mais, avant d’aborder les politiques, il est nécessaire de s’arrêter sur les conséquences politiques et sociales de la stagflation qui constitue le véritable danger pour la stabilité des pays et particulièrement de ceux en développement.
Les dangers de la stagflation
A chaque fois que les économistes se sont intéressés aux dangers politiques et sociaux de la stagflation, ils se sont rappelé l’expérience de la république de Weimar en Allemagne après la défaite de l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale et qui s’est prolongée jusqu’en 1933 lorsque Hitler a opéré son coup de force contre le Reichstag pour donner le coup d’envoi du régime nazi et ouvrir le moment le plus douloureux de notre histoire contemporaine. La stagflation et l’augmentation sans précédent des prix qui étaient de trois chiffres entre 1921 et 1924 ont contribué à l’affaiblissement du régime démocratique de la République de Weimar et ont ouvert les portes pour l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Depuis cette expérience douloureuse et tragique, l’inflation est devenue l’ennemi le plus dangereux dans la mémoire collective allemande. Ce moment a créé un consensus au sein des élites de la droite jusqu’aux rangs de la gauche de faire de la lutte contre l’inflation le plus important objectif des politiques économiques et de développer une grande animosité contre les politiques expansionnistes, particulièrement les politiques monétaires, qui pourraient libérer l’inflation. Depuis ce moment historique, la stagflation est devenue l’une des plus grandes plaies des économies contemporaines traquée par les gouvernements pour échapper à ses conséquences sociales et politiques et son rôle déstabilisateur des pays. Aujourd’hui et en dépit de son apparition récente, les rapports des grandes institutions internationales commencent à mettre l’accent sur ses effets sociaux. Ainsi, les rapports de la Banque mondiale ont montré que 23 millions de personnes dans le monde arabe vont passer sous le seuil de pauvreté avant la fin de l’année 2022. Par ailleurs, ces rapports soulignent que l’augmentation de 1% des prix des produits agricoles fait tomber 500.000 personnes dans la pauvreté dans le monde. La détérioration de la situation sociale a poussé plusieurs pays développés à mettre en place une série de mesures sociales afin de juguler l’impact de l’inflation sur les couches les plus défavorisées. Mais les pays en développement n’ont pas été en mesure de définir les mêmes boucliers anti-inflation suite aux crises de leurs finances publiques et l’accroissement rapide de leur endettement avec les politiques de relance pour faire face aux effets du Covid-19. Or, le danger de la stagflation ne se limite pas à des effets sociaux mais concerne également la nouvelle ère ouverte dans l’histoire longue du capitalisme marquée par la montée de l’incertitude et de l’instabilité.
La stagflation, un nouveau moment dans l’histoire du capitalisme
L’importance de la stagflation ne se limite pas à son impact social et économique mais réside également dans son importance symbolique et dans le fait qu’elle représente souvent la fin d’une époque dans l’histoire de l’économie mondiale et ouvre la porte à une nouvelle ère. La stagflation de ce point de vue est significative des évolutions et des transformations en gestation au cœur du système capitaliste et ouvre l’entrée dans une période plus incertaine et marquée par une grande instabilité. L’analyse du déroulement de l’économie mondiale depuis le début des années 1970 nous permet de distinguer deux grandes périodes. La première allant de 1970 au début du siècle passé (1970-2005) qui a marqué la fin du régime fordiste et de l’Etat-providence et l’entrée dans une nouvelle ère de globalisation perçue comme une alternative à la crise de l’Etat-nation. Cette période a connu d’importantes évolutions et transformations dans différents domaines dont l’organisation de la production, la place des différents secteurs productifs et leur répartition à l’échelle mondiale avec l’apparition de nouveaux secteurs et les politiques économiques. Cette phase a été marquée par le recul des discours keynésiens et des choix sociaux-démocrates avec un rôle régulateur de l’Etat en faveur du discours néo-libéral et l’avènement du marché comme lieu de régulation de l’ordre marchand. Cette période a également connu le recul de certains secteurs classiques et l’avènement de nouveaux secteurs productifs liés aux nouvelles technologies. Ces transformations ont eu des conséquences économiques importantes au niveau des grands équilibres de l’économie mondiale. La croissance a connu un recul en comparaison avec les performances enregistrées lors de l’âge d’or de l’économie mondiale et des trente glorieuses. Par ailleurs, l’économie mondiale a connu au cours de cette période une grande envolée inflationniste suite à la croissance rapide des prix mondiaux de l’énergie. Par ailleurs, les syndicats disposaient d’une certaine force et avaient réussi à imposer des augmentations salariales et à les lier à l’augmentation de l’inflation. Les politiques économiques néo-libérales mises en place au cours de cette période cherchaient à faire face à cette dérive des grands équilibres macroéconomiques.
Mais ces politiques n’ont pas réussi à donner un nouveau souffle à l’économie mondiale et la croissance est restée faible. Mais, en même temps, elles ont été à l’origine de l’apparition de nouveaux défis comme l’accroissement des inégalités et la détérioration de la situation climatique avec la montée des émissions de gaz à effet de serre. La libéralisation des marchés financiers et le recul du rôle régulateur de l’Etat ont été à l’origine d’une grande financiarisation et d’une grande prise de risque qui étaient au cœur de la crise des subprimes qui a failli mener l’économie mondiale à la faillite.
La crise de 2008 va ouvrir une nouvelle phase dans l’histoire de l’économie mondiale qui va se prolonger jusqu’en 2021 et pendant laquelle les pays et les grandes institutions internationales vont chercher à reconstruire une stabilité de l’ordre économique mondiale à travers un retour au rôle régulateur de l’Etat et redessiner une nouvelle organisation des chaînes de valeur plus réaliste et plus solide. Même si les politiques de relance de la période 2008-2021 n’ont pas réussi à redonner un nouveau dynamisme à l’économie mondiale et à réduire les inégalités et les émissions de gaz à effet de serre, elles sont parvenues à créer une nouvelle stabilité et de l’équilibre sur les grands marchés mondiaux, ce qui a contribué à une maîtrise des prix et le maintien de la stabilité de l’économie mondiale. Ces grandes tendances de l’évolution de l’économie mondiale ont contribué au retour de la confiance.
L’économie mondiale est aujourd’hui en train d’ouvrir une nouvelle phase marquée par une grande instabilité et le manque de clarté sur les perspectives futures. La stagflation que nous connaissons aujourd’hui n’est que l’expression de cette instabilité. Mais cette lecture des causes directes ainsi que des effets structurels et historiques est nécessaire pour évaluer les politiques mises en place pour juguler la stagflation.
Le moment Volcker et les politiques de lutte contre la stagflation
Dès l’apparition d’une phase de stagflation, les économistes se retournent vers le moment Volcker et les politiques qu’il a mis en place pour faire face au danger inflationniste. Paul Volcker a été nommé à la tête de la Réserve fédérale par le Président Carter en 1979. Les Etats-Unis et l’économie mondiale en général connaissaient alors une importante stagflation que les politiques monétaires et budgétaires ne réussissaient pas à enrayer.
Au moment de sa nomination, Volcker a décidé de mettre en place une politique monétaire radicale pour faire face à l’inflation et il a augmenté les taux directeurs de la Réserve fédérale de 19,5% à partir du début de l’année 1980. Ce choix a eu des effets majeurs sur l’économie américaine qui a connu deux périodes de récession lors de la première moitié de l’année 1980 et de juillet 1981 à novembre 1982. Cette récession a eu des effets importants sur le chômage avec des niveaux historiques qui ont atteint 10,8% et qui ont rappelé aux Américains les années noires de la crise de 1929.
Mais cette politique radicale a permis à Volcker de faire face à l’inflation qui a connu une baisse marquée passant de 14,8% au mois de mai 1980 à 2,5% au mois de juillet 1983. Depuis cette expérience, les économistes et les responsables en charge des politiques économiques se tournent vers le moment Volcker à chaque fois que l’inflation connaît des envolées brusques. D’ailleurs, la plupart des banques centrales dans le monde ont entamé la sortie des politiques expansionnistes mises en place depuis 2008 et ont commencé à mettre en place des politiques plus restrictives. C’est la Réserve fédérale qui a entamé ce changement de cap avec une première augmentation de ses taux directeurs au mois de mars 2022 qui sera poursuivie de manière progressive. La Banque centrale européenne va suivre le même chemin et va opérer la première augmentation de ses taux directeurs depuis 2011 au mois de juillet 2022. Mais la Banque centrale européenne a mis en place une politique de soutien aux pays les plus endettés de la zone, particulièrement l’Italie, pour éviter que la hausse des taux et le resserrement de sa politique monétaire ne se traduisent par un défaut souverain.
Le changement de cap des politiques monétaires ne s’est pas limité aux pays développés mais a constitué l’option suivie par la plupart des banques centrales dans le monde. Le FMI a indiqué que 75 banques centrales dans le monde ont opéré un relèvement de leurs taux d’intérêt directeurs. Cette augmentation a été plus marquée dans les pays en développement dans la mesure où l’inflation est plus forte et l’augmentation des taux d’intérêts dans les pays développés a été à l’origine d’une importante sortie de capitaux.
L’apparition de la stagflation a été à l’origine d’un changement de cap majeur dans les politiques monétaires avec la sortie des politiques monétaires expansionnistes et leur resserrement suite à un relèvement des taux d’intérêt. Mais ce changement n’a pas pris un caractère radical comme c’était le cas lors du moment Volcker mais a été marqué par un grand réalisme et pragmatisme par le biais d’une augmentation progressive des taux.
Mais, en dépit de leur pragmatisme, ces choix de politique monétaire ont rencontré de nombreuses critiques quant à leur capacité à faire face à ces tensions stagflationnistes. Beaucoup d’économistes et d’experts ont souligné que ce changement de cap ne participera pas à lutter contre l’inflation mondiale dans la mesure où les causes fondamentales se trouvent dans l’augmentation des prix des matières premières du fait de la guerre et de la montée des tensions mondiales. Les politiques de l’offre ont également contribué à ces tensions et à la montée de la stagflation. Dans cette perspective, les nouvelles politiques monétaires et le relèvement des taux directeurs des banques centrales ne seront pas d’un grand secours dans la lutte contre l’inflation mais pourraient avoir des effets inverses du fait de leurs conséquences négatives sur l’investissement, et par conséquent sur l’offre.
Il faut également mentionner les effets négatifs du durcissement des politiques monétaires sur l’endettement, et particulièrement celle des pays en développement. Par ailleurs, plusieurs études ont montré que le relèvement des taux d’intérêt a été à l’origine d’une importante sortie des capitaux des pays en développement en direction des pays développés qui ont dépassé en moyenne au cours du mois de juin 2022 la somme de 10 milliards de $ qui représente la moyenne la plus élevée depuis 2015.
Les inquiétudes de ce changement des politiques monétaires ont également touché les marchés financiers et beaucoup d’analystes s’attendent à des turbulences plus marquées et à une instabilité forte sur les marchés internationaux.
Les tensions stagflationnistes ont ouvert une nouvelle ère d’inquiétudes et de peurs que les politiques de resserrement des choix monétaires ne font que renforcer.
La stagflation en Tunisie
Comme tous les pays ouverts sur le monde, notre pays commence à connaître les tensions stagflationnistes. En effet, les taux de croissance ont connu un recul important et n’ont pas dépassé en moyenne 1,7% au cours de la décennie passée. La pandémie a eu des effets importants sur la croissance et notre pays a traversé la récession la plus forte de son histoire avec une croissance négative de -8,8%. Par ailleurs, la Tunisie n’a pas connu la reprise technique que tous les pays ont connu en 2021 et la croissance est restée faible (3,1%).
Si l’inflation est restée à des niveaux moyens au cours des dernières années, elle a connu une forte progression au cours des derniers mois et atteint un niveau élevé au cours du mois d’août 2022 en se situant autour de 8,6%. La réponse de la Banque centrale a été marquée par le pragmatisme comme c’est le cas dans les autres pays du monde et on a assisté à une augmentation du taux directeur de 75 points lors du Conseil d’administration tenu le 17 mai 2022. Si les effets directs de cette décision sont limités du fait de la part importante de l’inflation importée dans la configuration de l’inflation dans notre pays, elle participera à une réduction de la consommation et par conséquent des importations ce qui nous permettra de préserver nos réserves de devises. Mais le défi de ces tensions stagflationnistes reste important et exige le développement de politiques et de choix cohérents entre les différentes institutions de l’Etat afin de sauver notre économie et de relancer la croissance.
La voie du sauvetage
L’économie mondiale traverse une nouvelle ère marquée par l’envolée des tensions stagflationnistes qui constituent un grand danger pour la stabilité des pays. Le sauvetage passe par la sortie des politiques orthodoxes traditionnelles et des réponses conventionnelles pour faire preuve d’une plus grande imagination et innovation dans la formulation de choix capables d’assurer la stabilité des pays et de relancer l’investissement et la croissance.