L’un des plus grands paradoxes qui unit en Tunisie la politique au sport est cette tendance à inverser toutes les perspectives. Plus on parle de politique et de sport, et plus on en sait davantage et plus l’on se rend compte qu’ils auraient été certainement mieux avec d’autres acteurs, d’autres approches et des visions certainement différentes.
Comparer l’état du sport tunisien à celui du paysage politique n’est ni une caricature, ni une contrefaçon, même si les commentaires et les analyses politiques ne feront jamais le tour ni des multiples réalités ni des charmes toujours renouvelés du sport…
Le jour de l’annonce des joueurs sélectionnés pour le Mondial est une source de débat. Les millions de «sélectionneurs» que connaît le pays, comme les millions des «politiques» qui continuent à se relayer dans les plateaux de télévision, s’en donnent à cœur joie. Cela nous amène à dire que la sélection tunisienne est devenue un sujet «sociétal» tellement important qu’il est aussi crucial de discuter des choix techniques et tactiques que des réformes politiques, économiques et sociales.
Les chroniques aussi bien dans la politique que dans le football se sont transformées en bavardage pur et simple depuis que des intrus y avaient pénétré par la fenêtre et non par la porte. En effet, la politique et le sport ne sont plus aujourd’hui du ressort des techniciens. Ceux qui gravitent tout autour ne laissent plus de place aux … «hommes du métier». Pareille reconversion se traduit par une confusion dans les rôles, les prérogatives et les vocations. Il y a désormais une façon d’être, de faire et de penser différente. L’on peut imaginer dès lors la variété des différentes configurations dans lesquelles peuvent être pris les hommes politiques et les sportifs.
Les choix du sélectionneur sont contestés en permanence et sans répit au même titre que ceux des hommes politiques. On ne juge pas aux valeurs, mais plutôt à travers un certain degré de conditionnement et d’influence. En fait, entraîner, c’est comme gouverner.
La vie politique n’est pas plus morale que la vie sportive
Toute sélection et choix de joueurs, quels que soient leur nature et leurs motivations, sont difficiles. Beaucoup de responsabilités, de contraintes et d’obligations, y compris dans les matches faciles. Pour se faire des ennemis, pas la peine de déclarer la guerre, il suffit de faire et d’adopter un choix. La même règle s’applique également en politique.
A l’instar de certains partis politiques au lendemain de la révolution (Ennahdha, Ettakatel, Nida Tounès), le sport tunisien a eu aussi ses temps forts. Il avait marqué les esprits (le Mondial de 1978). Il avait charmé aussi quelquefois son temps. Mais de façon générale, tout ce qui est conçu en politique et en sport est aujourd’hui souillé par une poignée d’égarés dans leur raisonnement à l’emporte-pièce.
Que ce soit en politique ou en sport, les conditions favorables à la réussite ne sont pas seulement d’ordre politique ou compétitif, mais aussi de bon choix et de moralité. Si l’avenir des partis politiques dépend en grande partie de leurs principaux dirigeants, l’avenir de la sélection tunisienne en coupe du monde de Qatar dépend aussi de ses joueurs, mais encore davantage de son entraîneur.
D’après ce qu’on ne cesse de remarquer dans les choix du sélectionneur, à travers ses penchants et ses tendances qui ne sont pas difficiles à deviner, il nous semble que ce qui se passe en sélection ressemble parfaitement à ce qui motive, inspire et oriente le paysage politique. En ignorant encore les vrais besoins de l’équipe et l’apport que certains joueurs sont en mesure de fournir, il a poussé au paroxysme une «logique» d’exclusion. Le cas de Bguir est bien significatif.
Il faut dire que les dispositions et les aptitudes des différentes composantes de la sélection ne diffèrent pas trop de celles des hommes politiques. On n’hésiterait pas à affirmer qu’ici et là ils ne manquent pas à chaque fois de nous révéler des discours et des actes de niveau médiocre.
Le football, sport le plus populaire et le plus attirant, mais aussi le plus conséquent, est devenu un moyen et un lieu de polémiques et de règlement de compte à l’image des partis politiques, toujours incapables de remplir suffisamment le rôle qu’ils devraient tenir dans un contexte social qui ne diffère pas beaucoup de celui de 1978.
La vie politique n’est pas plus saine que la vie sportive. Il y a autant de scandales, de dérives et de déviations. Que ce soit en politique ou en sport, on est dans un environnement où le savoir et la compétence n’ont plus d’importance par rapport à ce qui se conçoit sur le terrain.
En 1978, et comme le soutient Mokhtar Neili, l’un des principaux artisans de l’épopée de l’Argentine, «la performance de la sélection n’a pas manqué d’apaiser l’esprit du peuple dans une circonstance marquée par une crise économique aiguë et des protestations sociales violentes». Et d’ajouter : «C’était une préparation copieuse ponctuée de plusieurs stages en France et au Brésil ainsi que de matchs amicaux face à l’Autriche et à la France. Mais le plus important était la ferveur et le soutien du peuple et celui des représentants de l’Etat».
Le même Mokhtar Neili Neili juge l’ambiance actuelle autour de la sélection comme étant démunie de toute union et de toute cohésion. S’il était intéressé par la politique, il aurait porté le même regard sur le paysage politique. D’ailleurs, l’un des plus grands paradoxes qui unit la politique au sport est cette tendance à inverser toutes les perspectives. Plus on parle de politique et de sport, et plus on en sait davantage et plus l’on se rend compte qu’ils auraient été certainement mieux avec d’autres acteurs, d’autres approches et des visions certainement différentes.