Les sondages d’opinion éclairent les orientations des Tunisiens en matière de choix électoraux. Indépendamment des remises en cause compte tenu de leur scientificité et des accusations d’orientation de l’opinion publique, ces derniers peuvent nous donner une idée sur les contours de la prochaine phase politique.
Sigma Conseil, spécialiste en la matière, a publié récemment les résultats d’un sondage d’opinion portant surtout sur la prochaine présidentielle. Ses résultats sont assez surprenants si on évoque de nouveaux visages non pas politiques sur le podium. En effet, le sondage réalisé au mois de janvier 2023, et dont les résultats ont été présentés récemment, fait état des intentions de vote et de la cote de popularité des différentes personnalités politiques ou autres.
D’après une enquête sur les intentions de vote, le Président de la République, Kais Saied, poursuit sa domination puisqu’il est toujours en tête des candidats pour la prochaine élection présidentielle avec 49,9% d’intentions de vote. Si dans un passé récent, il avait pour dauphine la présidente du Parti destourien libre, Abir Moussi, celle-ci a perdu son statut de seconde pour être rétrogradée en quatrième position.
C’est Safi Said qui s’empare de la deuxième place avec 10,3% d’intentions de vote. Il est suivi par le rappeur K2 Rhym, qui récolte 5,9% d’intentions de vote, alors que Abir Moussi obtient 4,6% et devance Moncef Marzouki, Fadhel Abdelkefi et Néji Jalloul.
Il faut dire que ces résultats confirment le constat selon lequel le pays connaît une crise de l’élite politique, avec l’ascension de personnalités de la société civile, voire des artistes. C’est le cas du rappeur Karim Gharbi, allias K2 Rhym, un artiste reconverti en leader de la société civile avec de nombreuses actions caritatives, notamment dans les régions intérieures du pays et dans les quartiers populaires. Ce dernier occupe, si on se réfère aux résultats de ces sondages, la troisième position dans les intentions de vote des Tunisiens en ce qui concerne la prochaine présidentielle.
Ce rappeur dont l’origine de sa fortune n’est pas connue avait pourtant affirmé qu’il n’a aucune intention politique. Visiblement, il a considérablement bénéficié de ces campagnes médiatiques de philanthropie. Sauf qu’il faut rappeler que ces techniques ne sont pas nouvelles en Tunisie et ont permis à de nombreux partis politiques et parties d’accéder au pouvoir.
L’ancienne députée Olfa Terras était appuyée par la Fondation Rambourg, une organisation qui se dit philanthropique. Le député Saïd Jaziri était appuyé par sa radio et par ses donations, par milliers de dinars. On a vu ses aficionados pavaner lundi dernier devant la Haica.
Le parti Qalb Tounes n’aurait jamais obtenu autant de dizaines de sièges à l’ARP sans l’association « Khalil Tounès » et la chaîne Nessma. Ennahdha a également puisé dans son discours axé sur la religion pour gagner en popularité.
Quoi qu’il en soit, ces constats confirment bel et bien la fin de l’ère des politiques. D’ailleurs, Kaïs Saïed, actuel Chef de l’Etat, se dit apolitique et n’a jamais exercé une fonction partisane. De même, il est suivi, dans ces intentions de vote, par Safi Said, écrivain et ancien journaliste et un nouvel activiste dans le monde politique.
Une crise de confiance ?
La Tunisie fait partie des pays où le niveau de confiance dans les partis politiques est nettement plus faible qu’ailleurs. Cela s’explique surtout par la dégradation de l’image des politiciens, notamment dans l’ancien parlement, mais aussi par les alliances contre nature qui ont fait fi des choix des électeurs. D’ailleurs, il faut rappeler que Kaïs Saïed a largement bénéficié de cette situation pour donner un coup fatal à l’actuelle classe politique rouillée.
La crise économique, financière et sociale qui s’installe depuis plusieurs années en Tunisie explique également ce constat dans la mesure où les Tunisiens se sentent trahis par une classe politique incapable de gérer le pays.
Cependant, une baisse de confiance aux politiques peut entraîner un moindre respect de la réglementation, mais aussi un désintérêt envers la chose publique. Elle peut aussi rendre les particuliers et les entreprises plus frileux et les amener à reporter des décisions en matière d’investissement, d’innovation ou d’embauche, au cœur d’une crise sociale.
Elle entraîne également la montée en puissance des courants populistes, démagogues et extrémistes. Car même dans les plus anciennes démocraties, nous observons une montée des courants populistes qui se réfèrent au peuple pour l’opposer à l’élite des gouvernants, au grand capital, aux privilégiés ou à toute minorité ayant accaparé le pouvoir.
De la crédibilité des sondages
Signe d’une démocratie en bonne santé, les sondages d’opinion ne font pas, pourtant, l’unanimité et font l’objet de tiraillements politiques. Dernièrement, voyant en ces instituts un vecteur de détournement de l’opinion publique, le Parti destourien libre (Pdl) a encore une fois averti contre leurs résultats.
Les membres du parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi ont organisé une manifestation devant l’hôtel où se tient la conférence de Sigma à Tunis. Les manifestants ont qualifié de « vendus » et de « traîtres » les participants à cette conférence annuelle de cet institut de sondage.
En tout cas, pas qu’en Tunisie, les résultats et le degré de scientificité des sondages d’opinion posent problème. A vrai dire, ces instruments sont continuellement contestés même dans les pays aux plus anciennes démocraties. Ils sont surtout accusés de manipulation de l’opinion publique et d’orientation des tendances de vote, notamment en périodes préélectorales.
Or pour le cas tunisien, l’enjeu est double : s’assurer de la crédibilité de tels instruments, mais aussi préserver une démocratie naissante et exposée à tous les risques.
Quelle crédibilité pour des sondages d’opinion qui nous font, par exemple, croire à l’existence d’un parti ou d’un candidat fantôme ?