La crise que vit le pays, les problèmes quotidiens et le coût en hausse vertigineuse de tous les produits de consommation inciteront à plus de prudence. Il y a de quoi croire que l’on ne consomme plus, mais que l’on « déconsomme ».
Les services de contrôle tournent à plein régime. Cela nous donne une idée sur l’effritement d’un certain nombre de nos valeurs. Le mois de ramadan, censé nous rappeler ces valeurs morales en déperdition, est attendu pour fourguer ce qui ne se vend pas, est sur le point de se décomposer ou pour faire payer le plus cher possible ce que le consommateur, trahi par ses envies, ne peut s’empêcher d’acquérir. A n’importe quel prix !
Un étalage, établi dans la succursale du marché municipal de l’Ariana (entendez les rues avoisinantes envahies et offrant un affligeant spectacle), propose à la vente des bananes à neuf dinars. Et il y avait foule pour en acheter. Pourtant, à quelques centaines de mètres de là, un magasin appartenant à une grande surface en exposait en sachets de un kilo au prix homologué de cinq dinars. Ces bananes étaient de meilleure qualité. «Nous avons pensé qu’il était plus pratique de faire emballer ce fruit, demandé en ce mois, par sachet dont le poids tourne autour d’un kilo, un peu plus, un peu moins et cela a bien marché. C’est un travail supplémentaire pour nous, mais c’est pratique pour la clientèle», répond un chef de rayon.
Une nouvelle façon de se comporter
De toute les façons, à la fin de cette première semaine de ramadan, ce chef de rayon d’une grande surface nous confie qu’il y a moins de monde et surtout, comparativement aux années précédentes, il y a une nouvelle manière de se comporter. Les clients achètent en plus petite quantité. Les tomates, les piments, les fruits, le poisson ou les viandes sont achetés au gramme près, à la pièce. On dépense moins. Contrairement à ce qu’on pense, nous le constatons au niveau des chiffres d’affaires, il y a moins de gloutonnerie dans les comportements.
Conformément aux promesses faites, tous les produits qui faisaient défaut ont été livrés. Le lait est bien là, le sucre commence par être fourni à un rythme plus fréquent. Il ne manque pas et nous sommes loin de la pénurie qui sévissait il y a quelques mois. La farine, les pâtes, la semoule, les œufs, emballés ou en vrac, tout est là et en quantité suffisante. « Nous ressentons un certain apaisement et les réflexes de stockage ont cédé le pas à une certaine quiétude. On ne parle pas des conditions d’il y a dix ou quinze ans. C’est un tout autre comportement. On sent la crise et nous sommes en pleine période de « déconsommation forcée », estime-t-il. Cette situation, semble-t-il, est imposée par l’inflation tout d’abord. Un billet de dix dinars ne vaut presque plus rien. C’est, ensuite, la peur du lendemain qui pèse sur le subconscient du consommateur.
Les ménages se sont appauvris
« Nous avons, en ce qui nous concerne, enregistré le même phénomène lors des périodes de confinement, lorsque la vente en ligne nous a grignoté une bonne partie de notre clientèle. Nous proposons à la vente des plats légers préparés et qui avaient beaucoup de succès auprès de ceux qui ne rentraient pas chez eux à mi-journée et mangeaient sur le pouce quelque chose, sur une terrasse de café ou au bureau. Nous en vendons moins, à cause de cette vente en ligne et de la multiplication des fastfoods un peu partout », a-t-il remarqué. Un grossiste de la rue de la commission a été plus direct : «Il ne faudrait pas croire que les habitudes ont changé à cause de la seule inflation. Les ménages se sont appauvris en raison du renchérissement des prix. Tout ce qui est importé coûte plus cher et cela se comprend. Notre dinar devient de plus en plus volatil. Mais pour les produits locaux, il n’y a pas une véritable prise en main de la situation ». Alors que les services de contrôle mettent la main, tous les jours, sur des cachettes, des dépôts irrégulièrement installés pour accentuer la pression sur le consommateur en contrôlant les quantités à mettre sur le marché et agir sur les prix. Voyez ce qui se passe en ce qui concerne les prix des pommes et des bananes. Ces deux fruits ont comme par magie disparu de la scène. Les spéculateurs ont fait leur choix. Ils retirent ces deux produits du marché, les laisseront peut-être pourrir, mais ne les vendront qu’à leur prix. C’est aux autorités de maintenir cette pression imposée par la tarification après le mois de ramadan. C’est tout le système qu’il faut battre en brèche, remettre de l’ordre dans un marché complètement envahi par la spéculation qu’on a pour ainsi dire encouragée par une certaine léthargie de la part des autorités en place. Le problème risque de durer.
Chacun calcule sa marge
Les choses se sont beaucoup améliorées depuis quelque temps. Nous retrouvons néanmoins les produits que nous cédons aux revendeurs à des prix nettement au-dessous de ce qu’ils devraient être. Les marges sont calculées de manière souvent effrontée. Cela se répercute sur les prix et alourdit par voie de conséquence le coût de la vie. Pour s’en convaincre, il suffit de relever les prix des mêmes produits exposés par les uns et les autres. Haricots, pois chiches, fèves, amidon, sorgho, amandes, pistaches, noix et autres condiments de base sont à des prix différents, alors qu’ils proviennent du même fournisseur. Chacun calcule sa marge telle qu’il l’entend ?
Nous n’y pouvons rien et cela est du devoir des autorités concernées de réagir. Elles viennent de réagir au niveau des produits de la mer. Les marges ont été fixées et cela pourrait peut-être agir sur les prix excessifs de ces poissons qui sont devenus hors de portée des bourses modestes. De toutes les façons, il y a nettement moins de demandes. Les échanges marquent le pas et c’est peut-être la conséquence d’un certain nombre de changements dans les habitudes des consommateurs.
Moins de gaspillage
Ramadan, c’est aussi le grand gaspillage de la nourriture que l’on achète et que l’on ne consomme pas. Tout y passe : pain, fruits, viandes, laitages, pâtisseries, etc. Un universitaire retraité spécialiste de ces questions nous a confié que l’on continuera à gaspiller, mais ce sera beaucoup moins. La crise que vit le pays, les problèmes quotidiens et le coût en hausse vertigineuse de tous les produits de consommation inciteront à plus de prudence. Il y a de quoi croire que l’on ne consomme plus, mais que l’on « déconsomme ».