Comment ne pas s’étonner que des émissions, autrefois prisées, soient de moins en moins regardées ? Ce ne sont plus des interviews, ce sont des fautes professionnelles avérées. Problématique à la vérité, rien ne vient, rien ne se dit. Pis encore : quand l’interviewé cherche ses mots, relance et crie à la théorie du complot, le journaliste joue au souffleur, comble les trous. Hallucinant spectacle.
Dans certains entretiens télévisés, il y a des questions qui déversent, renvoient et rendent compte des significations comme la courtoisie, la crainte, la retenue, la réserve et le ménagement.
Au fait, à quoi reconnaît-on une interview de complaisance ? Evidemment, lorsque les questions posées commencent par : « Que pensez-vous de… ?», « Quel est votre opinion sur… ?», « Comment jugez-vous… ?».
Chez beaucoup d’animateurs, le procédé est vieux comme le monde. On pose une question qui permet à l’interviewé de dire ce qu’il a envie de dire. L’important n’est pas de chercher la vérité, mais d’offrir à l’interlocuteur l’occasion de présenter la sienne. Et tant pis si la vérité est autre. On n’est pas là pour corriger, mais seulement pour acquiescer. On laisse faire, on laisse dire, tant que les questions posées avec un luxe infini de précautions sont taillées sur mesure pour offrir à tel homme politique, à telle célébrité, l’opportunité de livrer un numéro, des plus classiques, des plus ordinaires.
Les vrais professionnels, de plus en plus minoritaires
Comment ne pas s’étonner que des émissions, autrefois prisées, soient de moins en moins regardées ? Ce ne sont plus des interviews, ce sont des fautes professionnelles avérées. Problématique à la vérité, rien ne vient, rien ne se dit. Pis encore: quand l’interviewé cherche ses mots, relance et crie à la théorie du complot, le journaliste joue au souffleur, comble les trous. Hallucinant spectacle.
Aux rebondissements sur l’actualité et sur les sujets phares, le moins qu’on puisse attendre est que les animateurs, les chroniqueurs et les consultants aussi, relatent les faits comme ils étaient réellement, qu’ils objectent à leurs invités leurs déclarations à propos de tel ou tel sujet, telle ou telle personne.
D’une question à l’autre, d’une réaction à l’autre, on voyait venir les réponses. Mêmes discours, même démagogie. Sur le plateau, on connaît peut-être les réponses mieux que les invités, puisqu’on procède toujours de la même thèse mécanique.
Le journaliste ne pose plus de questions, il évoque. Et l’invité « se promène » en toute liberté. Et le journaliste se tait. Et le journaliste se moque du téléspectateur. Et le journaliste abîme le métier même s’il fait semblant, en l’espace d’un petit instant, de mettre en difficulté l’invité, mais tout en accentuant une ultime mise en scène pour qu’il puisse encore briller.
Incapables de s’acclimater à un nouveau monde, ou encore à prendre conscience des exigences du métier, ne parvenant pas à évoluer professionnellement, mais aussi mentalement et moralement, certains journalistes n’ont pas réussi la reconversion exigée.
Un autre facteur, non moins important, peut également être évoqué pour expliquer les raisons de la reconversion ratée du paysage médiatique en Tunisie : l’absence des profils requis. Une carence et une transgression qui datent, il est vrai, de longues années, mais qui reviennent à poser la question : est-ce que la nouvelle donne de l’après-2011 n’aurait-elle pas favorisé l’émergence d’un profil de journalistes bien déterminé ? Les chroniqueurs et les consultants ne sont-ils pas finalement les « élus » d’un nouveau système ?
La manière avec laquelle se revendiquent ces chroniqueurs et ces consultants montre qu’une nouvelle vague d’hommes de médias préfère prendre la tangente. Une nouvelle vague de chroniqueurs et de consultants parachutés, qui débarquent accidentellement dans un monde qui ne leur appartient guère. Ils sont connus par un trait distinctif : ils ne disent pas ce qu’ils font et ne font pas ce qu’ils disent…
A vrai dire, ce qui se passe sur les plateaux de télévision, et pas seulement dans les coulisses, alimente les polémiques de façon bien particulière. Il va bien falloir arrêter tout cela, sous peine de faire encourir de graves problèmes au paysage médiatique. Un paysage dans lequel les vrais professionnels sont devenus minoritaires, les courageux aussi.