Accueil Culture 76e édition du festival de Cannes : Si la créativité m’était contée

76e édition du festival de Cannes : Si la créativité m’était contée

 

Après la cérémonie de clôture de la 76e édition du Festival de Cannes et la proclamation du palmarès par le jury, présidé par le cinéaste suédois Ruben Östlund, un zoom sur les films marquants de la compétition officielle, en raison, notamment, de leur dispositif original s’impose.

En tête du palmarès de la compétition officielle, comptant 21 films, se sont hissés de nouveaux venus, dont les films, ont marqué cette édition grâce, notamment, à leur dispositif original, mais aussi à la force de leur propos.

Commençons donc par la fiction «Anatomie d’une chute» de Justine Triet, troisième femme à recevoir la Palme d’Or, après Jane Campion et Julia Ducournau. De son côté, Jonathan Glazer ayant remporté le «Grand prix» avec son quatrième opus, «The Zone of Interest», a tellement impressionné la Croisette par son inventivité que beaucoup parmi la critique s’attendait à le voir remporter la récompense suprême. C’est que la forme innovante de son métrage a forcé l’admiration. Or, justement, ce qui a caractérisé certains films du cru de cette 76e édition, assez bon dans l’ensemble, c’est la créativité au niveau de la forme.    

Ainsi, la réalisatrice française, pour la première fois en compétition, n’a pas volé son trophée venu récompenser un opus frappant par sa forme hybride, entre thriller et film de procès. Outre, la performance des acteurs, telle Sandra Hüller, tout simplement époustouflante dans le rôle du personnage central.

«Les Feuilles mortes» de Aki Kaurismäki, Prix du jury, un dispositif sobre, épuré et minimaliste.

«Anatomie d’une chute» est un film de femme brossant le portrait d’une femme forte, Sandra, une écrivaine à succès, suspectée d’avoir tué son mari, Samuel, professeur et écrivain à ses heures qui peine à rencontrer le succès.

Le film, au scénario parfaitement ciselé, aborde, dans une forme singulière, le thème de la famille à travers une plongée troublante dans l’intimité d’un couple : rapports de force, mensonges, envie, jalousie, rivalités, trahison et autres. Ce puzzle de ressentiments est reconstitué au cours d’un procès, la justice tentant de découvrir s’il s’agit d’un meurtre ou d’un suicide. Mais, le saura-t-on jamais ? Tout se jouant sur le fil du rasoir.

Même dispositif original, mais glaçant, dans «The Zone of Interest», une adaptation du roman éponyme de Martin Amis, mettant en scène l’horreur au cœur du quotidien. La terreur, c’est ce qui se passe à Auschwitz à quelques mètres de la villa cossue du commandant du camp Rudolph Höss, coulant avec sa famille des jours heureux, malgré les cris et les bruits étranges et terrifiants s’échappant du camp.

Ce contraste entre le quotidien banal, qui occupe la largeur du champ couvert de bout en bout par une chape de fumée émanant, vraisemblablement, des fours et l’horreur secrétée dans le hors champ finit par submerger le champ à travers la bande son, entre cris, gémissements, coups de fusil, aboiements, musique criarde, etc.

«Monster» de Hirokazu Kore-eda, Prix du scénario, une histoire en trois actes et en trois points de vue.

Cet opus du réalisateur britannique, pour la première fois sélectionné à Cannes, en impose par sa grande beauté plastique, sa forme singulière et son propos reflétant notre monde au passé ravagé par tant de guerres, d’atrocités et de massacres, or, hélas ! Les guerres et les atrocités continuent de plus belle dans plusieurs de nos continents et contrées, les humains semblent avoir, définitivement, normalisé avec l’horreur.

«Monster» de Hirokazu Kore-eda se singularise, lui, par un montage en triptyque véhiculant un triple point de vue d’une mère, d’un professeur et d’un élève.

Ce dispositif, qui nous renvoie à «Rashômon» d’Akira Kurosawa, déroule un drame sur le harcèlement scolaire et l’incompréhension dans une société japonaise rigide et austère. Sur ces thèmes vient se greffer une histoire d’amitié secrète, nous révélant que le réalisateur japonais traite de l’adolescence et par-delà de son sujet de prédilection, la famille. Cette histoire en trois actes et trois points de vue n’a pas laissé indifférent le jury qui a décerné à «Monster» le prix du scénario, œuvre de Yùji Sakamato. Fidèle à sa tradition, le cinéaste finlandais, Aki Kaurismäki, a opté, dans «Les Feuilles mortes» pour une forme épurée, sobre et minimaliste, aussi bien dans la mise en scène que dans les dialogues teintés d’humour. Cet émouvant métrage pétri de poésie et de mélancolie se déroule dans une banlieue d’Helsinki où la lutte de classe continue à travers le quotidien triste, de deux personnages solitaires, un homme et une femme, exploités par leurs employeurs. Outre la misère sociale, ils vivent un vaste désert sentimental. Et c’est grâce à leur rencontre fortuite qu’ils vont tenter de vivre «une première, unique et dernière histoire d’amour» pour trouver, enfin, le bonheur.

Cette tragi-comédie, à la fois tendre et cruelle, émaillée de références à des films de grosses pointures du cinéma mondial, tels Douglas Sirk, Fritz Lang, Charlie Chaplin, Bresson, Godard, Jim Jarmusch et d’autres, a valu à celui qui qualifie, lui-même, son cinéma de «Prolétaire», le prix du jury. Son coup de cœur quoi.

«The Zone of Interest» de Jonathan Glazer, Grand prix, une forme inventive où le hors-champ submerge le champ.

D’autres opus se sont déclinés dans une forme mélangeant les genres, tels «May December» de l’Américain Tod Haynes, qui, en se focalisant sur un couple dont la vie sentimentale a défrayé la chronique 20 ans plus tôt, la femme ayant fait de la prison en raison d’une relation avec un adolescent, entremêle les genres entre drame, comédie et thriller. Idem pour «Astéroïd city» de Wes Anderson qui nous plonge dans les années 1960 à une époque où les Etats-Unis appréhendent une guerre nucléaire, dans une forme stylisée convoquant à la fois le théâtre, la science-fiction et la romance sulfureuse. Le résultat est confus et peine à capter l’intérêt.    

Alice Rohrwacher choisit, également, le parti pris de mélanger les styles, entre comédie et tragédie musicale dans son sixième long métrage «La Chimère», pétri de poésie, focalisé sur une bande de pilleurs de tombes en Toscane. La réalisatrice italienne filme avec délicatesse un passé disparu et révolu englouti par une modernité dévorante.

Classiquement vôtre

C’est dans une forme purement conventionnelle que s’est décliné, «La passion de Dodin Bouffant» du Franco-Vietnamien Tran Anh Hung, mettant en scène un festival culinaire à travers une passion amoureuse entre un gastronome et sa cuisinière.

«Anatomie d’une chute» de Justine Triet, Palme d’Or, une forme hybride entre thriller et film de procès.

Contre toute attente, ce métrage a reçu le prix de la mise en scène, quoique sans enjeu important et si banal en comparaison d’autres films sur la ripaille, comme la satire subversive nommée «La Grande Bouffe» de Marco Ferreri. Idem pour la plupart des films des habitués du festival, classiques dans la forme, dont les opus italiens «L’Enlèvement» de Marco Bellocchio, hyper-conventionnel, et «Vers un avenir radieux» de Nanni Moretti, «The Old Oak» (Le Vieux chênes) du Britannique Ken Loach et «Perfect Days» de l’Allemand Wim Winders, métrage auquel le jury a attribué le prix d’interprétation masculine pour récompenser le talent de l’acteur japonais, Koji Yakusho. Outre «Les Herbes Sèches», de l’immense Nuri Bilge Ceylan, qui s’est penché, encore une fois, sur la condition humaine dans une profonde réflexion entre pessimisme et espoir. La maîtrise esthétique, marque de fabrique du réalisateur turc, et le jeu remarquable des acteurs n’a pas laissé le jury indifférent, puisqu’il a attribué son prix d’interprétation féminine à Merve Dizdar dans le rôle de Nuray.

Le documentaire évincé du Palmarès

Maintenant côté documentaire, disons qu’il a été complètement zappé et évincé du Palmarès, si «Jeunesse» du Chinois Wang Bing, premier volet, d’une durée de 3h32, d’une trilogie, tournée durant cinq ans sur la jeunesse chinoise est de forme classique, «Les filles d’Olfa» de Kaouther Ben Hania adopte un dispositif hybride particulier, entre documentaire et fiction, témoignages et reconstitution afin de raconter le drame d’une famille tunisienne en suivant la trajectoire d’Olfa, une mère dont les deux filles ont rejoint l’Etat islamique. Outre les témoignages réels, la réalisatrice a fait appel à des actrices professionnelles afin d’interpréter les scènes de reconstitution. En découle le portrait de Olfa, une femme forte, rebelle et battante, ayant élevé ses filles dans un contexte d’incompréhension, d’oppression et de violence. C’est cette forme de docu-fiction, où les personnages réels, les deux filles absentes de Olfa emprisonnées en Libye, sont incarnés par des actrices, qui particularise ce film dont l’enjeu est notamment la transmission générationnelle du système patriarcal reproduit par les femmes, elles-mêmes. Ce paradoxe fait perdurer le système et les traumatismes, malgré des velléités d’émancipation de la part des jeunes générations de femmes.

Ce documentaire a raflé quatre prix parallèles, dont le plus important est l’œil d’or du meilleur documentaire ex aequo avec le film «La mère de tous les mensonges» de la Marocaine Asmae El Moudir.

Ainsi, l’originalité de la forme et du dispositif scénique alliés à la force du propos de plusieurs opus a interpellé la critique, le public cannois, conquis et séduits, et enfin le jury qui en a, ainsi, récompensé plusieurs parmi le lot.

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