Les professionnels du tourisme se trouvent confrontés aux contraintes financières, surtout après trois années marquées par la crise pandémique. Le président de l’Union nationale du tourisme, Afif Kchouk, estime que la question n’est pas uniquement liée au tourisme local, mais il faut se pencher sur les maux de l’ensemble du secteur pour répondre aux attentes des vacanciers locaux.
Passer un séjour en famille dans un hôtel, une maison d’hôtes ou dans n’importe quel établissement touristique peut coûter les yeux de la tête aux Tunisiens. Alors qu’ils sont sanctionnés par une crise sociale et économique étouffante, profiter de leur pays pour passer des vacances est devenu presque inaccessible pour la majorité des familles tunisiennes. Autant dire qu’en pleine saison estivale, deux jours dans un hôtel pour une famille de quatre personnes coûtent une fortune, si on rappelle que le pouvoir d’achat est de plus en plus faible en Tunisie, l’affaire est entendue. Le tourisme local est devenu un produit de luxe, et rares sont les personnes qui peuvent se l’offrir. Si certains se rabattent sur la location de maisons dans des zones côtières, d’autres optent pour des voyages dans des destinations plus ou moins à bon marché comme la Turquie, alors que de plus en plus de foyers restent privés de vacances.
Pourtant, dès le début de la saison, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, Moez Belhassine, s’est lancé dans une campagne pour convaincre les professionnels de la nécessité d’offrir un produit adapté au marché local, en prenant en considération le pouvoir d’achat des Tunisiens. Or, peu d’établissements ont répondu à cet appel, si l’on se réfère aux tarifs proposés pendant les mois de juillet et août. Une simple consultation des sites de réservations et des agences de voyages confirme cet état de fait. Les séjours en hôtels sont hors de portée des Tunisiens.
Cette réalité a un impact négatif sur le tourisme intérieur, car les Tunisiens sont dissuadés par les prix et préfèrent se tourner vers des alternatives moins coûteuses, telles que les locations saisonnières ou les séjours chez des proches.
Les témoignages sont nombreux pour évoquer les prix exorbitants des séjours dans les hôtels à Hammamet, Djerba, Sousse ou encore à Monastir et Mahdia, notamment à l’approche de l’Aïd Al-Idha. «Je voulais réserver pour ma famille de quatre membres, dont deux enfants, dans un hôtel 4 étoiles à Sousse, mais j’ai été littéralement choqué par les offres proposées. Cela me coûterait deux mille dinars les trois nuitées, c’est hors de portée», explique un père de famille, déçu et dépité.
Une mère de famille témoigne également de tarifs exorbitants pour un séjour en couple à Djerba. «Pour un couple, on nous propose un séjour de cinq jours à trois mille dinars. C’est du jamais vu», se désole-t-elle.
Plateforme dédiée aux propositions et aux plaintes
Lors de deux réunions impliquant les différents représentants du secteur, le ministre Moez Belhassine a appelé à présenter des offres dédiées aux Tunisiens qui prennent en considération leur pouvoir d’achat. «Il est devenu obligatoire d’améliorer les services offerts aux touristes locaux», a-t-il insisté. Et d’ajouter qu’une campagne de promotion du tourisme local a été lancée par le ministère et l’Office du tourisme, visant à inciter les nationaux à découvrir de nouvelles destinations intérieures.
C’est dans ce contexte que le département a annoncé la mise en place d’une plateforme destinée à la réception des réclamations et des propositions des touristes tunisiens et internationaux. Cette plateforme sera gérée par une cellule relevant de l’Office national du tourisme tunisien (Ontt), pour en assurer le suivi, outre la mise en place d’un numéro vert : 80 100 333.
Pour un pacte du tourisme intérieur
Du côté de l’Organisation de défense du consommateur (ODC), on garde toujours l’espoir de voir se matérialiser un produit destiné aux touristes locaux. Ammar Dhaya, président de ladite organisation, reconnaît les difficultés pour les Tunisiens d’accèder au tourisme intérieur. Il prévoit la mise en place d’un pacte qui inclurait notamment des offres compatibles avec le pouvoir d’achat des Tunisiens. A cet égard, Dhaya souligne le rôle du ministère. «Nous avons eu des réunions avec le ministère du Tourisme et avons pris connaissance de leurs efforts. Au fait, tous les intervenants sont conscients de ce problème, et sont à la recherche de vraies solutions pratiques et efficaces», a-t-il détaillé.
Et de souligner que la solution se situerait dans la diversification de l’offre touristique au profit des Tunisiens. Selon ses dires, le tourisme balnéaire ne répond plus aux aspirations des Tunisiens. Il faut donc concevoir de nouvelles prestations incluant surtout les maisons d’hôtes et le tourisme culturel et événementiel.
Pour leur part, les professionnels, même s’ils adhérent à ces efforts, se trouvent confrontés aux contraintes financières, surtout après trois années marquées par la crise pandémique. Le président de l’Union nationale du tourisme, Afif Kchouk, estime que la question n’est pas uniquement liée au tourisme local, mais il faut se pencher sur les maux de l’ensemble du secteur pour répondre aux attentes des vacanciers locaux.
Afif Kchouk, qui s’est félicité des efforts de promotion du tourisme tunisien, appelle à des réformes structurelles pour rendre la destination encore plus compétitive, signalant que la capacité d’accueil dans ce domaine reste modeste en Tunisie par rapport à d’autres pays similaires de la région. Il a insisté, en outre, sur la place importante que les touristes des pays voisins, les Tunisiens établis à l’étranger et les touristes locaux doivent occuper.
Selon lui, il ne faut plus considérer ces voyageurs comme un complément de la saison touristique, mais plutôt comme un pilier. Afif Kchouk a évoqué des faiblesses au niveau des prestations de services du transport et de la logistique, notamment à l’aéroport international de Tunis-Carthage, signalant le retard dans l’adhésion à l’Open Sky et l’absence de low-cost, mais aussi au niveau du transport terrestre et interrégional.
De bons indicateurs
La Tunisie enregistre cette saison une belle reprise du tourisme avec des taux de réservations et de bons indicateurs qui rassurent. Déjà, les recettes touristiques ont connu, selon des chiffres officiels, une augmentation de 83,3% pour toute l’année 2022, par rapport à 2021, pour atteindre 4,279 millions de dinars.
Au niveau des entrées, 6 millions 437 mille touristes de différentes nationalités ont visité la Tunisie en 2022, dépassant les objectifs fixés par le plan d’action triennal de promotion du tourisme tunisien pour la période 2022-2024.
Avec cette reprise, il est donc primordial de réserver des offres touristiques aux Tunisiens et surtout leur offrir un accueil et de bons services.
Les touristes nationaux, qu’on se le dise, ne sont pas des roues de secours. Appelés à la rescousse quand les temps sont durs, et aussitôt relégués en seconde zone quand les affaires reprennent.