A Kairouan où le mercure bat souvent tous les records, il y a une piscine municipale délabrée, désertée et fermée depuis plus de cinq ans. Dans cette ville du centre du pays où la jeunesse reste en proie à tous les maux, à tous les fléaux y compris la consommation de stupéfiants, il n’y a pas de moyens de loisirs.
Dans cette ville pourtant dotée de grands espaces, il n’y a ni parcs urbains, ni parcours de santé. Le seul complexe culturel de la ville, Assad Ibn Fourat, fonctionne cahin-caha et les maisons de jeunes s’adonnent à des activités caduques. L’état du musée de Rakkada mime celui du cimetière étendu sur treize hectares et occupant le cœur de la ville.
Pour revenir à la piscine municipale, ô combien importante par ces temps de canicule insupportables, mais qui reste fermée toutes ces années, il faut dire que la gestion calamiteuse de ce dossier n’a d’égale que l’inertie des responsables locaux.
Amputant le retard des travaux à un promoteur « peu efficace », le secrétaire général de la mairie de Kairouan, Mohamed Kalai, a affirmé que les services concernés ont récemment procédé à l’annulation du contrat signé avec ledit promoteur parce qu’il n’a pas respecté les différentes clauses.
Ce responsable local a, néanmoins, démenti toutes les « informations erronées et les rumeurs » circulant sur les réseaux sociaux, selon lesquelles le montant alloué à la restauration de la piscine municipale aurait été détourné.
Les travaux de restauration de la piscine municipale, faut-il le rappeler, devaient démarrer en janvier 2020 avec une enveloppe totale de 1,7 million de dinars pour une durée de 365 jours, en fonction du contrat.
La société civile ne sait plus à quel saint se vouer
A Kairouan, le ver est donc dans le fruit et les choses n’ont pas bougé d’un iota, cinq voire six décades durant. À l’injustice de Dame nature s’ajoutent l’inertie des hommes et l’incompétence d’un pouvoir local qui n’est bon qu’à parler pour ne rien dire, qu’à multiplier les ruses et fourberies pour gérer et maintenir le chaos. Dans ce sens, l’activiste de la société civile, Samir Fayala, dit avoir vainement organisé plusieurs sit-in et marches de protestation dénonçant la fermeture de la piscine municipale et l’absence de projets de développement à Kairouan.
« Cela fait plus d’une décennie que l’on proteste. Nous l’avons dit et répété : Kairouan s’apparente aujourd’hui à un cimetière et ses habitants seraient, pour bon nombre d’entre eux, des morts sans sépultures comme on dit. Sauf que l’on aurait prêché dans le désert, paraît-il », se désole Fayala.
Abondant dans le même sens, Salem, père de trois enfants et ingénieur de son état, tout comme certains de ses amis, pense quitter sa ville natale, à la recherche de conditions de vie meilleures pour sa progéniture.
« Dans cette ville, on étouffe tous. L’injustice de Dame nature et la misérable condition humaine n’ont d’égales que l’inertie si ce n’est l’incompétence d’un pouvoir local qui n’est bon qu’à s’égosiller devant les caméras », égrène l’ingénieur.
Du même avis que Salem, Walid, professeur de français, pense que la condition humaine est beaucoup plus tragique dans les villes enclavées, en l’occurrence Kairouan, en raison « d’une mauvaise gouvernance que ne fait qu’aggraver les banqueroutes multiformes d’un Etat failli ».
« Compte tenu de ce qui se passe ici depuis des décennies, je n’arrive pas à échapper à l’angoisse de n’être qu’un habitant d’une ville de second rang.
Puis, en me fiant à certains critères logiques dont le rendu de nos responsables locaux, je ne vois pas de lumière au bout du tunnel. D’où la nécessité pour moi de chercher des contrées plus hospitalières pour ma petite famille », regrette l’enseignant de la langue de Voltaire.
En tuant l’espoir, on tue une nation
Une chose est sûre aujourd’hui : le développement régional est resté lettre morte à Kairouan. Les habitants, nantis, moins fortunés et déshérités, fuient leur ville natale. Le régime actuel, tout comme les régimes précédents, réverbère la même géographie des inégalités économiques, éducatives et culturelles.
C’est pourquoi bon nombre d’habitants parmi les 600 mille meublant les plaines du centre du pays se prennent pour des morts sans tombes. «Des morts que même la mort aurait refusés», selon les propres termes du professeur.
Ce que se refuse cependant à admettre la raison c’est que tant de désastres handicapant cette ville puissent être attribués à la seule stupidité du pouvoir local. Lequel pouvoir local maintient le statu quo au lieu de sauver la barque.