Tous les experts tirent la sonnette d’alarme, estimant que l’éducation en Tunisie va mal.
Le système éducatif pose, aujourd’hui, problème. Profondes disparités régionales, abandon scolaire, grande violence et un niveau des élèves qui ne cesse de baisser. Le constat est sans appel, la Tunisie ne peut plus maintenir les mêmes politiques éducatives.
En effet, il suffit de rappeler que les dernières réformes d’envergure du secteur remontent à plusieurs décennies, pour se rendre compte de l’urgence d’un nouveau modèle. Alors que le monde change et que les nouvelles technologies occupent une place de plus en plus prépondérante dans les différents systèmes éducatifs à travers le monde, la Tunisie maintient toujours le même modèle dépassé qui s’appuie sur le contenu, plutôt que sur les compétences ainsi que sur les capacités des élèves, mais aussi du personnel éducatif.
Le Président de la République, Kaïs Saïed, a mis le doigt sur la plaie, lors de la cérémonie organisée, jeudi au palais de Carthage, à l’occasion de la célébration de la Journée du savoir. Annonçant que la consultation nationale relative au Conseil supérieur de l’éducation sera lancée le 15 septembre prochain, il a sévèrement critiqué, au passage, l’actuel modèle éducatif national.
Estimant que le droit à l’éducation reste purement théorique, en l’absence d’une équité sociale garantissant ce droit à tous les Tunisiens, Kaïs Saïed appelle le corps enseignant à s’engager dans ce qu’il appelle « une guerre de libération nationale ». Selon le Chef de l’Etat, le rôle de l’éducation est primordial dans les grandes réformes que l’Etat envisage d’entreprendre.
Alors que la dernière année scolaire a été lourdement perturbée par l’affaire de rétention des notes observée par les instituteurs, le Président de la République a rappelé que les élèves et les étudiants sont confiés aux enseignants et professeurs, et qu’il « n’est pas question à l’avenir d’accepter ce qui s’est passé ces dernières années. Ajoutant : «La copie de l’examen appartient légalement à l’établissement éducatif ».
L’abandon scolaire, ce fléau !
Cette position explicitement formulée par le Chef de l’Etat intervient, en effet, après un bras de fer interminable engagé entre les syndicats et le ministère de l’Education, pendant plusieurs mois. Et c’est justement tout ce contexte tendu qui a considérablement nui au système éducatif, notamment après la révolution, où nous avons observé une explosion des mouvements de protestation et des revendications conduits par le corps enseignant. «Il ne fait aucun doute que les revendications des enseignants et des professeurs sont légitimes», reconnaît, en outre, le Président de la République.
Joint par La Presse, Ridha Zahrouni, président de l’Association des élèves et des parents, n’a pas cessé d’énumérer, pour nous, les maux du secteur liés notamment à l’abandon scolaire et au dilemme des cours particuliers, Zahrouni estime que le Conseil de l’éducation devra constituer une opportunité pour concevoir et mettre en place de nouvelles politiques publiques en matière d’éducation. « Vu le décrochage scolaire massif et l’implication des cours particuliers dans le niveau des élèves qui faussent la donne et l’évaluation, à quoi faut-il s’attendre du système éducatif actuel ? Aujourd’hui, nous nous retrouvons dos au mur, on ne peut plus continuer avec les mêmes choix qui remontent à de nombreuses décennies », s’est-il désolé, affirmant que l’actuel modèle mène à l’ignorance et ne fait qu’aggraver les disparités régionales.
Dressant un bilan du système scolaire, le Chef de l’Etat, dans son discours, a pointé du doigt les problèmes et difficultés qui entravent le bon fonctionnement, tels que l’infrastructure, les programmes d’enseignement, l’abandon scolaire précoce, etc. Le Président de la République a fait savoir que le taux d’analphabétisme dans le pays a augmenté et le nombre d’analphabètes frôle les deux millions, soulignant que cette situation est inacceptable et qu’elle ne peut perdurer dans un pays qui a misé sur l’éducation.
Composition et attributions du Conseil supérieur de l’éducation
Le phénomène de la déscolarisation en Tunisie s’est aggravé considérablement depuis la révolution pour dépasser 100.000 jeunes en 2012 et 63.000 en 2022. Il s’agit d’un seuil psychologique qui a révélé l’échec patent du système éducatif national, et ce, malgré les efforts consentis depuis l’indépendance en 1956.
Bien que nous évoquions un problème mondial, l’abandon ou la déperdition scolaire est un témoin grandeur nature des difficultés que rencontrent les élèves tunisiens confrontés aux difficultés familiales, financières et scolaires. Un constat qui explique la grande dégradation de la relation entre l’élève et son milieu scolaire. Un milieu scolaire lui-même devenu théâtre de violence et de pratiques dangereuses et illicites, comme la consommation de drogues qui met en péril l’ensemble des fondamentaux du processus éducatif. En effet, la consommation de drogues gangrène nos établissements éducatifs. Ce fléau, un casse-tête pour les autorités, inquiète de plus en plus les parents et la société civile.
Tous les experts en la matière ont tiré la sonnette d’alarme, estimant que l’éducation en Tunisie va mal. Ridha Zahrouni va jusqu’à évoquer une situation catastrophique dans nos établissements éducatifs. Lui qui pointe du doigt un modèle obsolète axé uniquement sur la transmission des connaissances d’une manière statique, linéaire, voire verticale.
Selon ses propos, le Conseil supérieur de l’éducation devra proposer des modèles de bonne gouvernance de l’éducation en Tunisie. « Ce conseil devra institutionnaliser la gouvernance de l’éducation et de l’enseignement, tout en adoptant les bonnes politiques publiques en la matière », a-t-il expliqué, jugeant nécessaire d’étudier la composition dudit conseil et surtout ses attributions et ses missions. « La représentation au sein de ce conseil doit être efficace, à titre de comparaison, les membres de telle structure peuvent être une centaine pour atteindre une meilleure représentation. D’ailleurs, nous appelons à ce que les parents et les élèves soient représentés dans ce conseil », a-t-il encore appelé.
Evoquant les réformes urgentes à entreprendre, Ridha Zahrouni considère que l’Etat doit d’abord se concentrer sur l’infrastructure des établissements et sur la révision des programmes d’enseignement. « Il est plus qu’urgent de changer les contenus et de renforcer les capacités des élèves en matière de langues. De même, de nouveaux modules et programmes doivent être insérés. Aujourd’hui, nous parlons de plus en plus d’éducation aux médias, à l’environnement, aux réseaux sociaux, à la technologie… Des réformes pédagogiques doivent également avoir lieu pour changer les contextes d’apprentissage et les recentrer autour des élèves et non plus autour des enseignants ou encore des contenus », a-t-il encore analysé, appelant à opérer ces grandes réformes en impliquant tous les acteurs.