Ridha Chiba, conseiller international en exportation à La Presse : «Mettre un terme à la flambée des prix et à la spéculation»

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La situation économique  actuelle du pays se caractérise par la hausse exponentielle des prix des biens de première nécessité, les pénuries artificielles et les actions fallacieuses menées par les spéculateurs. Ceci a, évidemment, mis le panier de la ménagère en souffrance et a augmenté les profits des spéculateurs. Ces derniers se sont emparé de tous les axes de distribution et de vente au détriment de l’intérêt général du pays. A cet effet, nous avons contacté Ridha Chiba, conseiller international en exportation pour nous fournir plus de  détails sur cette situation économique très complexe et nous proposer des solutions possibles pour remédier définitivement à ces manœuvres dolosives qui ont trop duré et instaurer véritablement une justice économique et sociale à laquelle aspirent les classes les plus démunies. Interview.

Comment analysez-vous la conjoncture économique tunisienne actuelle ?

Le contexte économique se démarque par plusieurs critères qui confirment la situation difficile par laquelle passe notre pays.

De prime abord, nous constatons un manque considérable de création de richesse dû, entre autres, à une absence totale des investissements des capitaux nationaux.

Ensuite, il y a une absence flagrante d’un plan de charge optimal exploitant rationnellement les divers secteurs stratégiques détenus par l’Etat et les privés, le délaissement des entreprises de grande envergure comme les « AMS » et le recours à l’importation de produits concurrentiels.

Egalement, le statu quo, le déséquilibre de la balance commerciale, la régression de certains agrégats économiques, principalement le PIB, dont la croissance  pour 2023 est dépourvue de 2,3%, avec une variation considérée en fonction des conditions de financement et des changements de structure.

Ceci, outre le taux de chômage qui s’élève à 15,6% au deuxième trimestre 2023, l’inflation qui se replie à 9,3% et le taux directeur qui demeure inchangé à 8%, l’absence d’une culture de travail dans un cadre légal garantissant les intérêts de tous les intervenants économiques et sociaux. La situation économique actuelle se caractérise également par l’absence d’une fiscalité rationnelle et équitable, l’absence d’une réallocation de toutes les administrations tunisiennes et le désengagement de l’Etat pour concevoir des options économiques et sociales dans le cadre d’une stratégie claire à court, à moyen et à long termes, allant de pair avec les aspirations du peuple et se basant essentiellement sur le potentiel tunisien.

Concomitamment à cette situation économique critique, la vie en Tunisie se distingue par l’augmentation des prix de façon déraisonnable et surtout le stockage illicite des produits touchant spécialement la nourriture des citoyens, tels que les pâtes alimentaires, le café, le sucre, l’huile végétale. Ajouter à cela les prix des services pratiqués par la « Sonede » et la « Steg » qui ne cessent de s’accroitre d’une manière vertigineuse.

Tous ces critères  ont  fait baisser considérablement le pouvoir d’achat du citoyen et l’ont laissé constamment sous une pression pénible difficilement surmontable.

A quoi est due cette instabilité des prix des produits et des services ?

Nous constatons que les prix de vente et la distribution de plusieurs produits de base sont imposés aux consommateurs finaux, soit par le harcèlement publicitaire et la notoriété des entreprises qui imposent leurs conditions et accaparent la quasi-totalité du marché eu égard aux conditions matérielles dont elles disposent, soit par la spéculation, le marché parallèle, la dissimulation de biens, les lobbies dans plusieurs secteurs économiques stratégiques et vitaux,  et surtout la très mauvaise organisation et l’absence de contrôle d’une manière scrupuleuse des ventes en détail et en gros, et ce, malgré les efforts déployés par les autorités administratives centrales et régionales.

Aussi, nous savons pertinemment que la Tunisie a une consommation céréalière annuelle d’environ  3,4 millions de tonnes répartie comme suit : un million deux cents tonnes de blé dur, un million deux cents tonnes de blé tendre et un million de tonnes d’orge.

A cet effet, il demeure impérieux que l’Etat réalise d’une manière efficiente les meilleures performances conformément à une planification minutieuse, une organisation optimale, une direction fiable et un contrôle rigoureux où l’omission et l’erreur ne peuvent aucunement être tolérées.

Comment pouvons-nous contrôler cette flambée des prix

D’emblée, nous pouvons affirmer que la responsabilité est partagée et incombe à quatre  principaux intervenants, à savoir  le producteur, le vendeur, l’acheteur  et l’Etat.

Pour le producteur, le coût de revient permet de déterminer le niveau minimal de fixation du prix de vente du produit ou de la prestation de service de sorte que l’entreprise puisse rentrer dans ses frais. A cela, il faut déterminer la marge bénéficiaire qui dégage les bénéfices de la vente des produits ou des services.

Pour qu’une entreprise augmente sa rentabilité sans nuire aux consommateurs, plusieurs solutions sont possibles. D’abord, les prix de vente peuvent être augmentés sans trop s’éloigner du prix de marché. Ainsi, les producteurs doivent toujours chercher des partenaires moins chers pour offrir à leurs clients des prix en conséquence. Egalement, ils doivent instaurer un plan de charge adéquat et suivre un processus de fabrication optimal conformément aux normes pour éviter  les répercussions de la non-qualité sur les prix de revient.

Du côté des acheteurs, ces derniers doivent absolument boycotter les prix les plus chers et les produits étrangers qui nuisent aux produits similaires locaux. Ils doivent, par ailleurs, s’adresser systématiquement aux structures en charge des droits  des consommateurs et tous les groupes similaires dans toutes les régions du pays afin de trouver des solutions en cas de litiges, et aussi pour aider au renforcement des campagnes visant à boycotter les produits dont la cherté est anormale. Bref, il est impératif que le Tunisien apprenne à boycotter certains produits et il doit aussi rationaliser sa consommation.

Le distributeur, de son côté, doit absolument lier ses états de stocks réels avec le ministère du Commerce et disposer d’un état dans lequel figurent tous ses clients ainsi que les quantités vendues à chacun d’eux.

Il ne doit aucunement remplacer le détaillant pour assurer une meilleure distribution et un contrôle minutieux.

Comment jugez-vous les produits alimentaires subventionnés  et comment les contrôler ?

La loi de finances pour l’exercice 2023 a prévu un budget de compensation de 8,8 milliards de dinars dont 5,6 milliards de dinars pour la subvention des carburants et 2,5 milliards de dinars pour la subvention des produits de base soit des budgets inférieurs qui ceux prévus par la loi de 2022 (respectivement moins de 25% et moins 33 % par rapport à la loi 2022).

De même, les produits alimentaires subventionnés par l’Etat sont  le grand pain de 400 g, la baguette de 220 g, les pâtes, les couscous, la semoule et le sucre d’un kilogramme, le lait et l’huile végétale d’un litre.

En fait, le montant susvisé  alloué pour la subvention des besoins de base pour la consommation est  insignifiant par rapport au budget de l’Etat qui est de 69, 340 milliards de dinars.

Malgré ces chiffres qui corroborent à juste titre que l’Etat tend à libérer progressivement  les prix des produits de base, nous constatons que tous les produits subventionnés sont accaparés par les spéculateurs qui les acheminent, à leur guise, pour d’autres utilisateurs avec des prix chers et des conditions exorbitantes. Ceci, outre les touristes et les passagers en Tunisie qui en profitent.

Concernant l’Etat, les actions à entreprendre doivent être beaucoup plus sérieuses et appuyées d’un pouvoir dissuasif. Elles doivent vérifier les marges bénéficiaires des intermédiaires et leur conformité avec les lois en vigueur, encourager davantage la vente du producteur au consommateur durant toute l’année et dans toutes les régions du pays. Les actions de l’Etat doivent contrôler la conformité des produits aux normes de production, elles doivent lutter contre les augmentations des prix pour mettre un terme à cette mascarade des corrupteurs, des spéculateurs, des imposteurs et des malfaiteurs.

Comment pouvons-nous contrôler efficacement les prix non homologués ?

En principe, c’est  l’Etat qui doit assurer  les importations des produits stratégiques et ne pas les confier aux privés. Il doit exiger la liaison de tous les états de stock des produits stratégiques avec le ministère du Commerce par les réseaux informatiques et, ainsi, contrôler les prix de revient gonflés et les marges bénéficiaires exagérées à partir de la comptabilité analytique de chaque entreprise.

Les autorités peuvent ainsi décortiquer les produits en sous-produits en déterminant les coûts d’achat des diverses composantes ; à savoir la matière première, la main-d’œuvre, le fonctionnement machine, le temps alloué, les taux de rebuts permis… et vérifier exactement le taux de marge appliqué pour chaque composante ainsi que la marge sur le prix de revient de chaque produit destiné à la vente.

L’Etat doit, d’un autre côté, lutter consciencieusement contre l’économie informelle, le dumping, le lobbying, les monopoles et les groupes de pression. Il doit absolument être intransigeant et dissuasif vis-à-vis des ventes conditionnées, à la concurrence illicite et à la prolifération de la corruption.

Que pouvez-vous suggérer en guise de conclusion ?

La  Tunisie s’attend à une récolte céréalière en deçà des espérances et qui est trop loin des besoins du pays. Cette réalité pourrait engendrer d’éventuelles pénuries de céréales si l’Etat ne se prépare pas convenablement et sérieusement au préalable.

En parallèle et à long terme, l’Etat doit  mettre tout son savoir-faire pour réussir un bon décollage de l’activité agricole en mettant à la disposition des agriculteurs tous les moyens requis, principalement matériels, il doit reprendre toutes les terres qui ont été cédées aux particuliers qui ne les ont pas fait fructifier et les donner aux jeunes ingénieurs avec des objectifs biens déterminés. Il doit aussi mettre en place des mesures motivantes et encourageantes et assurer des suivis et des contrôles rigoureux qui aideraient les investisseurs, dans le domaine agricole, à travailler d’une manière plus sûre. Tout cela aidera le pays à la réalisation d’une autonomie en matière de céréales dans un proche avenir.

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