Le développement de la société de consommation s’est appuyé, depuis des années, sur l’accélération des progrès techniques, la croissance de l’industrie, la transformation et l’amélioration de la vie quotidienne de nombre de populations. Mais ce modèle atteint aujourd’hui ses limites, avec la forte demande en ressources à l’échelle mondiale, la croissance démographique et l’évolution des modes de vie.
L’économie circulaire est devenue aujourd’hui un enjeu crucial. La Tunisie s’est engagée dans une nouvelle démarche en développant ce concept, devenu le socle de nombreuses actions pilotées par les organismes et les centres de recherche technologique, et ce, dans le cadre de sa politique de développement durable et conformément aux objectifs de l’agenda 2030 de l’ONU.
Un concept réaffirmé avec plus d’acuité
Le passage d’une économie linéaire à une économie circulaire est nécessaire de nos jours pour diminuer la pression anthropique sur l’environnement. Même s’il est aujourd’hui impossible d’aboutir à une circularité matière absolue face à la croissance des besoins et aux limites du recyclage, la gestion responsable des ressources impose une nécessaire sobriété mais également l’optimisation du cycle de vie des produits à travers une gestion durable, responsable et rationnelle des flux et stocks de matières.
Face à ces enjeux complexes, des centres de recherche en Tunisie, le Citet en l’occurrence, jouent un rôle majeur. Ils développent, depuis de nombreuses années, des boucles de recyclage innovantes et vertueuses permettant, à partir de déchets miniers, industriels, urbains, de maintenir la matière le plus longtemps possible dans l’économie et ainsi optimiser son cycle de vie.
L’accélération et la densité accrues des phénomènes climatiques extrêmes comme la crise géopolitique autour des questions énergétiques ont conduit aujourd’hui tous les pays à adopter des stratégies de sobriété dans leurs usages comme dans leurs paysages économiques. La prise de conscience de la rareté des ressources premières dans le monde doit désormais s’inscrire dans les faits. D’où la nécessité d’agir sur tous les leviers de transformation sociale et économique, réaffirmée avec plus d’acuité que jamais. Parmi ces derniers, l’économie circulaire qui s’avère incontournable dans la recherche de solutions d’adaptation à ce contexte de raréfaction des ressources.
Sortir du modèle linéaire
L’une des principales causes de la crise actuelle de non-viabilité du modèle économique semble être la poursuite d’une économie linéaire. En effet, une économie linéaire repose sur l’extraction de matières premières pour produire, consommer et éliminer des biens. « La Tunisie a fait le choix de se séparer de ses déchets en recourant à des méthodes non soutenables comme l’incinération et l’enfouissement. Outre les problèmes de la nécessité de trouver des terrains de plus en plus importants pour l’enfouissement des déchets, la décomposition de la matière organique produit des GES potentiellement dangereux tels que le méthane ainsi que la contamination des nappes phréatiques», explique Adel Ben Youssef, enseignant à l’Université Côte d’Azur, activiste dans le domaine de l’environnement, dans une étude intitulée «Vers un nouveau modèle économique fondé sur la croissance verte et le développement durable en Tunisie».
Et d’ajouter que «la Tunisie fait face, aujourd’hui, à un problème de saturation des décharges, leur arrivée à la fin de vie et de la non-acceptabilité sociale des décharges en l’absence de solutions alternatives».
La Contribution déterminée nationale (CDN) de 2021 indique des engagements importants pour le secteur des déchets, comme la réduction de 60% du taux de mise en décharge contrôlée d’ici à 2035. «Beaucoup d’efforts et de créativité seront consacrés à la création d’un modèle alternatif durable pour la gestion des déchets et pour l’économie circulaire. La mise en œuvre d’un modèle d’économie circulaire implique une transition vers un nouveau modèle de cycle de vie du produit», ajoute Ben Youssef.
Peu d’initiatives existent en Tunisie en matière d’économie circulaire. «Les déchets plastiques ont fait l’objet d’un large débat médiatisé ces dernières années, mais la pollution fait toujours des ravages en Tunisie. Les milliards de sacs en plastique défigurant la totalité du pays ne font que renforcer la nécessité de passer à une économie circulaire et de renoncer aux déchets. Le secteur textile en Tunisie vise à réduire son empreinte carbone en mettant en œuvre des pratiques d’économie circulaire».
Ben Youssef affirme que l’industrie textile tunisienne est appelée à se concentrer davantage sur les pratiques commerciales durables, avec le lancement de nouvelles initiatives qui inciteront les parties prenantes à s’aligner sur les principes de la production circulaire et à créer une infrastructure de recyclage plus robuste. D’autres secteurs devraient suivre le pas.
Sur le plan industriel, l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi) se concentre sur des actions qui peuvent développer la chaîne de valeur de l’industrie textile et de l’habillement, en la rendant plus circulaire et durable. En collaboration avec des marques mondiales, des experts internationaux, des parties prenantes locales et des acteurs de la chaîne de valeur textile tunisienne, l’Onudi travaille au développement d’une infrastructure capable de valoriser les déchets textiles post-industriels et pré-consommation, et pour développer des capacités locales qui contribuent à éliminer l’utilisation de produits chimiques dangereux dans la production textile.
Investir dans les infrastructures et les bâtiments durables
Par ailleurs, l’étude indique que les secteurs du bâtiment et des infrastructures constituent des secteurs clés pour la mise en place d’un modèle de développement économique durable en Tunisie. «Il existe un potentiel important d’efficacité énergétique dans le secteur du bâtiment. Mettre en place des normes pour les bâtiments (anciens et nouveaux) et réhabiliter les anciens bâtiments permet de réduire la consommation énergétique de manière sensible». Ceci passe par l’usage de nouveaux matériaux issus du recyclage et de l’économie circulaire.
Dans le même temps, les ouvrages d’infrastructures devraient incorporer le changement climatique et la nécessité d’être résilients à des écarts de température importants et des événements climatiques extrêmes. La montée des eaux, la perte du littoral et les événements extrêmes pourraient faire perdre une part importante des infrastructures côtières. « Repenser les ouvrages dans leurs caractéristiques et améliorer la résilience des ouvrages actuels sont au cœur de la durabilité. De nouvelles stratégies se mettent en place de nos jours pour répondre à ces problématiques. De plus, un véritable intérêt pour la construction écologique est manifesté par les particuliers et les professionnels du secteur suite aux augmentations des prix de l’énergie».
Mettre en place une économie verte et résiliente au changement climatique nécessite de réinvestir dans des solutions durables. A cet égard, une réflexion globale devrait avoir lieu sur le recours aux chemins de fer et au transport des marchandises par d’autres voies que le transport terrestre.
Réduire les émissions de GES de 40% d’ici 2050
La promotion de l’économie circulaire en Afrique du Nord pourrait créer quelque 3 millions de nouveaux emplois et réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici à 2050, c’est ce que révèle le rapport annuel 2023 publié par la Banque africaine de développement : «Mobiliser les financements du secteur privé en faveur du climat et de la croissance verte en Afrique».
Concernant la Tunisie et en se référant à des données de la Banque mondiale au titre de l’année 2019, la mise en œuvre d’une économie circulaire en Tunisie pourrait créer près de 100.000 nouveaux emplois et générer 0,8% de croissance du PIB.
Le rapport indique, dans ce contexte, qu’il existe plusieurs opportunités dans les systèmes alimentaires, les emballages, l’environnement bâti, l’électronique, la mode et les textiles pour une circularité accrue.
Le rapport de la BAD assure que les pays d’Afrique du Nord devraient encourager l’adoption des principes de l’économie circulaire dans l’ensemble de l’économie, y compris dans la conception des produits, la gestion des déchets et l’utilisation des ressources.
Ainsi, les pouvoirs publics pourraient encourager la conception de produits durables, tels que les programmes de responsabilité élargie des producteurs et les normes d’éco-conception, afin d’inciter les fabricants à concevoir des produits de manière à réduire les déchets et à minimiser l’utilisation des ressources tout au long du cycle de vie du produit.
Les pouvoirs publics pourraient également promouvoir le développement de chaînes d’approvisionnement circulaires, y compris des modèles commerciaux circulaires, tels que les modèles de «produits sous forme de services» et les plateformes d’économie de partage, qui encouragent la réutilisation des produits.
Pour atténuer les risques d’immobilisation des infrastructures pétrolières et gazières, ainsi que les pertes économiques et les licenciements qui en découlent, on recommande la réaffectation des oléoducs et les gazoducs à l’utilisation de l’hydrogène vert, ce qui accélérerait le déploiement de la technologie.