Economie circulaire | Mounir Majdoub, économiste et consultant en politiques du développement durable à La Presse : «Les acteurs économiques doivent être engagés dans cette nouvelle démarche»

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Parmi les atouts sur lesquels la Tunisie peut s’appuyer pour développer l’économie circulaire : l’existence d’un vaste tissu de petites et moyennes entreprises et de très petites entreprises, le développement de start-up dans diverses disciplines innovantes, un réseau d’instituts supérieurs d’enseignement technique (ISET) bien réparti dans les régions, des capacités significatives de recherche-développement et un écosystème de microfinance et d’économie sociale et solidaire en développement.

Quelle définition donnez-vous à l’économie circulaire, ce concept qui va plus loin que l’économie verte ?

Pour aborder ce sujet, commençons par donner quelques chiffres. Aujourd’hui, l’humanité produit plus de deux milliards de tonnes de déchets solides municipaux (pour ne citer que ce type de déchets, car il y en a d’autres, y compris dangereux ). Ce volume est appelé à atteindre sept milliards de tonnes en 2050, si rien n’est fait pour inverser la tendance (Banque mondiale, 2018). C’est-à-dire, si l’humanité continue à produire et à consommer de la même façon et en même temps, si les pays en développement épousent de plus en plus le modèle occidental de consommation/production. En Tunisie, nous générons annuellement plus de trois millions de déchets. Ces quantités de plus en plus accrues de déchets doivent être ramassées, puis transportées, pour être traitées ou simplement, comme il est fait aujourd’hui, enfouies dans des décharges plus ou moins contrôlées, avec tout ce que cela représente comme impact sur l’environnement et la santé humaine.

L’économie circulaire se définit par opposition à l’économie linéaire. En fait, il s’agit d’une nouvelle façon de penser et de faire les activités économiques, notamment de production et de consommation des biens et services. Pour simplifier, le modèle économique traditionnel qui a dominé et continue à dominer le monde depuis l’avènement de l’ère industrielle, est basé sur un processus linéaire d’opérations économiques : extraire (extraction de minerais et de ressources naturelles), fabriquer (industries manufacturières), consommer (destruction finale ou intermédiaire) et à la fin du processus, jeter (évacuation de matières résiduelles, solides ou liquides, générées lors des trois premières opérations). Cette matière résiduelle constitue, dans sa majeure partie, des déchets qu’il va falloir s’en débarrasser ou éliminer. Le concept d’économie circulaire est venu en réponse à l’accroissement des quantités de déchets, avec ce que cela représente comme coûts économiques, sociaux et environnementaux. Contrairement à l’économie linéaire traditionnelle, l’économie circulaire consiste à faire de sorte que le cycle de vie économique d’un produit soit allongé. Ce qui signifie qu’il faudra exploiter toutes les potentialités de réduction à la source, de partage, de réutilisation, de réparation, de rénovation et de recyclage des produits et des matériaux existants le plus longtemps possible afin qu’ils conservent leur valeur.

Quelle différence faites-vous entre l’économie bleue et l’économie circulaire?

Il faut distinguer deux concepts de l’économie bleue. Le premier, apparu au début des années 1990, est attribué à l’entrepreneur et économiste belge Gunter Pauli. Selon ce dernier, le modèle économique actuel produit de grandes quantités de déchets et il est émetteur de polluants. L’économie bleue vise à ne plus produire de déchets et de polluants en s’inspirant de ce que fait la nature. C’est qu’on appelle « le bio-mimétisme ». En ce sens, l’économie de Gunter Pauli peut être assimilée à l’économie circulaire, en poussant cette dernière à son extrême : zéro déchet.

Le deuxième concept de l’économie bleue,  devenu de plus en plus commun, est relatif à l’économie de la mer. Il désigne l’exploitation durable des opportunités économiques offertes par la mer et les océans. Une sorte de déclinaison du concept d’économie verte au milieu marin, d’où sa connotation bleue. Il regroupe l’ensemble des activités économiques menées de manière durable, économiquement, socialement et environnementale, dans et autour de la mer: les énergies marines renouvelables, les biotechnologies, les minerais stratégiques des fonds marins, la mariculture, la pêche durable, le tourisme durable, ainsi que toutes les activités de protection de l’environnement et des écosystèmes marins et côtiers.

Quels sont les atouts que présente la Tunisie en matière d’économie circulaire ?

L’économie circulaire peut constituer pour la Tunisie une excellente opportunité afin de faire face à deux défis majeurs : celui de la gestion des déchets (solides et liquides) et celui de la rareté des ressources (minérales, hydriques et autres matières souvent importées). L’économie circulaire constitue également une grande opportunité pour créer des emplois et des entreprises dans les divers métiers, tels que le recyclage, la réparation, la rénovation…

Pour y parvenir, l’ensemble des acteurs économiques doivent être engagés dans cette nouvelle démarche : Etat, collectivités locales, opérateurs économiques et consommateurs. Un tel engagement devra être impulsé, voire guidé, par une politique rénovée en matière de gestion des déchets, qui soit en harmonie et en parfaite intégration avec les autres politiques sectorielles : industrie, énergie, urbanisation et construction, agriculture et alimentation…

Parmi les atouts sur lesquels la Tunisie peut s’appuyer pour développer l’économie circulaire : l’existence d’un vaste tissu de petites et moyennes entreprises et de très petites entreprises, le développement de start-up dans diverses disciplines innovantes, un réseau d’instituts supérieurs d’enseignement technique (Iset) bien réparti dans les régions, des capacités significatives de recherche-developpement et un écosystème de microfinance et d’économie sociale et solidaire en développement. Toutefois, ces atouts gagneront à être renforcés et modernisés, en les orientant là où c’est pertinent vers les nouveaux métiers en rapport avec l’économie circulaire.

Quels sont les engagements de la Tunisie vers une économie bleue ?

Par rapport à l’économie bleue, au sens de l’économie durable de la mer et des zones côtières, je constate que les pouvoirs publics ont commencé à s’engager dans une stratégie-programme depuis près de deux ans. Initiée par le ministère de l’environnement, en coordination avec le secrétariat des affaires maritimes, cette stratégie-programme vise à protéger les ressources marines et côtières, en encourageant les activités installées à atténuer leurs impacts, à s’adapter et à accroître leur capacité de résilience aux effets du changement climatique et aux catastrophes naturelles. Ces engagements concernent également le lancement de plans de gestion intégrés des zones côtières et la poursuite des actions visant le développement et la préservation des aires marines protégées.      

Comment l’économie circulaire peut-elle être, grâce aux opportunités de croissance que présentent les secteurs qui la forment, un levier de développement socio-économique en Tunisie ?

Toute nouvelle activité économique, aussi petite soit-elle, est génératrice de croissance et d’emploi. L’économie circulaire, comme nous venons de la présenter, permet l’émergence de nombreux nouveaux métiers, ou le développement de métiers existants, dans toutes les étapes de la chaîne de valeur d’un produit. Cela commence depuis la conception et l’ingénierie jusqu’à l’étape de recyclage, en passant par les créneaux de réemploi, réparation et rénovation. Si le potentiel de croissance et d’emplois n’est pas encore établi de manière précise, il est certain que plus la dynamique de circularité se développe, plus de nouvelles opportunités émergent.

Sur le plan social, outre la création d’emplois, les activités liées à l’économie circulaire s’apprêtent parfaitement à l’économie sociale et solidaire et peuvent par là même contribuer à la réduction de la pauvreté et à l’amélioration des conditions de vie des populations démunies. Il s’agit ici des activités comme le partage (par exemple partager l’utilisation d’un équipement électroménager entre plusieurs familles d’un même quartier) ou la rénovation et la réutilisation. 

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