La Tunisie a été parmi les premiers pays africains à se doter d’une instance nationale de protection des données, sachant que ces données qu’on met souvent sous le chapeau ‘big data’ forment la base des intelligences artificielles.
L’écosystème d’intelligence artificielle évolue chaque jour à l’échelle mondiale. Comment la Tunisie peut se positionner sur ce domaine ?
L’écosystème tunisien n’a rien à envier aux écosystèmes des pays développés. Tout y est : en formations diplômantes : licence, master et ingénieur en intelligence artificielle et technologies/disciplines y afférentes. Il est basé sur la recherche scientifique dont pratiquement toutes les structures de recherche que ce soient les laboratoires ou unités ou centres de recherche touchent à l’IA de près ou de loin, qu’elle soit théorique et/ou appliquée.
La Tunisie a mis au point le label Start up-act qui a aidé beaucoup de jeunes novateurs à lancer leurs start-up dans des domaines basés sur l’IA. Outre ce label, beaucoup d’incubateurs publics et privés ont été également d’un grand apport au niveau de la préparation et la formation de ces jeunes aux métiers d’entrepreneur. Néanmoins et malgré ces encouragements, les jeunes se plaignent de la lourdeur administrative. Et c’est ce qui explique certainement le nombre très bas de sociétés tunisiennes spécialisées en IA (103) ce qui place la Tunisie à la septième position derrière l’Afrique du Sud (726), le Nigéria (456), l’Egypte (246), le Kenya (204), le Maroc (126), le Ghana (115), et ce, selon une étude datée du mois de juillet 2023 et réalisée par le Policy center for the new south.
Selon le Global innovation index 2023, la Tunisie a reculé par rapport aux années précédentes et se classe à la quatrième position à l’échelle africaine derrière l’Ile Maurice, l’Afrique du Sud et le Maroc et 79e sur 132 pays à l’échelle mondiale.
Malgré cette position assez respectable, la Tunisie se classe parmi les derniers pays au niveau de la sophistication des marchés et des affaires. Notons néanmoins, pour ne citer que ces deux, que les sociétés Instadeep et Enova Robotics se classent parmi les meilleures sociétés IA au monde et les premières en Afrique du point de vue innovation et collecte de fonds. La Tunisie a été parmi les premiers pays africains à se doter d’une instance nationale de protection des données, sachant que ces données qu’on met souvent sous le chapeau ‘big data’ forment la base des intelligences artificielles.
Quels sont les enjeux de l’IA et leur impact, non seulement sur les entreprises, mais aussi sur l’environnement socioéconomique ? De quelle manière la Tunisie pourrait-elle réellement bénéficier de l’intelligence artificielle aux niveaux économique et social?
En fait, il n’y a pas qu’une seule IA : la première IA née en 1956 qui mime l’être humain dans son comportement et les tâches qu’il exécute, l’IA générative actuelle telle que chatGPT, la future-moyen terme IA dite générale qui égalera/concurrencera l’homme dans tous les domaines et la futuriste-long terme IA dite superIA qui surpassera l’être humain et le guidera dans tous les domaines.
Elles peuvent toutes avoir des impacts aussi bien positifs que négatifs sur les aspects socioéconomiques, géopolitiques, environnementaux et technologiques. Ces impacts peuvent croître — dans les deux sens — avec les versions IA que je viens de citer.
Par ailleurs, celui qui gouvernera l’IA gouvernera le monde. Ce ne sera pas certes la Tunisie du moins pour le moment. Ce ne sera pas non plus l’Europe. Ce sera la guerre entre les USA et la Chine.
Alors que peut-on faire en Tunisie pour ne pas rater le coche comme c’était le cas pour la digitalisation ? Eh bien, il faut absolument créer une instance/commission suprême indépendante de tout ministère et rassemblant différentes compétences pour revoir la stratégie nationale IA qui, apparemment, existe mais je ne la vois personnellement nulle part et même si elle existe, il faut la revoir en fonction des avancées vertigineuses actuelles de l’IA que nous sommes en train de vivre. Il faut créer également une synergie entre les éléments de l’écosystème que j’ai cités car ils ne sont malheureusement pas en train de collaborer suffisamment. Il est nécessaire de renforcer l’infrastructure : internet au niveau des bandes passantes, les réseaux mobiles nouvelles générations, …etc. On doit aussi doter la Tunisie de ses propres data-centers afin de stocker et historiser ses propres données, car il s’agit de la souveraineté nationale et surtout mettre au point des mécanismes de régulation adaptés à notre environnement socioéconomique et culturel. Et bien évidemment faire de l’IA une priorité nationale en matière de développement à tous les niveaux et dans toutes les disciplines.
Peut-on dire que l’IA menace plusieurs métiers ? Comment peut-on se protéger de la cybercriminalité qui ne manquera pas de proliférer grâce à l’Intelligence Artificielle ?
C’est la question que l’on se pose avec l’apparition de toute nouvelle technologie. C’était le cas de l’informatique. Regardez maintenant toutes les opportunités d’emploi qu’offre ce domaine. Ce sera pareil avec l’IA. Elle détruira certains métiers ou les transformera et en créera plein d’autres qu’on ne connaît pas encore. Parmi les métiers les mieux payés au monde actuellement ce sont les spécialistes en data science, vision par ordinateur et cybersécurité basés IA.
Justement parlons de cybercriminalité, l’IA est une arme à double tranchant : elle peut aussi bien faciliter les cyber-attaques que les contrer. Il faut former donc des spécialistes en IA-cybersécurité de haut niveau. Cela dit, aucun système au monde ne peut être sécurisé à 100%.
Cela dit en passant, nous avons la chance d’avoir en Tunisie une agence nationale dédiée à la cybersécurité qu’il faut absolument renforcer en matière de formation et plateformes ad-hoc. Il faut surtout motiver et retenir son personnel technique pour ne pas quitter comme c’était le cas de plusieurs compétences de son ancêtre : l’Agence nationale de la sécurité informatique.
Quels sont les domaines de recherche prometteurs en intelligence artificielle qui pourraient avoir un impact significatif sur l’avenir de la Tunisie ?
Il n’y a pas un domaine plus prometteur qu’un autre en IA. Elle touche tous les secteurs. Afin d’être le plus efficace possible, il faut absolument : supprimer/réduire le fossé qui existe entre l’université et la recherche du monde des entreprises même si certains mécanismes existent déjà mais sont encore inefficaces. Le but est d’encourager l’IA appliquée aux domaines vitaux tels que : la santé, l’environnement, l’industrie 4.0 voire 5.0, etc. Et donc créer des centres/équipes de recherche transdisciplinaires orientées IA. A titre d’information, j’ai organisé au mois de juin 2023 au sein de l’académie Beït al-Hikma en collaboration avec l’association tunisienne d’IA une table ronde autour des IAs dégénératives telles que chatGPT et qui a rassemblé d’éminentes personnalités de différents horizons. L’une des questions était de décider s’il faut ou non les interdire dans le domaine de l’enseignement. La réponse était bien entendu : non. Il faut plutôt revoir le mode d’enseignement en fonction des technologies émergentes de l’IA : la pédagogie, l’évaluation… Ainsi, des recherches sont indispensables dans le domaine didactique et pédagogique, et ce, pour préparer les générations futures à une utilisation responsable, transparente et éthique de l’IA.