Cela frise l’absurde. Rien qu’avec sa Médina et ses sites annexes, classés Patrimoine de l’Humanité depuis 1988, Kairouan pourrait devenir, à elle seule, une destination touristique à part entière que l’on achète de toute part dans le monde surtout par les musulmans. Que dire, alors si nous lui ajoutons sa région ? Hélas la réalité est tout le contraire (Voir notre précédente chronique).
Le complexe historique de la Médina de Kairouan est, en effet, en train de tomber en ruine, cela s’il n’est pas totalement défiguré et enlaidi, et sa prestigieuse histoire et sa contribution décisive au progrès de l’Humanité, occultée. Quant à sa région, elle continue de manquer de tout, à tel point qu’elle caracole en fin de classement rien que dans le domaine de l’éducation.
Et c’est ainsi qu’elle se retrouve obligée, depuis des dizaines d’années, de se contenter (ou de subir le fait) d’être une destination de transit qui n’a d’autre vocation et mission que d’enrichir le produit touristique des régions de Hammamet-Nabeul, de Sousse, de Monastir et même de Tunis.
La ville sainte, la quatrième du monde musulman et ancienne capitale de tout l’Occident islamique (Grand Maghreb et Andalousie) de sa fondation en 670 et jusqu’au VIIIe siècle, puis de la Tunisie tout au long de près de quatre siècles, est, en effet, sérieusement menacée et son environnement urbain social et humain ainsi que l’ensemble de sa région manquent de tout.
Nous avons eu l’occasion de visiter les capitales historiques respectives de plusieurs pays (Maroc, Turquie, Corée du Sud, Malte et France-Avignon ayant été pour un siècle la capitale religieuse du catholicisme et de l’Europe). Un éclat et un prestige à vous couper le souffle, dus à une attention exceptionnelle et de hauts égards de la part des gouvernants. Aucune comparaison avec ce que Kairouan est en train de subir.
La cause, plusieurs défaillances, y compris celles résultant de politiques publiques peu efficaces, pour ne pas dire absence de volonté politique. Notre capitale historique est, en effet, marginalisée depuis son occupation par la France colonialiste en septembre 1881 (qui l’avait encerclée avant sa reddition par trois armées différentes, en la menaçant de destruction) et jusqu’à nos jours. Depuis, Kairouan a perdu sa place de deuxième ville du pays, après Tunis (et capitale par intérim en période de troubles) et commencé sa « descente aux enfers ». La France l’a reléguée à un rang inférieur et l’a d’ailleurs rendue enclavée en la privant de sa sous-région donnant sur le littoral, celle d’Enfidha. Hélas, et comme déjà dit, la région en question (plus de 600 mille hab.) continue, même après la fin de l’occupation, de s’embourber dans son quotidien, nettement sous-développé, par rapport aux régions proches, sur le littoral, à en dépendre d’elles à tous les plans et dans presque tous les domaines.
Enchaînons ici pour noter, encore une fois, que Kairouan et sa région manquent de tout ou presque pour leurs habitants, surtout côté santé, infrastructures de base, commerces et loisirs, à tel point que l’ambiance y est plate pour ne pas dire morose et déprimante et que l’insatisfaction et l’indignation y sont à leur apogée. Comment alors espérer, à la vue de cette situation très peu reluisante, en faire une région touristique en bonne et due forme ?
Capitale mondiale de la médecine au Xe siècle, qui a continué d’être une incontournable référence jusqu’au XIXe et même plus, Kairouan se retrouve, depuis des lustres, sous-développée côté santé et soins médicaux. Lors de la pandémie de Covid-19 (SVP… la et non le… Covid étant la maladie causée par le Coronavirus), elle a souffert le martyre. Traduire, le touriste ordinaire n’est pas tenté de séjourner dans une ville médicalement risquée.
De plus, elle a été privée de sa faculté de médecine. Celle, ironie du sort, qui a été implantée à Sousse porte le nom d’Ibn Al Jazzar, l’illustre représentant de la prestigieuse «Ecole de médecine de Kairouan». Seconde aberration nationale, une autre a été implantée à Monastir à 20 km de ladite faculté.
Autre injustice, la seconde radio régionale publique après celle de Sfax, qui était destinée à Kairouan a été détournée au profit de Monastir. Il a fallu attendre l’avènement de la «Révolution» pour que Kairouan puisse enfin posséder, grâce à l’initiative d’un privé, une station bien à elle.
Haut potentiel en termes de tourisme, culturel, de congrès et écologique mais faible rentabilité. Kairouan et sa région regorgent, en effet, de trésors naturels et culturels. De quoi transformer cette région en un grand pôle de tourisme alternatif. Sachant que la ville est à environ 60km de l’Aéroport international d’Enfidha-Hammamet. Cette dernière donne est elle aussi énigmatique, car au lieu d’améliorer la qualité de la route entre Enfidha- Kairouan qui fait partie de la N2, en provenance de l’autoroute A2, l’effort a été concentré sur celle reliant Kairouan à Sousse. La N2 étant restée très dangereuse et très accidentogène (étroite, à une voie seulement par sens, sans protections aucune et des bords sous forme d’un petit précipice…)
Enigmatique aussi, la privation de Kairouan de sa voie ferrée, à cause d’un tronçon endommagé il y a plus d’un demi-siècle par les inondations, ce qui la prive surtout d’un moyen de transport sûr, rapide et moins coûteux. Et chose curieuse, même son code postal (3100) est une subdivision.
La route express entre Kairouan et Sousse, qui a été mise en service il y a près de huit ans, a permis, certes, de diminuer le temps et d’augmenter la qualité et la sécurité du trajet du voyage, elle a eu, cependant, faut-il le rappeler, le triste effet de renforcer le phénomène d’osmose ou d’attraction en faveur de Sousse, besoins de tous genres exigent donc d’augmenter la dépendance de la première par rapport à la seconde.
La problématique que nous venons d’exposer, ici, est heureusement soulevée depuis plusieurs années, soit dans le cadre de la réflexion autour de la situation et le devenir dudit secteur d’une façon générale, soit pour chaque région concernée. La réflexion est organisée, autour du sujet par les autorités, mais aussi par la société civile (y compris médias, professionnels et chercheurs).
Disons, encore une fois, que le problème majeur dans toutes les régions sous-exploitées et même parfois à l’échelle nationale réside dans l’absence ou la faiblesse du produit touristique et para-touristique. C’est comme si l’on exporte du diamant brut sans aucune valeur ajoutée.
(A suivre)