La ville sainte, la quatrième du monde musulman et ancienne capitale de tout l’Occident islamique, puis de la Tunisie, se retrouve obligée, et cela dure depuis des dizaines années, de se contenter (ou de subir le fait) d’être une destination de transit qui n’a d’autres vocation et mission que d’enrichir le produit touristique des régions de Hammamet-Nabeul, de Sousse, de Monastir et même de Tunis.
Haut potentiel en termes de tourisme, culturel, de congrès et écologique mais faible rentabilité. Kairouan et sa région regorgent, en effet, de trésors naturels et culturels capables de la transformer en un grand pôle de tourisme alternatif. Sachant que la ville est à environ 60 km de l’Aéroport international d’Enfidha-Hammamet.
Rien qu’avec sa Médina et ses sites annexes, classés Patrimoine de l’Humanité depuis 1988, Kairouan pourrait pourtant facilement devenir le plus grand pôle de tourisme culturel du pays et même au Maghreb. Mieux encore, elle pourrait à elle seule devenir une destination touristique à part entière que l’on achète de toute part dans le monde, surtout par les musulmans. Que dire alors si nous lui ajoutons sa région ?
Hélas, la réalité est tout le contraire (voir nos deux précédentes chroniques). Le complexe historique de la Médina de Kairouan est, en effet, en train de tomber en ruine, cela s’il n’est pas totalement défiguré et enlaidi, et sa prestigieuse histoire et sa contribution décisive aux progrès de l’Humanité, occultée.
Cela sans parler de ses plusieurs dizaines de zaouias, de ses remparts, dont un pan s’est effondré, il y a quelques semaines, causant la mort de trois personnes et son cimetière musulman, le plus ancien du genre dans le pays et qui renferme les restes de milliers de célébrités.
Ses célèbres bassins des Aghlabides, uniques au monde, continuent de filer de la guigne à longueur de journée, son fameux puits légendaire Barrouta, l’un des plus anciens monuments hydrauliques encore en service (depuis au moins 14 siècles, le seul qui possède un caractère sacré), aussi.
Son célèbre musée des Arts islamiques, possédant de riches et exceptionnelles collections dont celle du fameux parchemin bleu, semble très peu fréquenté. Situé à une dizaine de kilomètres du centre-ville, il est souvent oublié et son parc, mal entretenu.
Kairouan est, en plus, en train de perdre son riche patrimoine immatériel et son artisanat, et des centres comme celui des tisserands à Houmet Ejjraba ou des dandiniers à Souk Ennehas (du cuivre), des crimes que personne ne pardonnera, car chaque Tunisien est, qu’il le veuille ou non, aussi kairouanais.
Ville de milliers de célébrités du monde des sciences islamiques, de la littérature, de la poésie, des arts de l’image et celles de la scène, ayant laissé des empreintes indélébiles chacun dans son domaine, Kairouan met rarement en valeur les lieux où celles-ci avaient résidé. Une plaque commémorative ne coûterait pourtant rien ou peu.
Alors que les étals anarchiques pullulent, rien n’indique, hélas, que ladite ville a été pendant quatre siècles une grande capitale des sciences, des lettres, des Arts, du mysticisme, etc. Même sa fameuse académie (Beït el hikma, «La Maison de la sagesse», fondée vers 850, la seconde après celle de Bagdad) a été ressuscitée, à Carthage.
Quant à la région (plus de 600 mille hab.), elle continue, même après la fin de l’occupation, de s’embourber dans son quotidien, nettement sous-développé, par rapport aux régions proches, sur le littoral, à en dépendre d’elles à tous les plans et dans presque tous les domaines, et de collectionner les tristes records.
Oui, tout manque ou presque, surtout côté santé, infrastructures de base, commerces et loisirs, à tel point que l’ambiance y est plate pour ne pas dire morose et déprimante et que l’insatisfaction et l’indignation y sont à leur apogée.
Même des plaques qui indiquent par où prendre la route pour y aller, de Tunis, de Sousse ou de Sfax n’existent pas. Comment alors espérer, à la vue de cette situation très peu reluisante, en faire une région touristique en bonne et due forme ?
Kairouan-ville est réellement déprimée et subit stoïquement sa mise à l’écart. C’est comme un bijou de famille que l’on montre aux visiteurs pour prouver la noblesse de sa famille alors qu’elle est à elle seule une civilisation à part entière et a influé sur le court de l’histoire universelle pendant au moins quatre siècles et sur celle de notre pays et continuera d’influer sur son présent et sur son avenir.
Déchets et saletés sont depuis des années devenus des composantes fixes du paysage urbain. Absence totale ou presque de jardins publics en bonne et due forme, d’arbres d’ornement pour les rues et les avenues et chose curieuse, très peu de palmiers.
Absence aussi de monuments-fontaines, de plans d’eau, d’un parc familial doté d’un petit zoo et d’un grand manège. Absence d’une salle de cinéma (si nous excluons celle polyvalente du Complexe culturel) et la piscine municipale est hors service depuis six bonnes années.
Mais Kairouan-ville doit rester une ville spirituelle, culturelle, scientifique et pour repos. Une ville pour le tourisme familial et religieux. Elle doit devenir celle des festivals internationaux, des congrès et des salons et des tournages de films. Marrakech est à un certain niveau un bon exemple.
A cette spécificité, nous devons ajouter une vocation sportive. Kairouan doit devenir aussi une ville sportive, et ce, grâce à l’organisation de grands événements sportifs. Un tournoi maghrébin de foot, par exemple comme celui qu’organisait notre journal tout au long des années 1970, est facile à organiser et pourrait être rapidement lancé.
Kairouan (ville et région) pourrait, grâce entre autres à son air sain et sec et ses eaux à caractère curatif, devenir aussi une bonne destination pour le tourisme de santé. Cela en plus de son haut potentiel en termes de tourisme écologique avec d’énormes possibilités côté gîtes ruraux.