L’Etat s’est de plus en plus tourné vers la dette extérieure, ces dernières années, pour soutenir son économie. En 2022, cette dette représentait près de 90 pour cent du PIB. En 2023, les besoins en financement de l’Etat ont atteint le chiffre record de 7,5 milliards de dollars. Les prévisions des dépenses budgétaires de l’Etat s’élèvent à 17,3 milliards de dollars, contre des recettes estimées à 14,9 milliards de dollars, tandis que les coûts du service de la dette s’élèvent à 5,1 milliards de dollars. En 2024, la Tunisie devra faire face à des remboursements de sa dette de l’ordre de 3,9 milliards de dollars, contre 2,8 milliards de dollars en 2023.
Compte tenu de ces chiffres, les investisseurs étrangers s’interrogent sur la viabilité de la dette du pays à long terme. Fin janvier, Moody’s a baissé la note de la Tunisie de Caa1 à Caa2 (indiquant un risque de défaut de paiement très élevé), en y ajoutant une « perspective négative ». Une autre agence, Fitch, a rétrogradé la note souveraine de la Tunisie à quatre reprises depuis mars 2020 (alors qu’elle ne l’a remontée qu’une fois sur cette période). En mars 2022, ces deux agences ont rétrogradé la note du pays de B- avec perspective négative à CCC, et en juin 2023 de CCC à CCC- (une baisse par rapport à la notation de Moody’s en janvier, car CCC équivaut à Caa2 dans les autres systèmes, légèrement différents). Compte tenu des taux d’intérêt prohibitifs (plus de 20%) que cette notation souveraine entraînerait, la Tunisie n’a pratiquement accès à aucun financement de la dette sur les marchés internationaux.
Un accord révisé avec le FMI n’est pas impossible
Avec l’augmentation de sa dette extérieure et le tarissement des sources abordables de crédit extérieur, deux choix se présentent pour la Tunisie : accepter un nouvel accord avec le FMI ou le refuser. Sachant que la possibilité d’un nouvel accord avec le FMI, même si elle semble négligeable pour l’instant, ne devrait pas encore être écartée.
Malgré les contraintes et la suspension des négociations, un accord révisé avec le FMI est peu probable, mais n’est pas encore impossible. L’accord d’octobre 2022 date de plus d’un an et la révision de l’offre de crédit nécessiterait une mise à jour des indicateurs macroéconomiques (tels que le taux de chômage et les projections de croissance) utilisés pour fixer les conditions. Pour qu’un accord soit conclu, le Fonds devra apporter d’autres changements à ses conditions pour satisfaire au moins certaines des préoccupations de la Tunisie. Cela devrait être possible. D’ores et déjà, les partenaires occidentaux et le FMI ont fait part de leur volonté de modifier la proposition de prêt afin d’atténuer l’impact social des réformes. Les partenaires internationaux de la Tunisie sont parfaitement conscients de la situation économique difficile dans laquelle se trouve le pays en raison des prix élevés de l’énergie et de la hausse des taux d’intérêt mondiaux, ainsi que d’une décennie de faible croissance et d’instabilité politique. Ils savent également que la mise en œuvre du mécanisme élargi de crédit 2016-2019 du FMI a contribué à la dépréciation du dinar et à la hausse des prix de l’énergie sur le marché intérieur.
Cependant, tout accord avec le FMI nécessitera des efforts pour combler le déficit budgétaire du pays, ce qui implique des réductions douloureuses des salaires dans la fonction publique, des réductions progressives des subventions à l’énergie et une privatisation partielle ou complète des entreprises publiques. Toutes ces réformes sont politiquement et socialement sensibles. Il est peu probable que le FMI juge suffisantes les éventuelles recettes supplémentaires générées par des taxes nouvelles ou plus élevées. L’augmentation de la charge fiscale risque notamment d’être difficile, étant donné que, ces dernières années, les autorités ont déjà augmenté les impôts pesant sur l’économie formelle et rationalisé la collecte des impôts, ce qui laisse peu de place à une amélioration. En outre, toute tentative d’augmenter les impôts risquerait d’effrayer les investisseurs étrangers et d’alimenter de nouvelles tensions sociales. Les économistes favorables à un accord avec le FMI soutiennent qu’un accord révisé prévoyant certaines réductions de dépenses, mais moins importantes que celles envisagées dans l’accord d’octobre 2022, serait la meilleure solution, à condition que le gouvernement le complète par des mesures visant à stimuler l’activité économique et à promouvoir une reprise économique forte qui réduirait le ratio dette/PIB et renforcerait la solvabilité à long terme.
Ces économistes considèrent qu’un nouveau plan d’investissement plus détaillé que celui pour 2023-2025 pourrait permettre d’atteindre cet objectif. En outre, selon eux, la relance des activités commerciales et de l’investissement en parallèle rendrait le recours au FMI plus acceptable pour toutes les parties prenantes.
Conséquences économiques
Certains économistes estiment qu’il est possible d’éviter le défaut de paiement sans une nouvelle facilité du FMI, prétendant également qu’un défaut de paiement de la dette extérieure pourrait ne pas être si grave. Ils affirment plus précisément que l’impact économique et social de ce type de défaut, suivi d’une restructuration de la dette, serait limité et donc tolérable. En cas de défaut de paiement, d’après les déclarations de plusieurs économistes tunisiens et européens, le gouvernement pourrait puiser dans les réserves de devises étrangères qui étaient auparavant destinées au remboursement de la dette. Les réserves totales ont atteint 117 jours d’importations en septembre, leur plus haut niveau depuis 2022, principalement grâce au prêt saoudien du mois d’août. Celui-ci pourrait importer des biens de première nécessité et négocier un plan de restructuration de la dette plus avantageux. D’autres économistes estiment qu’un défaut de paiement de la dette extérieure n’entraînerait pas automatiquement ou immédiatement une chute brutale du taux de change et donc la faillite des banques tunisiennes.
Quels que soient les efforts déployés pour minimiser le problème, l’explosion de la dette intérieure est très préoccupante. Comme le soulignent plusieurs économistes tunisiens, de nombreuses grandes entreprises privées et publiques, telles que l’Office des céréales, sont largement endettées auprès des banques nationales. Depuis plusieurs mois, le ministère des Finances n’a pas indemnisé les entreprises privées et publiques qui produisent des produits de base subventionnés. Privées de ces transferts gouvernementaux, les entreprises locales ont continué à financer leurs opérations en augmentant leurs emprunts auprès des banques tunisiennes. Face au marasme économique, le FMI, les bailleurs de fonds et les autres partenaires du pays devraient continuer à encourager la Tunisie à éviter le défaut de paiement en travaillant avec le FMI à la conclusion d’un accord révisé. Ils devraient également encourager le Fonds à faire preuve d’autant de flexibilité qu’il peut en offrir de manière responsable pour parvenir à un accord, en reconnaissant qu’une trop grande rigueur pourrait à la fois rendre l’accord impossible à accepter politiquement par la Tunisie et potentiellement dangereux si les mesures de restrictions provoquaient des troubles sociaux.
(Synthèse du rapport «Tunisie : éviter le défaut de paiement préserver la paix» du Crisis groupe)