Accueil A la une Rencontre avec Selma Baccar : «Le cinéma d’auteur est un cinéma d’engagement»

Rencontre avec Selma Baccar : «Le cinéma d’auteur est un cinéma d’engagement»

 

« Femmes et cinéma d’auteur en Tunisie » est le thème d’une rencontre avec la réalisatrice Selma Baccar, organisée récemment à la Bibliothèque Diocésaine (Médina de Tunis), au cours de laquelle elle a évoqué son parcours de cinéaste engagée sur différentes questions en rapport avec la condition de la femme, la société, la politique, etc.

Selma Baccar a commencé à co-écrire avec Leila Sardi son premier scénario « L’éveil » sur un petit cahier d’écolier bleu. Puis elle l’a réalisé avec des bouts de ficelle dans les environs d’Hammam-Lif, la ville où elle a grandi et appris à faire du cinéma dans le cadre du club des cinéastes amateurs. Après avoir pris goût à la caméra, elle décide de faire des études de cinéma à Paris. Diplôme en main, elle est engagée par la télévision tunisienne en tant que réalisatrice, mais l’expérience est de courte durée. Elle préfère l’aventure avec tous les risques que cela peut engendrer à un poste fixe qui l’empêche de réaliser ses rêves.

La voilà indépendante, la tête pleine de projets et les mains libres pour entreprendre une nouvelle expérience dans un secteur dominé, à cette époque-là, par les hommes, du scénario à la réalisation en passant par la caméra, l’assistanat, le son, l’étalonnage… A l’occasion de la Journée internationale de la femme, le ministère de la Culture lui confie la réalisation d’un film qui milite en faveur de la condition de la femme en Tunisie. Ça sera « Fatma 75 ». « Le film est censuré parce qu’il ne correspondait pas au discours officiel de l’époque. Pourtant, il remporte le Ducat d’Or au festival de Mannheim en 1979. En Tunisie, il ne verra le jour que dans les années 2000 », évoque Selma Baccar.

En 1975, elle réalise « Habiba M’sika, la danse du feu », un film d’époque sur une chanteuse juive qui fut tuée par son amant. «Malgré cette fin tragique, le personnage secondaire poursuit dans une scène symbolique l’idée que la vie continue, que le destin des femmes va évoluer. Je défends cette même idée quelles que soient les histoires que j’aborde dans mes autres films», poursuit la réalisatrice, dont l’œuvre a fait polémique pour diverses raisons. « Naïvement, je croyais que je pouvais changer le monde avec la caméra. En dépit de toutes les entraves, je reste fidèle à mes principes : l’égalité homme-femme, respect de l’autre, etc. ».

Entre artistique et politique

Entre deux longs-métrages, Selma Baccar ne croise pas les mains, elle occupe des postes de productrice exécutive, d’assistante à la réalisation sur plusieurs films et continue de rêver à d’autres projets. « Je n’ai jamais senti de difficultés par rapport à ce qu’un homme pouvait faire. Bien au contraire, j’ai même parfois joui de quelques privilèges en tant que femme pour obtenir certaines faveurs ». En 1990, elle devient la première femme productrice en Tunisie en créant sa propre compagnie « Inter Media Productions », ce qui lui donne plus de liberté pour produire ses films et ceux des cinéastes, dont elle se sent proche. «J’ai fait tous les métiers qui étaient interdits aux femmes de cette époque. J’ai été la première assistante réalisatrice à la télévision, la première régisseuse générale, la première directrice de production, et enfin productrice ».

En 2006, elle réalise « Khochkhach, fleur d’oubli » dans lequel elle aborde un sujet tabou d’une femme dont la vie conjugale bascule lorsqu’elle découvre l’homosexualité de son mari et pour oublier ses problèmes, elle consomme le khochkhach (pavot). Après ce film, Selma Baccar s’engage dans la politique et intègre, après, la révolution de 2014, le parti El Massar et est élue députée à l’Assemblée Constituante, représentant le gouvernorat de Ben Arous. Suite à cette parenthèse politique où elle a essayé de défendre entre autres les droits des femmes, elle reprend la caméra en 2017 pour réaliser «El Jaida», le troisième opus d’une trilogie qui a pour cadre la Tunisie d’antan. Le film est une reconstitution de Dar Joued (Prison de femmes) des années 50. Quatre femmes de conditions sociales différentes se trouvent enfermées par leurs maris auxquels elles ont désobéi dans cet établissement.

Juillet 2023, elle tourne son quatrième long métrage « Nafoura » (Fontaine) qui réunit une pléiade d’acteurs, dont Rym Riahi, Amira Derouiche, Khaled Houissa et Ali Bennour. Le scénario qu’elle coécrit avec Amna Remili raconte les événements de l’été 2013 après l’assassinat du martyr Mohamed Brahmi qui a été suivi du sit-in « Arrahil ». C’est lors de cette période effervescente que trois femmes fuyant leur passé font connaissance dans un hôtel de Tunis et décident de participer au sit-in. Leur vécu personnel s’enchevêtre avec l’histoire en cours du pays et adhère aux événements politiques et sociaux en pleine mutation. Le film est dans la phase de post-production et sera prêt pour être présenté au public au mois d’octobre 2024.

Actuellement, Selma Baccar ne chôme pas. Elle joue le rôle d’une grand-mère dans le film « Bayet El Hiss » (Garde le silence) de Leila Bouzid, dont le tournage se déroule à Sousse. Ce n’est pas la première fois qu’elle entreprend une telle expérience. Elle a déjà interprété de petits rôles dans plusieurs films courts et longs métrages tunisiens. Une aventure qui semble lui plaire et la rend heureuse.

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