La fin de l’épopée de Dihiya fille de Tabtet fils de Tifân, surnommée la Kahéna par les chroniqueurs arabes, dernière guerrière qui, plus de huit siècles après Jugurtha, a tenté de rassembler sous sa bannière la nation berbère pour la libérer du joug d’un envahisseur étranger et d’instaurer un Etat national, remonte donc à l’an 703. C’était au cours d’une bataille qui l’opposait pour la seconde fois aux troupes nombreuses venues de Cyrénaïque sous la conduite du général arabe Hassan ibn-Noômane. Les historiens divergent sur la localisation de cette ultime bataille.
Tout un décorum et toute une dramaturgie ont été montés par les historiographes arabes pour relater le déroulement de cette bataille. Les chroniqueurs rapportent qu’avant la confrontation finale, la Kahéna interrogea l’un de ses officiers :
• Que vois-tu à l’horizon ?
• Une sorte de nuage rouge?
• Que non. C’est la poussière soulevée par les cavaliers arabes.
Puis, se tournant vers Khaled ibn-Kaïci, jeune prisonnier arabe qu’elle a placé sous sa protection après l’avoir adopté et qui l’avait trahie en instruisant un espion de Khaled ibn-al-Walid, l’ennemi de Dihiya, sur l’état de l’armée berbère:
• Je ne t’ai adopté qu’en prévision d’un jour comme celui-ci. C’est ma fin.
Khaled lui aurait répondu :
• S’il en est ainsi, que ne quittes-tu pas le pays ?
Et elle de rétorquer :
• Comment fuirais-je, moi la Reine ? Les vrais rois ne fuient pas la mort. Si je le faisais, je léguerais la honte à mon peuple jusqu’à la fin des temps.
Par un véritable trait de génie, la Kahéna aura su éviter un bain de sang à son peuple
La bataille décisive aurait eu lieu à El-Jem et la mort de Dihiya serait intervenue en Algérie, en un endroit appelé Puits de la Kahéna. Ses enfants, dont elle avait confié le sort à son ennemi, se sont convertis à la nouvelle religion, entraînant dans leur sillage les masses berbères restées fidèles au souvenir de leur reine. Sorcière, la Kahéna ? Perspicace, assurément, si l’on s’en tient à la version arabe de cet épisode de l’histoire de l’Ifriqiya. Car, par un véritable trait de génie, elle aura su éviter un bain de sang à son peuple grâce au stratagème de l’adoption de Khaled Kaïci et du placement de ses fils sous la protection du général arabe.
Le souvenir de Dihiya est à peine évoqué dans nos manuels d’histoire. Et aucune recherche sérieuse ne semble lui avoir été consacrée. Quant aux lieux de mémoire… Pas même une seule plaque commémorative. Contrairement aux voisins algériens qui perpétuent sa mémoire de diverses manières, notamment par des monuments à sa gloire ainsi que par des événements célébrant son souvenir, annexant, pour ainsi dire, à leur profit exclusif une page de notre histoire commune. Et ce n’est pas leur faute !