La location des maisons de vacances, autrefois une pratique plus ou moins accessible à de nombreuses familles tunisiennes, est aujourd’hui marquée par une flambée des prix, avec des services souvent médiocres et un marché parallèle qui explose et échappe à toute réglementation.
Chaque été, des milliers de Tunisiens se ruent vers les zones côtières pour fuir la chaleur de plus en plus étouffante des villes et profiter des moments de fraîcheur à la plage. Ils ont le choix entre un séjour dans un hôtel, inaccessible pour un grand nombre, mais aussi la location de logements pieds dans l’eau pour des coûts moins élevés. Seulement, leurs vacances peuvent virer au cauchemar. En cause, un marché en pleine expansion mais qui reste non réglementé.
En effet, la location d’une maison de vacances dans les régions côtières est devenue un véritable casse-tête pour de nombreuses familles, qui doivent débourser des sommes relativement astronomiques pour des prestations souvent médiocres.
Ainsi, les zones côtières très prisées sont situées notamment à Nabeul, Sousse, Kélibia, Mahdia, Bizerte ou encore à Djerba. Toutefois, cette quête de tranquillité estivale se heurte à des obstacles de plus en plus grands, notamment la cherté des prix, la médiocrité des services offerts, et un marché parallèle qui échappe totalement à la régulation de l’État.
La demande croissante a fait grimper les prix. Les prix de location peuvent atteindre plusieurs milliers de dinars pour une quinzaine de jours. Ce phénomène est amplifié par l’absence de plafonnement des prix et par la spéculation qui règne dans ce secteur. De ce fait, pour les familles tunisiennes, louer une maison en bord de mer devient un luxe inaccessible. Les ménages à revenu moyen, qui constituaient autrefois une grande partie de la clientèle de ce marché, se retrouvent progressivement exclus au profit de touristes étrangers ou de la classe aisée.
Une forte demande malgré tout
Au-delà du coût excessif, les vacanciers doivent aussi composer avec des prestations souvent décevantes. Problèmes d’équipements, d’entretien ou d’hygiène sont monnaie courante dans de nombreuses locations. «J’ai déjà eu des fuites d’eau, des climatiseurs en panne et même des cafards dans la cuisine», témoigne Sonia, une mère de famille qui a opté pour une location à Kélibia. « Quand on réclame de meilleurs services, les propriétaires traînent les pieds ou refusent purement et simplement, sachant qu’ils ont toujours d’autres clients derrière », a-t-elle déploré.
Le manque de régulation de ce marché lucratif par les autorités a engendré de nombreux abus. «Les prix ont carrément explosé ces dernières années», se plaint Sami, un quinquagénaire originaire de Tunis. « Pour une maison de deux chambres près d’une plage à Hammamet, on nous demande jusqu’à 2000 dinars par semaine ! C’est complètement démesuré par rapport à nos moyens, mais aussi par rapport aux services proposés », témoigne-t-il, déplorant à son tour des services qu’il juge médiocres.
Des tarifs exorbitants
La plateforme immobilière Mubawab a publié, il y a un mois, son guide de location estivale 2024. Ce manuel propose une analyse détaillée des tendances de location saisonnière et des prix moyens par nuitée dans les principales zones touristiques du pays. Ainsi, à Hammamet Nord, les prix des appartements S+1/S+2 oscillent entre 120 et 410 dinars la nuitée, tandis que les villas peuvent coûter entre 450 et 1.550 dinars la nuitée !
À Kélibia, les appartements S+1/S+2 se louent entre 140 et 350 dinars par nuitée et les villas entre 240 et 1.000 dinars par nuitée. On explique aussi qu’à Djerba, les appartements S+1/S+2 coûtent entre 80 et 150 dinars par nuitée, tandis que les villas varient entre 350 et 750 dinars par nuitée.
Contactée à cet effet, la vice-présidente de l’Organisation de défense du consommateur, Thouraya Tebassi, a reconnu que les prix des hôtels et des locations estivales sont très élevés et ne sont pas à la portée des Tunisiens en comparaison de l’année précédente seulement. Elle a appelé les clients à signaler toute infraction et à déposer des plaintes en cas d’exploitation ou de fraude. « Les Tunisiens doivent faire preuve de conscience dans leurs choix, savoir se défendre et éviter de supporter des charges et des dépenses au-delà de leurs moyens, et de ne pas tomber dans le piège de l’endettement pour des vacances », a-t-elle encore averti.
Une surévaluation des biens immobiliers
Autre phénomène. Un marché parallèle a prospéré depuis quelques années, par la location de logements non déclarés et donc sans aucun contrôle.
Ces locations clandestines permettent certes de trouver parfois de meilleures offres, mais exposent les vacanciers à de nombreux risques : absence de garantie, problèmes de sécurité, etc.
Alors que le tourisme balnéaire demeure un pilier de l’économie tunisienne, les autorités peinent, en effet, à réguler efficacement ce secteur d’activité. Les clients appellent, à cet égard, de leurs vœux une intervention rapide pour encadrer les tarifs, améliorer les normes de qualité et lutter contre les locations illégales. Sans quoi, les vacances d’été risquent de rester un casse-tête pour de nombreuses familles tunisiennes.
Cette inflation des prix n’est pas uniquement le fruit de la loi de l’offre et de la demande. Elle est également liée à une surévaluation des biens immobiliers dans les zones côtières, où la valeur des propriétés a été artificiellement gonflée par des années de spéculation immobilière.
Du tourisme informel
L’économiste Mourad Hattab explique qu’un marché touristique parallèle est en train de se former en Tunisie, où les logements destinés aux vacanciers captent environ 15 % du chiffre d’affaires des hôtels, tandis que l’évasion fiscale dans cette activité atteint environ 95 %, selon ses affirmations.
« La hausse des prix des hôtels a contribué à l’augmentation de la demande pour les locations estivales dans les régions côtières. Cependant, il est difficile de structurer cette activité qui est classée parmi les activités économiques parallèles », a-t-il détaillé. Et de poursuivre : «Il est très difficile de structurer le marché des locations estivales en raison de plusieurs facteurs, parmi lesquels la saisonnalité de l’activité, la difficulté de contrôler l’utilisation des logements, ainsi que le non-respect des textes réglementaires relatifs aux locations, aux impôts et aux assurances ».
L’économiste estime qu’il est désormais possible de parler de tourisme informel en Tunisie. Il considère que les logements destinés à la location estivale constituent un concurrent sérieux du tourisme hôtelier, des complexes touristiques et résidences supervisés par les autorités touristiques et payant leurs impôts.