Ces dernières années, les autorités se sont lancées dans une vaste opération de restitution de ces terres afin de les exploiter au profit du bien commun. Sauf que la récupération des terres domaniales, un processus pourtant encadré par la loi, se heurte à de nombreuses difficultés d’ordre administratif, juridique et même social. Mais comment ces terres, appartenant à l’État et souvent objet de litiges, sont-elles concrètement récupérées ? Décryptage.
La question des terres domaniales, sujet complexe et souvent polémique, a pris une importance croissante ces dernières années. Alors que le pays cherche à optimiser l’utilisation de ses ressources agricoles, la récupération et la valorisation des terres domaniales sont devenues des priorités stratégiques. Cependant, ces processus sont souvent entravés par des problèmes administratifs, fonciers et juridiques.
En effet, la récupération des terres domaniales est une question cruciale pour l’avenir agricole et la prospérité du pays. Ces terres, appartenant à l’État, représentent un potentiel immense pour l’agriculture, la préservation de l’environnement et le développement rural. Toutefois, leur exploitation efficace et leur protection contre la spoliation nécessitent une stratégie bien définie, impliquant divers acteurs et une procédure rigoureuse, s’accordent à dire les différents intervenants.
Autant rappeler qu’en Tunisie, la nationalisation des terres en 1964 a permis aux pouvoirs publics de disposer d’un patrimoine foncier important. Ces terres avaient été constituées à partir d’un processus de domanialisation, à la suite de la disqualification des droits traditionnels et de l’introduction, par le Protectorat, du droit moderne. Les terres alors accaparées avaient été attribuées à des colons. Récupérées dès l’Indépendance, ces terres ont été mobilisées, tout au long des années qui ont suivi, pour servir les différentes politiques agricoles.
Sauf que la révolution a remis en cause la politique des terres domaniales. Dans plusieurs régions, des fermes ont été attaquées et occupées de force, des récoltes confisquées et les travaux préparatoires aux cultures annuelles entravés. Selon certains rapports que nous avons consultés, les attaques ont touché, dès les premiers mois de la révolution, plus de 100 grandes exploitations, représentant des milliers d’hectares et les dégâts ont été estimés à plus de 30 millions de dinars tunisiens.
L’Etat reprend ses droits
Ces dernières années, les autorités se sont lancées dans une vaste opération de restitution de ces terres afin de les exploiter au profit du bien commun. Sauf que la récupération des terres domaniales, un processus pourtant encadré par la loi, se heurte à de nombreuses difficultés d’ordre administratif, juridique et même social.
Mais comment ces terres, appartenant à l’État et souvent objet de litiges concernant leur usage ou leur occupation illégale, sont-elles concrètement récupérées ?
Pour répondre à cette question, nous avons contacté le ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières. Un haut responsable explique à cet effet que la récupération de ces terres est régie par un ensemble de lois, de textes et cadres juridiques.
On cite notamment la loi n° 59-48 du 07/05/1959 relative à la mise sous séquestre des terres dont l’exploitation est insuffisante ou négligée ; la loi n° 74-57 du 20/06/1974 complétant la loi n° 72-39 du 27/04/1972, relative à la vente de terrains acquis par l’Etat en vue soit de la construction d’immeubles, soit de l’aménagement ou de l’extension des villes…
Absence de titre de propriété valide de l’occupant
Tous ces cadres réglementent les procédures de récupération des terres domaniales impliquent notamment les services du ministère et ceux de l’Office des terres domaniales (OTD). De ce fait, on nous explique que les mécanismes de récupération des terres consistent d’abord en des décisions d’évacuation émises par les gouverneurs à l’encontre des occupants illégaux des propriétés publiques. Ensuite, par l’émission de décisions de déchéance des droits contre les locataires qui ont manqué aux conditions qui leur sont imposées, principalement les conditions contractuelles telles que le non-paiement des loyers, la cession du bien à un tiers.
«La récupération des terres publiques peut également se faire par des jugements judiciaires initiés par la mission du ministère des Domaines de l’État qui charge le représentant général de poursuivre en justice les occupants illégaux des terres publiques. Étant donné que les procédures judiciaires sont longues et qu’il existe des difficultés d’exécution, l’instrument le plus efficace reste l’exécution des décisions administratives, telles que la déchéance des droits ou les décisions d’évacuation de force», a-t-on expliqué.
Ces procédures sont précédées, bien entendu, d’une enquête afin de confirmer le statut domanial du terrain et l’absence de titre de propriété valide de l’occupant, et par une identification des terres, et ce en collaboration avec les autorités locales.
On nous explique dans ce sens qu’entre 2011 et 2021, quelque 90 mille hectares ont été récupérés par les services dudit ministère.
Dispersion des compétences entre deux ministères
Sauf que malgré la coordination entre les différentes parties impliquées dans la récupération des terres publiques, subsiste un problème de dispersion des compétences en matière de supervision des terres domaniales, car la loi n° 44 de 1992 a maintenu la compétence d’exploitation de ces terres publiques sous la responsabilité du ministère de l’Agriculture, tandis que l’aspect contractuel a été confié au ministère des Domaines de l’État.
Selon nos informations, la superficie totale des terres domaniales dans toute la République est passée d’environ 800 mille hectares à l’aube de l’indépendance à 300.000 hectares actuellement, dont plus d’un tiers est géré par l’Office des terres domaniales, comprenant 160.000 hectares sous affectation, et 60.000 hectares sous gestion temporaire. Dans les terres domaniales, l’emploi agricole est plus permanent et plus qualifié. Ces terres domaniales fournissent près de 18.000 emplois permanents et offrent des opportunités de travail occasionnel.
Ces terres appartenant à l’Etat constituent, donc, une ressource précieuse, notamment dans un contexte où l’agriculture reste un pilier de l’économie nationale. L’exploitation de ces terres pourrait contribuer à l’augmentation de la production agricole, réduire la dépendance alimentaire à l’égard de l’étranger, et générer des emplois dans les zones rurales.
La valorisation de ces terres par des projets agricoles durables permettrait également de lutter contre l’exode rural, en offrant des opportunités économiques locales.
Quid de la valorisation ?
La valorisation des terres domaniales passe par plusieurs mécanismes. L’État peut décider de redistribuer ces terres à des agriculteurs, souvent dans le cadre de programmes de réforme agraire.
Ces terres peuvent également être exploitées par des sociétés publiques ou privées via des contrats de bail emphytéotique (un type de bail fait pour une durée de plus de dix-huit ans minimum et de quatre-vingt-dix-neuf ans maximum). Un système qui permet une exploitation à long terme, tout en garantissant le patrimoine de l’État.
Alors que l’Etat a décidé, ces dernières années, d’allouer les terres domaniales à de jeunes chômeurs, les conditions d’attribution devraient être révisées et les services de l’État devraient être plus actifs en matière d’accompagnement technique et financier et de suivi. Notons également que ces domaines peuvent être exploités directement par l’État via des fermes pilotes ou louées à long terme à des agriculteurs ou à des coopératives, ou encore intégrées à des projets de développement agricole public-privé.
Sauf qu’en dépit de ces mécanismes de valorisation, plusieurs questions se posent.
D’ailleurs, en mars dernier, le Chef de l’Etat, Kaïs Saïed, a estimé que la question des terres domaniales suscite de graves problèmes, soulignant que la législation en vigueur n’a pas permis une bonne gestion de ces domaines. «Dans la plupart des secteurs, l’injustice et la corruption, notamment au niveau des commissions de gestion, ont fait que ces terres ne soient pas bien exploitées», a-t-il regretté. Et d’appeler à de nouvelles lois «qui rompent définitivement avec les textes actuels, relatifs aux terres domaniales».