La loi n°41-2024 du 2 août 2024, portant sur la réglementation des chèques en Tunisie, constitue un tournant majeur dans le secteur financier du pays. Face à l’augmentation des chèques sans provision, cette réforme est nécessaire pour sécuriser l’utilisation des chèques, tout en renforçant la transparence.
La Chambre de commerce et d’industrie de Tunis a organisé un séminaire sur « la nouvelle réglementation des chèques à la lumière de la loi n°41-2024 du 2 août 2024 », et ce, le jeudi 21 novembre 2024 à Tunis. Ce séminaire a pour objectifs d’expliquer et de mieux maîtriser cette nouvelle réglementation ainsi que de clarifier tous les dispositifs y afférents.
Dans ce contexte, Oualid Gadhoum, professeur à la Faculté de droit de Sfax et expert indépendant, nous a expliqué lors de son intervention que la promulgation de la loi 41-2024 en date du 2 août 2024 vise à renforcer la sécurité et la fiabilité des transactions par chèque, améliorer les pratiques bancaires, réaliser le développement économique et la justice sociale et régulariser la situation des personnes condamnées ou poursuivies pour émission de chèques sans provision.
La fin des transactions par chèques ?
En effet, ladite loi a apporté une profonde mutation des procédures de résolution des incidents des chèques sans provisions, un allégement des sanctions et une plus grande responsabilisation des banques.
« Les dispositions de la loi 41-2024 semblent annoncer la fin des transactions par chèque en Tunisie. Il est presque clair, à travers ses dispositions, qu’une grande partie des transactions par chèques sera supprimée et les usagers du chèque vont privilégier le virement bancaire et la carte bancaire », confirme Gadhoum.
Il indique qu’un chèque valable doit obligatoirement comporter les mentions suivantes, sous peine de nullité : l’identité du tiré, l’identité de la banque (tireur), l’identité du bénéficiaire, la date d’émission, la date de validité préremplie par la banque, le montant du plafond du chèque prérempli par la banque, le montant du chèque rempli par le tiré, qui ne doit pas dépasser ce plafond, et la signature du tiré.
Par ailleurs, le chèque doit être présenté au règlement par le bénéficiaire au plus tard huit jours à compter de sa date limite de validité indiquée au bas du chèque. Ainsi, à partir du 30 janvier 2025, tout effet autre qu’un chèque certifié, dépourvu de l’une des mentions obligatoires suivantes : sa valeur maximale, la date de sa validité, la désignation du bénéficiaire, ou comportant un montant dépassant sa valeur maximale, ou encore présenté au paiement huit jours ouvrés après l’expiration de son délai de validité, ne sera pas considéré comme un chèque.
« Les dispositions de l’article 351 du Code de commerce relatives à la forme du chèque, et plus précisément en ce qui concerne l’option de mentionner ou non le bénéficiaire du chèque, sont abrogées. Le chèque ne peut être tiré qu’au profit d’une personne dénommée, qu’elle soit physique ou morale ». Toutes les dispositions (articles 359 à 370) relatives à la transmission du chèque, notamment l’endossement, sont abrogées. «La transmission du chèque par endossement n’est plus possible », explique le professeur.
Il a ajouté que le carnet de chèques sera soumis à un plafond global, réparti entre les chèques, ainsi qu’à une durée de validité, déterminés par la banque en fonction de la solvabilité du client. Sa durée de validité sera d’au moins six mois (aucun pays dans le monde n’a prévu de date limite de validité pour le chèque) ; son plafond sera de 30.000 DT maximum ; un barré général, sauf demande justifiée du client ; le nom du bénéficiaire et un QR code.
C’est aussi l’affaire des banques !
Gadhoum souligne que la formule des chèques doit inclure des chèques barrés. La banque peut délivrer au client, à sa demande, un chéquier contenant des chèques non barrés lorsque cela est nécessaire. À partir du 30 janvier 2025, il incombe à la banque de déterminer la valeur plafond globale de chaque formule de chèque, autre que certifié, pour une durée déterminée en fonction de la financière de chaque client.
La valeur susmentionnée est divisée par le nombre de feuilles du chéquier, et il est obligatoire d’indiquer, en tête de chaque feuille, sa valeur maximale, sans dépasser, en aucun cas, un montant de 30.000 dinars. Les plafonds de chaque feuille peuvent être des montants variables ou fixes, selon la demande du client.
La banque doit fournir une information claire et détaillée à ses clients sur la limite globale de la formule de chèques non certifiés et les risques qui y sont associés.
L’établissement bancaire doit également prendre les mesures nécessaires pour éviter l’émission de chèques sans provision, en particulier : étudier la solvabilité financière du client et l’évaluer en tenant compte de son niveau d’endettement par rapport à ses obligations financières courantes et non courantes, déterminer la capacité du client à régler ses paiements par chèque dans un délai raisonnable, surveiller les transactions risquées et les flux de trésorerie du compte courant qui dépassent la capacité de recouvrement du client, soutenir des solutions de paiement alternatives susceptibles de sécuriser les transactions financières (comme les virements bancaires, les chèques électroniques, les cartes de paiement bancaires et d’autres méthodes de paiement numériques), mettre en œuvre toutes autres mesures et procédures imposées par la BCT.
Oualid Gadhoum annonce, par ailleurs, que « l’établissement bancaire doit procéder à un contrôle périodique du plafond global à chaque nouvelle demande de chéquier. Le cas échéant, il peut s’abstenir de remettre au titulaire du compte des formules de chèques autres que celles utilisables pour un retrait direct ou pour un retrait à provision certifiée.
Avant la remise des formules de chèques et à chaque nouvelle demande, le banquier doit : se renseigner auprès de la BCT sur la situation du titulaire du compte, examiner et évaluer la situation financière du client en fonction de son niveau d’endettement et de ses engagements financiers, qu’ils soient courants ou non, déterminer la capacité du client à couvrir ses paiements par chèque sur une période déterminée, contrôler les mouvements financiers à risque et les flux financiers dépassant la capacité de paiement du client, prendre toutes les mesures et procédures imposées par la BCT, encourager les demandeurs de chèques à recourir à d’autres moyens de paiement (virement, carte bancaire, chèques électroniques et tout autre moyen de paiement numérique).
Les principales réformes:
La loi contient les réformes suivantes : le renforcement des obligations et de la responsabilité des banques ; l’adoption d’un nouveau format de chèque avec un plafonnement ; la mise en place d’une plateforme électronique pour les transactions par chèque ; la suppression de la criminalisation de l’émission de chèques sans provision pour un montant égal ou inférieur à 5.000 dinars ; la possibilité de poursuites pénales uniquement sur plainte du bénéficiaire ; l’amélioration des pratiques bancaires et le renforcement de la fonction économique et sociale des institutions bancaires ; et la régularisation de la situation des condamnés ou poursuivis pour émission de chèques sans provision, avec des garanties pour le créancier.
Nouvelles dispositions pénales
L’expert nous parle des plus importantes dispositions pénales de cette nouvelle loi ; « sous réserve des dispositions relatives aux chèques d’une valeur inférieure à 5.000 dinars et dans le cas où la transaction échoue par médiation, la peine encourue est un emprisonnement de 2 ans (au lieu de 5 ans) et une amende égale à 20% (au lieu de 40%) du montant du chèque ou du reliquat de la provision. Toute personne qui émet un chèque d’un montant supérieur à 5.000 dinars et ne dispose pas d’une provision préalable et disponible, ou dont la provision est inférieure au montant du chèque, ou qui récupère tout ou partie de la provision après l’émission du chèque… est également punie.
Quiconque accorde sciemment un financement portant intérêt dans des opérations non autorisées par la loi ou contrevient à la législation applicable à ces opérations sera puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de dix mille dinars. De même, toute personne qui remet ou reçoit un ou plusieurs chèques dans le but d’obtenir un remboursement d’un financement avec intérêts sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de vingt mille ».
Gadhoum signale que d’après les nouvelles dispositions pénales, sont punies de deux ans de prison et d’une amende égale à 20 % du montant des chèques : les tirés de chèques d’une valeur supérieure à 5.000 dinars sans provision et non régularisés. Les tirés de chèques impayés d’une valeur inférieure ou égale à 5.000 dinars ne feront plus l’objet de poursuites pénales.
« La banque doit œuvrer pour réduire les causes d’émission de chèques sans provision, renforcer son rôle économique et sa fonction sociale, et éviter les pratiques contraires aux normes professionnelles. Elle doit prendre, en faveur des individus, de petites entreprises ou de petites et moyennes entreprises, certaines mesures comme le fait d’allouer au moins 8 % des bénéfices de l’exercice comptable précédent pour créer des lignes de financement de petite envergure.
Elle doit réduire le taux d’intérêt fixe applicable à un prêt en cours de remboursement ou à un nouveau prêt dont la durée totale de remboursement dépasse 7 ans, si la valeur totale des intérêts contractuels perçus au cours des trois années précédentes dépasse 8 % du principal restant dû, sans tenir compte des intérêts mentionnés. La banque doit établir, dans un délai maximum de 15 jours à compter de la demande de réduction, un nouveau tableau d’amortissement basé sur le principal restant dû, sans les intérêts contractuels, la durée restante et un nouveau taux d’intérêt équivalent au produit du taux d’intérêt précédent multiplié par un coefficient d’ajustement de 0,5. En cas de réduction du taux d’intérêt, une nouvelle demande ne peut être présentée que 3 ans après la demande précédente. La demande ne donne lieu à aucun frais supplémentaire ni à une modification des conditions du contrat de prêt concernant les garanties réelles ou personnelles, ni aux conditions particulières de remboursement anticipé du principal. Il est nécessaire de limiter les frais maximums pour les services et produits bancaires, qui seront fixés par décret sur avis de la Banque centrale de Tunisie. Les services et produits bancaires non mentionnés dans le décret sont considérés comme gratuits », termine Gadhoum.