Le net rebond du nombre de films produits prouve-t-il la bonne santé du cinéma tunisien ?
La Presse— Si on se base sur la programmation des films tunisiens à la 35e édition des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), on peut dire qu’au niveau quantitatif, le cinéma tunisien se porte bien dans l’ensemble. Il n’y a qu’à voir le nombre record de films. Un nombre approximatif, mais qui donne une idée de la dynamique de la production cinématographique tunisienne grâce à l’énergie des réalisateurs, mais aussi du budget à hauteur de cinq milliards consacrés à la subvention de la production des films, tous genres confondus. Environ une trentaine de longs métrages de fiction, une cinquantaine de courts métrages de fiction, au niveau longs métrages documentaires, on compte également une trentaine, voire plus et une flopée de documentaires courts. Tous ces films sont produits, soit avec une aide de l’Etat, soit à titre personnel avec des fonds propres du réalisateur ou du producteur. On ne peut que se réjouir de cette bonne moisson de films. Des productions qui, sur le plan social, ont permis de fournir de l’emploi aux techniciens et acteurs. Ces derniers ont pu exercer leur savoir-faire. Un savoir-faire sollicité même dans les productions étrangères. Le film qui a marqué l’année 2024 est «Les enfants rouges» de Lotfi Achour qui a obtenu 13 prix dans des festivals internationaux, dont le Bayard d’or à la 39e édition du Festival international francophone de Namur, le Yusr d’or, le prix de la meilleure réalisation au 4e Festival international du film Red Sea à Djeddah et le Tanit d’or à la 35e édition des Journées cinématographiques de Carthage. «Les enfants rouges» tiennent donc le haut du pavé des films d’auteur. La production de films tunisiens se caractérise par leur diversité : des films d’auteur aux films grand public, il existe une large variété d’œuvres allant du drame à la comédie en passant par le thriller psychologique, le film social et le film politique, etc. offrant un panorama d’œuvres dont certaines comptent parmi les meilleures du cinéma arabe et africain. Cette année, parmi les nouveautés la reconversion de stars de cinéma en réalisateurs, à l’instar de Dhafer Abidine, dont le long métrage tourné en Arabie saoudite «Ila Ibni» (A mon fils) est sorti dans les salles tunisiennes. Il vient de terminer le tournage en Tunisie du suivant «Sofia» et Dorra Zarrouk s’est placée derrière la caméra pour réaliser un long documentaire «Win Sirna» (The life that remains), projeté en séance spéciale lors de la 35e édition des JCC.Sur le plan commercial du palmarès des films qui font les meilleures entrées, on retrouve «Super Tounsi», «Bolice» et tout récemment «Sahbek Rajel». Les deux premiers sont des adaptations au cinéma de séries télévisées qui ont déjà connu un succès. Des têtes d’affiche, à l’instar de Kamel Touati, Karim Gharbi, Bassem Hamraoui, Yassine Ben Gamra, sont des valeurs sûres sur lesquelles les producteurs peuvent compter. Le public ayant besoin de divertissement tire profit de ces films qui sont réalisés correctement et selon un format bien déterminé.
Si la production se porte plus ou moins bien malgré plusieurs soucis internes à la profession, au niveau de l’infrastructure, il n’y a pas eu d’amélioration. Aucun investissement pour la création de nouveaux espaces de projection, même si l’appel a été lancé de multiples fois. Les quelques rares salles de cinéma vivotent difficilement parfois même avec une aide de l’Etat pour qu’elles ne ferment pas, sauf les salles du Groupement Goubantini et l’Agora, gérées avec plus ou moins de perspicacité. Pour pallier l’absence de salles de cinéma, un projet a été inauguré cette année et consiste en un projet de cinéma itinérant baptisé «Cinémadour». Il s’agit d’un camion-cinéma mobile d’une capacité de cent places qui sillonne les villes et les villages reculés pour permettre à la population de vivre des moments de cinéma. L’expérience a l’air de fonctionner et elle fait la joie des parents et de leurs enfants. Une expérience unique au cœur de la magie du cinéma.
Mais est-ce suffisant ? Parmi les festivals cinématographiques ayant donné satisfaction grâce à leur programmation équilibrée, compte tenu toujours de leur budget réduit, il y a le Festival international du film amateur de Kélibia (Fifak), dont une copie a été organisée récemment avec succès à Tataouine, la première édition du Festival international du film du Sahara de Ksar Ghilane (Kébili), un nouveau-né qui peut ouvrir des horizons intéressants dans cette région reculée du pays s’il se fixe une ligne éditoriale précise. Le Fifak, quant à lui, reste fidèle à ses objectifs, mais doit apporter quelques nouveautés à sa programmation, même si la dernière session est réussie. Du côté des JCC, la 35e édition a été sauvée grâce à la pléthore de films tunisiens, mais hésite à se positionner au milieu du grand nombre de festivals internationaux. Certains panels ne tiennent pas la route. Quant à l’organisation, il y a des failles à éviter comme lors de l’ouverture ou de la clôture où des intrus se permettent de grimper sur la scène pour manifester leur colère. Cela ne s’est vu dans aucun autre festival.