« A mes yeux, le concept même des PME constitue un levier fondamental du développement économique du pays ainsi qu’une véritable fierté nationale. Néanmoins, en l’absence d’une prise en charge rapide, efficace et structurée, ce tissu économique créateur de valeur et d’emplois resterait en péril », a affirmé Ridha Mrabet, ancien président directeur général d’une Sicar régionale. Il a aussi mis en garde contre le passage d’un modèle productif à un modèle rentier et improductif.
La Presse — Depuis plus de dix ans, la Tunisie subit des crises économiques et sociales. Ceci affecte considérablement les petites et moyennes entreprises (PME) qui souffrent d’une fragilisation croissante. Dans ce contexte, Ridha Mrabet, ancien président directeur général d’une Sicar régionale, a confié à La Presse que, malgré son départ à la retraite il y a près de cinq ans, il reste profondément attaché au développement régional et, en particulier, au soutien des PME. D’après lui, ces dernières souffrent considérablement des défis économiques et financiers engendrés par les crises successives que traverse le pays depuis 2011, et ce, en raison de leur vulnérabilité. «Ces difficultés ont été exacerbées par la pandémie de Covid-19 ainsi que par les tensions géopolitiques en Ukraine et au Moyen-Orient», a-t-il rappelé.
Un pilier central de l’économie nationale à soutenir
Et de poursuivre : « Les cas que je connais, notamment ceux des PME établies dans le Nord-Ouest, sont particulièrement alarmants. Ces entreprises sont confrontées à des difficultés majeures et risquent, pour beaucoup, la faillite. Ce tissu économique, qui a longtemps été un pilier central de l’économie nationale et une importante source d’emplois depuis les années 1970, a également contribué à l’émergence des principaux groupes économiques tunisiens d’aujourd’hui ».
A ses yeux, le concept même des PME constitue un levier fondamental du développement économique du pays ainsi qu’une véritable fierté nationale. Mrabet a souligné qu’en l’absence d’une prise en charge rapide, efficace et structurée, ce tissu économique créateur de valeur et d’emplois est en péril, tout en précisant que cela pourrait provoquer une distorsion économique, remplaçant un modèle productif par un modèle rentier et improductif. «Je fais ici référence aux PME ayant un fort potentiel en matière de production, d’emploi et d’exportation, ainsi qu’à celles capables de répondre efficacement aux besoins de consommation en services et en biens. Sans elles, ces besoins seraient inévitablement comblés par des importations ou par le marché parallèle », a-t-il mentionné. Il a par ailleurs, précisé qu’en l’absence de soutien financier et d’encadrement de proximité pour ces entreprises, l’on assistera à une amplification du désespoir, notamment parmi les jeunes et les porteurs de projets innovants.
Le risque d’un système financier sans entreprises à financer
Dans ce contexte, l’ancien responsable de la Sicar a affirmé : « Notre système financier joue un rôle crucial et il est impératif que ce dernier renforce son appui à ce tissu économique en adoptant une approche non seulement basée sur la rentabilité, mais aussi sur la citoyenneté, et ce, en plus d’une vision à long terme. Sans cette approche, le système financier risque de se retrouver sans entreprises à financer ».
Et d’ajouter : « Nous constatons déjà cette réalité, qui, selon moi, s’aggravera davantage avec l’entrée en vigueur des nouvelles lois sur les chèques et des réglementations fiscales et sociales prévues dans la loi de finances 2025 ». La problématique des PME est au cœur des débats actuels, en raison du nombre alarmant d’entreprises en faillite. Ces PME et très petites entreprises (TPE), qui représentent entre 80 % et 90 % du tissu économique national, continuent de faire face à des défis considérables. Les mesures d’accompagnement mises en place depuis 2011 se sont révélées inefficaces, équivalant à traiter un cancer avec un simple analgésique. « On se souvient des fonds de restructuration de 2015 et 2018, du Fonds de soutien aux PME ou encore du Fonds d’appui et de relance. Bien que ces initiatives soient louables, leur mise en œuvre tardive a considérablement réduit leur efficacité », a-t-il regretté.
Des conditions essentielles pour le soutien des PME
De plus, l’inflation des mécanismes de financement destinés aux PME et TPE n’a pas produit de résultats tangibles. « Ces dispositifs sont souvent inaccessibles aux entreprises en difficulté en raison de critères d’éligibilité irréalistes. Quant aux bonifications d’intérêts adoptées depuis 2019, elles sont bien loin de rétablir les équilibres financiers des entreprises », a-t-il développé. Ridha Mrabet a ajouté que les PME sont des entités économiques à haut risque. « Malheureusement, il n’y a presque plus de nouvelles initiatives depuis que les Sicar régionales ont été laissées à l’abandon en 2015 », a-t-il noté. Mrabet a, par ailleurs, présenté quelques conditions essentielles pour favoriser la réussite des PME. Tout d’abord, il faut un financement de proximité, avec une part importante de fonds propres et un accompagnement réel assuré par des experts de terrain expérimentés. Il est également impératif de mettre en place des conditions de financement adaptées, avec des taux d’intérêt clairement bonifiés et des délais de remboursement à long terme (au moins sept ans avec une période de grâce).
Les traitements comptables spécifiques doivent être entrepris car il est crucial d’éviter que des entreprises soient poussées à la liquidation avant même d’atteindre un rythme d’exploitation raisonnable. Une filière dédiée à la gestion des PME devrait également être envisagée. Des locaux industriels prêts à l’emploi, inspirés de l’expérience réussie des sociétés immobilières industrielles des Sicar régionales, doivent également être envisageables. Pour conclure, Mrabet a assuré que « les PME et TPE sont des acteurs économiques incontournables et il est impératif de leur accorder l’attention et les moyens nécessaires pour garantir leur pérennité et, avec elle, l’avenir économique du pays ».