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Industrie agroalimentaire : Des choix clairs pour rétablir la transparence alimentaire

Les Tunisiens aspirent à consommer des produits locaux, sains, traçables… À une alimentation qui a du sens, qui respecte la santé, l’environnement et l’économie nationale. Mais comment faire des choix éclairés quand l’étiquetage ment ou se tait ?

Faire ses courses est devenu un exercice de haute voltige. Entre les étiquettes minuscules, les symboles abscons et les informations essentielles manquantes, il faut désormais une loupe dans une main et un expert en sécurité alimentaire dans l’autre. Mais le comble, ce sont ces produits vendus avec une étiquette presque muette ; un poids, une date de fabrication, parfois même sans date de péremption et rien d’autre. Un silence qui en dit long sur les pratiques d’une industrie agroalimentaire où l’opacité est devenue la norme.

Et si le cas des boîtes de thon illustre à merveille cette dérive, il n’est malheureusement pas isolé. C’est tout un système qui semble construit sur l’ambiguïté de vendre au consommateur tunisien des produits flous, banalisés, souvent de qualité médiocre, tout en entretenant une illusion de proximité, de terroir, voire de patriotisme économique.

Le pays du thon… sans thon

Prenons l’exemple emblématique du thon en conserve. Dans un pays bordé par plus de 1 300 kilomètres de côtes, le bon sens voudrait que le thon, poisson roi de la Méditerranée, soit un produit local, sain et accessible. Or, ce qui se cache dans nos boîtes de conserve tient plus de la supercherie que de la richesse marine.

Aucune indication sur l’origine, aucune précision sur l’espèce, pas même la zone de pêche. Tout manque à l’appel ! Juste un nom de marque vaguement «tunisien», un prix élevé, et un contenu douteux. Le paradoxe est criant, puisque le véritable thon tunisien, de haute qualité, est capturé à Bizerte, à La Goulette ou au Cap Bon, puis exporté notamment vers le Japon. Sur nos étals, en revanche, on retrouve du poisson d’origine inconnue, souvent importé congelé, mis en boîte ici, et vendu comme produit national.

Une richesse marine ignorée

En Tunisie, l’espèce la plus courante est le thon rouge de l’Atlantique (Thunnus thynnus), l’une des sept espèces les plus prisées sur le marché international. Ce poisson remarquable, qui ne se reproduit qu’en Méditerranée et dans le Golfe du Mexique, est particulièrement recherché pour la finesse de sa chair. Le quota attribué à la Tunisie ces dernières années avoisine les 3.000 tonnes par an, un volume modeste à l’échelle mondiale, mais qui témoigne de la valeur stratégique de cette ressource. Le thon rouge pêché dans nos eaux est d’une qualité exceptionnelle. C’est pourquoi il suscite l’intérêt des plus grands marchés, du Japon à l’Europe du Sud, où il est valorisé bien davantage qu’il ne l’est sur notre propre territoire. Une richesse marine que nous exportons, parfois sans même en voir la couleur dans nos assiettes.

Une industrie du flou généralisée

Mais le flou ne concerne pas que le thon. Il touche la majorité des produits transformés que nous consommons chaque jour. De la charcuterie industrielle sans traçabilité, des huiles mélangées sans mention d’origine, du miel douteux au goût artificiel, des jus dits «100 % fruits» bourrés de sucre ajouté, des yaourts aux arômes «naturels» indéfinis… À chaque rayon son lot de mystères.

Ce manque de transparence n’est pas une coïncidence. Il découle d’une réglementation permissive, bien trop vague et qui ne protège pas suffisamment le consommateur. La loi tunisienne n’impose pas systématiquement la mention de l’origine des matières premières, ni le détail des procédés de fabrication, ni la clarté des étiquetages. Résultat ? Les marques font le minimum. Pire, certaines jouent même sur les mots pour donner l’illusion de qualité : «fabrication locale», «recette traditionnelle», «issu du terroir»… Des termes qui flattent, mais ne garantissent rien.

Les dangers invisibles des conserves maison

De ce fait, la tentation de préparer soi-même ses conserves de thon, surtout en pleine saison entre juin et octobre, peut sembler logique. Le produit est disponible, frais, et à bon prix. Pourtant, cette pratique comporte des risques réels. La mise en conserve nécessite un savoir-faire précis : température, durée, stérilisation des bocaux… Rien ne doit être laissé au hasard. 

Le moindre écart peut favoriser le développement de toxines dangereuses pour la santé.

À l’inverse, les conserves industrielles sont élaborées dans des conditions strictement contrôlées, avec du matériel professionnel et une surveillance constante. Les normes sanitaires y sont rigoureusement appliquées, réduisant presque à néant les risques de contamination. Ainsi, malgré l’attrait du fait maison, mieux vaut ne pas sous-estimer la complexité de la stérilisation. Pour la sécurité du consommateur, les conserves industrielles issues de sources fiables restent donc un choix nettement plus sûr.

Quand la qualité part à l’export

Le problème n’est pas que dans la production. Il est aussi dans la logique économique qui gouverne l’ensemble du secteur agroalimentaire. Dans notre pays, il est bien connu que la meilleure qualité est souvent destinée à l’exportation. Huile d’olive extravierge, thon rouge, dattes premium, agrumes de saison… Ce que le pays produit de mieux prend le large, laissant les consommateurs locaux avec les rebuts ou des équivalents industriels importés et reconditionnés. La logique est simple ; ce qui rapporte part à l’étranger. Ce qui reste est standardisé, aseptisé, parfois même dangereux, du fait d’additifs mal régulés et d’une traçabilité quasi inexistante.

Et pourtant, les attentes changent. Les Tunisiens aspirent à consommer des produits locaux, sains, traçables. Ils aspirent à une alimentation qui a du sens, qui respecte la santé, l’environnement et l’économie nationale. Mais comment faire des choix éclairés quand l’étiquetage ment ou se tait ? Quand aucune institution ne garantit sérieusement ce qui se trouve dans nos assiettes ? Quand le consommateur n’a même pas le droit de savoir ce qu’il achète, ce qu’il mange, ce pour quoi il paie si cher ? L’exemple du thon, encore une fois, en est une illustration décisive.

Un équilibre à retrouver

Dans un contexte économique difficile, l’État tunisien se trouve face à un dilemme : favoriser l’importation de produits à bas prix pour augmenter les rentrées de devises tout en soutenant une industrie locale souvent fragilisée. Si les produits importés, parfois de moindre qualité, permettent de répondre à des besoins financiers immédiats, cette stratégie doit être revue à la lumière des enjeux de santé publique. La transparence sur les produits alimentaires, notamment ceux issus de la mer Méditerranée comme le thon, est primordiale pour protéger le consommateur tunisien. Il est crucial de trouver un équilibre entre les impératifs économiques à court terme et la préservation des produits locaux de qualité, qui soutiennent non seulement l’économie mais aussi la santé des citoyens.

Ainsi, si l’exportation de produits de haute qualité comme le thon et l’huile d’olive est nécessaire pour apporter des devises, cela ne doit pas se faire toujours au détriment du consommateur local. L’État doit garantir que les Tunisiens aient accès à des produits de qualité, traçables et produits localement, tout en veillant à la transparence des labels et à la protection de la santé publique.

Pour un choix éclairé, exiger le respect

Il ne s’agit pas ici, en définitive, d’un caprice de consommateurs exigeants, mais d’un droit fondamental ; celui de savoir. De comprendre. De choisir. Car derrière chaque produit que nous consommons se joue une part de notre souveraineté alimentaire. Si même le contenu d’une boîte de conserve ou d’un pot de yaourt nous échappe, alors que reste-t-il de notre lien à la terre, à la mer, à notre économie réelle ? La dignité alimentaire commence par la transparence. Elle se construit avec des règles claires, des contrôles rigoureux, une volonté politique. Elle suppose aussi de redonner sa place au consommateur tunisien, non pas comme simple débouché de produits standardisés, mais comme acteur éclairé d’un système alimentaire plus juste.

Ainsi, si c’est du thon blanc, venu de l’autre bout du monde, pêché dans des eaux lointaines, congelé à bord, puis expédié par conteneur avant d’être mis en boîte ici, alors cela devrait être écrit noir sur blanc sur la boîte. Car ce long voyage n’a rien à voir avec les filets jetés au large de La Goulette ou du Cap Bon. Et ce n’est pas parce qu’un poisson transite discrètement par une usine tunisienne qu’il devient subitement un produit du terroir.

Refuser l’opacité, ce n’est pas faire preuve de méfiance gratuite. C’est réclamer un respect minimal pour le produit et pour ceux qui le consomment. C’est faire valoir un droit élémentaire, celui de manger en conscience. Et c’est peut-être, enfin, poser la première pierre d’une refondation alimentaire qui ait du sens pour notre santé, notre économie, et pour notre avenir.

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