
* Pour que cette initiative atteigne Rafah, aucun acteur ne pourra agir seul. Il faudra une conjonction de diplomatie discrète, de courage politique et de mobilisation citoyenne.
La Presse —Alors que la caravane «Soumoud» poursuit son périple humanitaire vers Rafah, à la frontière sud de la bande de Gaza, ses membres se heurtent à un blocage administratif et sécuritaire dans la Cyrénaïque (Est libyen). Composée de militants, de médecins volontaires, de journalistes et de convois de produits de première nécessité, la caravane vise à apporter un soutien concret à la population palestinienne assiégée. Mais, depuis plusieurs jours, elle se trouve en situation de statu quo forcé aux abords de Syrte, incapable de franchir l’avant-dernier point de passage vers Rafah.
Dans un contexte régional tendu et face à une situation humanitaire dramatique à Gaza, la question centrale demeure : qui peut intervenir pour permettre à la caravane «Soumoud» d’atteindre sa destination ?
Rôle clé de l’Égypte : un verrou diplomatique et sécuritaire
Le gouvernement égyptien détient les clés de Rafah, seul point de passage entre Gaza et l’extérieur non contrôlé par Israël, mais il exerce aussi une pression sur l’homme fort de l’Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar. Officiellement, les autorités égyptiennes invoquent des raisons de sécurité liées à la présence de groupes armés dans le Sinaï ou au contrôle logistique de l’aide humanitaire.
Mais en réalité, selon plusieurs observateurs, Le Caire craint de donner un signal politique trop fort en laissant passer une caravane perçue comme militante, susceptible d’éveiller des tensions internes et diplomatiques. Seule une pression internationale soutenue pourrait convaincre l’Égypte de fléchir.
Un médiateur hésitant : les Nations unies
Le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) a exprimé son inquiétude concernant la situation à la frontière, mais sans engagement opérationnel direct. Malgré son mandat, l’ONU reste prudente, prise en tenaille entre la nécessité de garantir l’accès humanitaire et la volonté d’éviter tout affrontement avec les États souverains, selon plusieurs géopoliticiens arabes et occidentaux.
Certaines agences onusiennes comme l’Unrwa pourraient toutefois jouer un rôle, en parrainant partiellement la mission ou en facilitant les négociations logistiques avec les autorités égyptiennes.
L’Union européenne : soutien verbal, action limitée
Plusieurs députés européens ont apporté leur soutien symbolique à la caravane «Soumoud». Pourtant, l’UE, malgré ses moyens, reste divisée sur la question palestinienne et peu encline à s’impliquer directement dans des actions susceptibles de froisser l’Égypte, son partenaire stratégique dans la lutte contre l’immigration et le terrorisme. Des ONG européennes ont, quant à elles, appelé Bruxelles à conditionner son aide à l’Égypte à l’ouverture humanitaire de Rafah, mais aucune initiative concrète n’a encore été prise. Des organisations comme Médecins sans frontières (MSF), le Croissant-Rouge, ou Amnesty International pourraient exercer une pression humanitaire et médiatique. Certaines d’entre elles disposent déjà d’équipes en Égypte ou à Gaza, et peuvent faciliter le dialogue entre les autorités et les membres de la caravane. Mais sans soutien étatique, leur capacité d’action reste limitée. La force morale ne suffit pas toujours face à des blocages géopolitiques, de l’avis de plusieurs géopoliticiens et analystes interrogés par des médias panarabes, dont Al-Jazeera.
Les pays du Sud global : une carte sous-exploitée
Des États comme l’Afrique du Sud, la Turquie, le Qatar ou l’Algérie, qui ont exprimé un soutien clair à la cause palestinienne, pourraient user de leurs canaux diplomatiques avec l’Égypte pour appuyer la caravane. Leur poids moral, notamment à l’ONU ou dans le cadre du mouvement des non-alignés, peut peser.
La Turquie dont plusieurs ressortissants ont rejoint la caravane reste dans une posture ambivalente mais pourrait agir en coulisses.
Face au silence diplomatique, la mobilisation citoyenne et médiatique reste, in fine, l’un des outils les plus puissants à la disposition de la caravane «Soumoud». Hashtags, vidéos de terrain, témoignages : les membres de la caravane misent sur la viralité pour exercer une pression indirecte sur les gouvernements. Plusieurs figures publiques et intellectuelles du monde arabe, européen et africain ayant exprimé leur solidarité. Si cette dynamique s’intensifie, elle pourra forcer certains États à sortir de leur prudence
La caravane «Soumoud» représente aindi bien plus qu’un convoi : c’est un symbole d’engagement civil en faveur des droits humains dans un conflit trop souvent abandonné aux logiques militaires. Pour que cette initiative atteigne Rafah, aucun acteur ne pourra agir seul. Il faudra une conjonction rare de diplomatie discrète, de courage politique et de mobilisation citoyenne.
Reste à savoir si les puissances régionales et les instances internationales auront le courage de faire primer l’humanitaire sur le calcul géopolitique.