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Loi de finances 2026 : Quand l’ambition se mesure aux défis d’aujourd’hui et de demain

À l’heure où la Tunisie tente de concilier exigences sociales et contraintes budgétaires, le projet de loi de finances 2026 affiche des ambitions élevées. L’objectif est de rompre avec les demi-mesures et d’amorcer enfin de véritables réformes structurelles.

La Presse — Réuni le 11 juin sous la présidence de la Cheffe du gouvernement, Sarra Zaafrani Zenzri, le Conseil ministériel a présenté les grandes lignes du projet de loi de finances 2026. Ce projet, censé accompagner le plan national de développement 2026-2030, affiche une volonté claire de rupture avec les politiques palliatives et court-termistes qui ont marqué les dernières années.
L’objectif affiché est celui d’une loi de finances stratégique, au service d’un projet de développement intégré et durable.

L’ambition est salutaire. Mais à ce stade, les contours de cette stratégie restent encore largement déclaratifs. Le discours politique met en avant des principes de bonne gouvernance, de souveraineté économique, d’équité sociale et de relance par l’investissement. Toutefois, au-delà des intentions, le projet manque encore de mesures concrètes et chiffrées, capables de convaincre sur la faisabilité de ces objectifs.

Le pari d’un État social rénové, avec quels moyens ?

Parmi les priorités affichées figure la consolidation de l’État social. Le gouvernement entend passer d’une logique d’aides ponctuelles à une démarche de soutien économique durable aux catégories vulnérables, notamment par le biais de l’encouragement à la création d’activités économiques. Ce repositionnement de l’action publique est un tournant nécessaire, après des décennies où les politiques sociales se sont souvent limitées à des transferts financiers sans impacts durables.

Mais là encore, le projet bute sur plusieurs écueils : quels mécanismes concrets seront mis en place ? Comment garantir que les soutiens financiers se traduiront en activités viables dans un tissu économique fragilisé ? Sans réforme de l’accès au financement, sans accompagnement administratif de proximité et sans un climat des affaires plus attractif, cette ambition risque de rester un vœu pieux.

Ressources propres et lutte contre l’économie parallèle 

Autre axe majeur du projet: renforcer les ressources propres de l’État, notamment par une meilleure mobilisation des recettes fiscales et une lutte accrue contre l’évasion et l’économie informelle. Sur le principe, peu de voix s’opposeraient à cette volonté de souveraineté budgétaire. Mais la réalité est implacable, puisque près de la moitié de l’activité économique échappe aujourd’hui au circuit officiel.

La numérisation de l’administration fiscale, la simplification des démarches et l’élargissement de l’assiette fiscale sont évoqués. Mais ces mesures techniques suffiront-elles face aux réseaux structurés de l’informel, qui se sont imposés comme un système économique parallèle en soi ? La défiance d’une partie des opérateurs économiques vis-à-vis de l’État, nourrie par des décennies de corruption et de lourdeurs administratives, complique encore davantage l’équation.

Investissements, catalyseur ou mirage ?

Le gouvernement mise aussi sur l’investissement public comme moteur de l’investissement privé. Là encore, la théorie est solide. Mais elle appelle plusieurs observations critiques. Depuis des années, l’investissement public pâtit d’une exécution défaillante: retards chroniques, procédures lourdes, budgets alloués mais non utilisés.

En outre, sans levée des verrous structurels — faible sécurité juridique et complexité des procédures —, le secteur privé continuera d’adopter une posture attentiste. Ces obstacles freinent non seulement l’initiative entrepreneuriale, mais contribuent également à un climat d’incertitude qui dissuade l’engagement sur le long terme. Simplifier les démarches administratives, garantir la transparence des règles du jeu et renforcer l’indépendance de la justice sont autant de leviers indispensables pour libérer l’investissement privé.

Quant à l’investissement étranger, il reste tributaire d’une stabilité que la Tunisie est appelée à garantir. Stabilité politique, cohérence des choix économiques et prévisibilité réglementaire sont des conditions sine qua non pour attirer durablement les capitaux internationaux. À défaut, même les secteurs porteurs risquent de rester sous-exploités, faute d’un environnement suffisamment rassurant pour les investisseurs étrangers.

Développement régional et participation locale, vers un changement de méthode ?

La promesse d’une approche participative dans l’élaboration des projets, avec l’implication des structures locales et régionales est une nouveauté qui mérite d’être saluée. Trop longtemps, les politiques économiques ont été conçues depuis le sommet, sans réelle prise en compte des besoins spécifiques des territoires.

Si cette approche participative est réellement appliquée, elle pourrait permettre d’ancrer les projets dans les réalités locales et d’éviter l’écueil des plans généraux déconnectés du terrain. Une véritable volonté de décentralisation existe aujourd’hui, portée au plus haut niveau de l’État. Mais l’enjeu n’est plus tant celui du pouvoir décisionnel que celui des moyens. Faute de ressources financières suffisantes, d’équipes qualifiées et d’une organisation administrative renforcée, les collectivités locales risquent de ne pas être en mesure de concrétiser cette ambition. Sans un appui technique et financier solide, cette méthodologie pourrait, malgré ses promesses, rester largement théorique.

Un discours moderne mais des contraintes budgétaires anciennes

De ce fait, le contraste est saisissant entre les ambitions politiques affichées et la réalité financière du pays. Dans un contexte marqué par un déficit budgétaire chronique et une dette publique élevée, les marges de manœuvre sont désormais étroites. Or, si l’investissement est légitimement présenté comme un levier de croissance, encore faut-il répondre à une question essentielle : avec quels moyens concrets sera-t-il financé ? Le projet reste, à ce stade, silencieux sur la manière de concilier des investissements massifs avec la nécessité d’assainir durablement les finances publiques. Le sujet le plus sensible, celui de la relation avec le FMI, n’est même pas abordé officiellement. Ce flou stratégique alimente une inquiétude légitime : la loi de finances risque-t-elle de se transformer en un exercice périlleux d’équilibrisme, où les promesses sociales et économiques seraient portées par des ressources incertaines, voire hypothétiques ? La crédibilité du projet repose précisément sur la capacité à lever cette ambiguïté.

C’est tout l’enjeu à venir, donner un cap clair, assumer les choix budgétaires nécessaires et engager une pédagogie politique honnête pour expliquer aux citoyens comme aux partenaires internationaux comment le pays entend articuler ambition économique et rigueur financière. Sans cela, le risque est grand de voir le fossé se creuser entre les annonces et les résultats.

Pour ce qui est de l’engagement en faveur de l’économie verte, circulaire et bleue, il est pertinent dans une Tunisie exposée aux défis environnementaux, notamment hydriques. Mais là encore, aucune feuille de route précise n’est proposée. Les secteurs concernés attendent des signaux clairs : quels types d’incitations fiscales ? Quels financements ? Quels partenariats ? Aujourd’hui, ces éléments manquent.

Entre volontarisme politique et risques d’impasse

Au fond, ce projet de loi de finances 2026 pose une question essentielle: la Tunisie est-elle enfin prête à rompre avec une gestion au jour le jour pour entrer dans une logique de réformes structurelles assumées ? L’intention est là. La volonté politique est réelle. Mais l’expérience enseigne que les bonnes intentions ne suffisent pas si elles ne s’accompagnent pas d’une méthode rigoureuse, de moyens adaptés et d’un courage politique face aux arbitrages difficiles.

Il ne s’agit plus simplement d’annoncer des priorités. Il s’agit désormais de choisir. Choisir quelles dépenses sont prioritaires, choisir quels sacrifices budgétaires accepter, choisir enfin d’affronter les blocages, même ceux qui touchent à des intérêts puissants.

À défaut, cette loi de finances risque de n’être qu’une feuille supplémentaire dans le long catalogue des réformes inabouties. Mais si la rupture est sincère et suivie d’effets, elle pourrait enfin marquer le début d’une trajectoire nouvelle pour notre pays. Car au bout du compte, derrière les chiffres et les équations budgétaires, ce sont les Tunisiens qui attendent des réponses concrètes à leurs difficultés quotidiennes. Ce sont eux qui portent, chaque jour, le poids des retards accumulés et des décisions reportées. Cette fois, la Tunisie n’a plus le luxe d’attendre.

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