Accueil Culture Hadhedh Khélifa, metteur en scène de «Oum El Boulden» : «Le théâtre, parent pauvre des festivals d’été»

Hadhedh Khélifa, metteur en scène de «Oum El Boulden» : «Le théâtre, parent pauvre des festivals d’été»

Metteur en scène de plusieurs pièces de théâtre et d’épopées, directeur de festivals de théâtre et de cinéma à Ksar Ghilène (Kébili), Hafedh Khelifa présente à la 59e édition du Festival de Hammamet sa récente création théâtrale «Oum El Boulden» (La mère des pays). D’après un texte d’Ezzeddine Madani, la pièce raconte l’histoire de la Tunisie sous le règne d’Abou Zakaria El Hafsi à l’époque des Hafsides. Interview

«Oum El Boulden », d’après un texte signé Ezzeddine Madani, est une création théâtrale historique qui aborde l’époque des Hafsides. Pourquoi avoir opté pour le choix de cette thématique ?

Deux facteurs obéissent à ce choix : c’est la troisième fois que je collabore avec l’auteur Ezzeddine Madani qui creuse toujours dans la mémoire et l’histoire tunisienne. Il emprunte les principaux événements pour transcender l’ici et maintenant comme il l’a fait pour «Lettres de la liberté», «Aziza Othmana» ainsi que cette nouvelle expérience «Oum El Boulden» (La mère des pays).

Il s’est intéressé à l’époque hafside marquée par la création d’un pays. Le sujet correspond à l’actualité de la Tunisie. On est en train de reconstruire le pays. Madani s’est penché sur  la création de la Tunisie  moderne à l’époque de Bourguiba. 

Revenons à la période hafside durant laquelle Mostancer a détruit ce que son père avait érigé ce qui correspond au règne de Ben Ali. De nos jours, nous vivons le retour du prestige de l’Etat tunisien. Un petit pays de par sa géographie, mais qui a été le refuge des Morisques du temps de l’Espagne andalouse.

Ezzeddine Madani a vécu les différentes mutations du pays depuis Bourguiba jusqu’à nos jours. A l’époque, les Hafsides, dont les origines sont tunisiennes, étaient les plus puissants de la Méditerranée. 

Le second facteur est personnel compte tenu du  jeu et de la mise en scène, les méga-projets me séduisent énormément bien qu’ils soient épuisants parce qu’on doit gérer  le jeu des acteurs, la scénographie, les costumes historiques et la musique live et tous les éléments visuels qui complètent le spectacle. En ce qui concerne «Oum El Boulden», j’ai conçu une version spéciale pour le festival de Hammamet.

Justement en quoi la représentation de Hammamet a de particulier ? Est-ce que vous avez prévu des modifications conformément aux besoins de la scène ?

Je connais bien les coins, les recoins et les secrets de la scène de Hammamet dans laquelle j’ai passé une longue période depuis que j’étais étudiant où j’ai passé mes stages puis en tant que professionnel. J’y ai présenté en 2013 «Tawassin». Je suis contre l’idée de transférer tel quelle la pièce.

Ce qui m’a aidé, c’est mon expérience de metteur en scène d’épopée dans des espaces ouverts. J’ai produit une dizaine d’épopées au désert. J’ai donc acquis une expérience dans la gestion de l’espace. Pour cette création, j’ai tenu à modifier la scénographie et la mise en scène en fonction de la scène de Hammamet : les entrées et sorties des comédiens  et même au niveau de la chorégraphie. Pour ce faire, j’ai agrandi l’équipe. 

Quelles sont les nouveautés apportées à cette pièce et les changements opérés ?

Aucune modification n’a été apportée au texte. L’utilisation de l’espace scénique importe. Celui de Hammamet est plus vivant et plus convaincant que la scène à l’italienne. La mosaïque de l’espace de Hammamet permet une exploitation différente et plus appropriée à la pièce et crée le rythme et la diversité sur le plan spectaculaire.

Que pensez-vous de la programmation théâtrale dans les festivals d’été cette année ?

Il y a un net recul. Ce qui est décevant, c’est l’adhésion des grands festivals, organisés avec l’argent du contribuable,  à un système commercial. J’ai toujours dit que Hammamet est la dernière citadelle du théâtre qui continue à conserver un niveau esthétique estimable. Il y a, certes, des problèmes qu’il faudrait reconsidérer.

Il n’est pas obligatoire que le directeur du Centre culturel méditerranéen de Hammamet soit le directeur artistique du festival. Ces dernières années, on constate un retour en force de l’administration, dont le rôle consiste à résoudre des problèmes logistiques, financiers et l’élaboration de contrats, mais le côté artistique doit être confié à un artiste.

Même au niveau artistique, il y a eu une régression peut-être par crainte de confier la responsabilité à certains artistes qui veulent imposer leur vision et leur empreinte, ce qui est tout à fait logique, mais il y a aussi un danger même à ce niveau. Il y a lieu de reconsidérer la gestion des festivals.

Pour revenir à la question et quel que soit le responsable en place, le théâtre dérange et fait peur. A titre d’exemple, le Fonds national de création artistique, dont le rôle consiste à promouvoir ce genre de création, encourage davantage la musique. Il y a une omniprésence et une domination des musiciens.

D’ailleurs, la plupart des responsables ont une vocation musicale même les ministres, ce qui fait que la balance penche plus pour la musique dans les festivals. D’autre part, l’artiste tunisien quel qu’il soit doit avoir une plus grande chance. Les artistes étrangers sont plus gâtés sur le plan financier que les Tunisiens.

Est-ce que la représentation de la pièce au festival de Hammamet entre dans le cadre des  projets ayant obtenu une subvention de la part de la commission d’achat du ministère de la Culture ?

Absolument pas. Je l’ai proposée au festival de Hammamet qui l’a sélectionnée et acquis pour la somme de 15.000 dinars. Vu le nombre de comédiens qui dépasse la trentaine, il était impossible de la proposer à la commission d’achat qui ne tient compte que des pièces comptant au maximum treize comédiens.

Malheureusement, les festivals consacrent des budgets plus importantes pour la musique et beaucoup moins pour le théâtre. Les festivals visent le divertissement et sont entre le marteau et l’enclume. Le public des festivals d’été cherche à se divertir et n’est pas préparé au théâtre. 

Avez-vous proposé la pièce pour l’ouverture de la 59e édition du festival de Hammamet ? 

Nous l’avons proposée l’an dernier, mais le prétexte du refus est que la pièce n’était pas encore achevée pour que la commission de sélection puisse la voir. Le choix s’est porté sur une création produite par le Festival de Hammamet (Othello et après de Hamadi Louheibi). A mon avis, c’est une décision aberrante. 

Charger plus d'articles
Charger plus par Neila GHARBI
Charger plus dans Culture

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *