24 mille Tunisiens rejettent l’offre politique: Oui, je vote… mais je vote blanc !


Si le vote blanc consiste à ne voter pour aucun candidat, il n’est pas vidé de sens, mais exprime, au contraire, une prise de position claire. A mi-chemin entre l’abstention et la participation électorale, dans certains pays il est comptabilisé comme un vote à part entière. Plus de 24.000 Tunisiens et Tunisiennes ont voté blanc lors du premier tour de l’élection présidentielle anticipée du 15 septembre. Fait à ne pas négliger.


L’Instance électorale a annoncé, le 17 septembre dernier, les résultats préliminaires du premier tour de l’élection présidentielle anticipée. Kais Saied et Nabil Karoui passent au second tour de la Présidentielle. Et au cœur des analyses qui ont porté sur ce qu’on a appelé le « séisme politique », en référence au résultat de ce scrutin présidentiel qui semble avoir sanctionné tout le système politique tunisien, dans la mesure où tous ses représentants ont été défaits, le vote blanc n’a pas bénéficié d’une grande attention médiatique alors qu’il est porteur de sens.

En effet, outre les bulletins annulés dont le nombre a atteint 68.125, quelque 24.085 votes blancs ont été recensés au terme du dépouillement du scrutin présidentiel, ce qui représente à peu près 0,7% de la totalité des voix. Utile de savoir que 11 candidats ont obtenu un taux de vote inférieur à 0,7%, pour comprendre l’importance du taux de vote blanc, observé lors de ce premier tour. Ainsi, on pourra comprendre que plus de 24.000 Tunisiens se sont dirigés vers les urnes mais ont choisi, bel et bien, de voter blanc exprimant leur refus de voter pour n’importe quel candidat.

Mais qui vote blanc et pourquoi ? Avant d’essayer de répondre à cette question, il faut savoir que la loi électorale tunisienne définit le vote blanc comme étant tout bulletin de vote ne contenant aucun signe de quelque nature qu’elle soit. Lors d’une élection, voter blanc consiste, donc, à ne voter pour aucun des candidats, ou des listes électorales, ni pour les propositions en cas de référendum.

L’article 136 de cette même loi stipule que les membres du bureau procèdent au recensement des bulletins blancs, mais ceux-ci, ne sont pas comptabilisés dans les résultats du scrutin. En effet, en Tunisie, les bulletins blancs ne sont pas retenus dans le calcul dernier du quotient électoral, ils n’expriment pas un suffrage.

Qui vote blanc ?

Mais pour les électeurs, c’est tout à fait le contraire. Le vote blanc est perçu comme un acte qui dévoile une position de refus, mais surtout d’une remise en cause de toute l’offre politique existante et de son organisation. Ainsi, les votants blanc sont ceux qui sont déçus de l’offre politique, ce sont notamment les électeurs qui veulent adhérer au processus électoral mais expriment leur refus de tous les choix proposés.

S’il traduit également un « mécontentement » vis-à-vis de cette offre politique, le vote blanc se distingue, soulignons-le, de l’abstentionnisme, une autre forme de protestation contre tout le système politique. En effet, l’abstentionnisme ou l’abstention, dont le taux s’est élevé à 51% lors du premier tour de la Présidentielle, consiste à boycotter tout le processus du scrutin électoral, c’est-à-dire s’abstenir de l’acte d’élire en lui-même. Le vote blanc se distingue également du vote nul, ou annulé. Conformément à la loi électorale, le vote annulé correspond à un bulletin de vote non cacheté par le président du bureau de vote, un bulletin de vote comportant un signe ou une mention identifiant l’électeur, un bulletin de vote comportant le remplacement ou l’ajout d’un ou de plusieurs candidats ou d’un nom d’une personne non candidate, ou encore un bulletin de vote comportant un vote pour plus d’une liste de candidats ou plus d’un candidat à l’élection présidentielle, ou également un bulletin de vote comportant des réponses contradictoires au référendum. Les résultats du premier tour de la Présidentielle anticipée publiés par l’instance électorale font observer que le nombre de bulletins annulés a atteint 68.125. Le vote nul est, donc, un bulletin qui n’est pas pris en compte dans le résultat du dépouillement, parce qu’il contrevient au code électoral.

Et s’il exprimait un suffrage ?

Le vote blanc, qui ne correspond ni à l’abstention, ni au vote nul, n’est pas vidé donc de sens. Loin de là, dans les démocraties occidentales il est même au cœur de l’opération électorale, puisqu’il est compté dans le suffrage.

Au niveau mondial, certains pays européens considèrent le vote blanc comme étant un vote à part entière, ce qui peut parfois changer les résultats des élections, et même invalider certains scrutins si son taux dépasse les deux tiers. La Suisse, par exemple, comptabilise les bulletins blancs dans les élections au scrutin majoritaire. Ils participent, dans ce cas, à l’établissement de la majorité absolue. En Espagne et aux Pays-Bas, le vote blanc est valide dans toutes les élections. Il est pris en compte pour le calcul des pourcentages même au cours des référendums. Au Pérou, les bulletins blancs peuvent eux aussi invalider une élection, s’ils représentent les deux tiers des voix.

En France, le vote blanc est décompté séparément et annexé au procès-verbal, mais n’exprime pas un suffrage. Ainsi, au premier tour des présidentielles françaises de 2017, il y a eu 659.997 votes blancs et 3.021.499 votes blancs au second tour. En 2012, si ce type de vote exprime un suffrage, François Hollande n’aurait pas été élu président car il n’aurait pas eu la majorité des voix. En effet, avec son score serré face à Nicolas Sarkozy (51,6% Hollande serait passé sous la barre des 50% des voix, or le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés).

Pour conclure, il faut rappeler que les votes blanc et nul recensés au 1er tour de la Présidentielle de 2014 ont atteint 72.097. Ce nombre est passé à plus de 79.000 lors au second tour. Le vote blanc indique, donc, que l’électeur n’a pas trouvé de candidat ou de parti politique qui corresponde à ses idées, mais qu’il tient à manifester sa déception par un acte de vote.

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