Tarak Chérif, président de la Conect, à La Presse :«Nous avons besoin d’un nouveau Schröder*»


Après huit ans d’activité, il est temps de faire le bilan, mais aussi de prendre les bonnes décisions. La Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect) entame une nouvelle phase de restructuration, car pour chaque étape il faut les hommes et les femmes qu’il faut. Une phase qui coïncide avec la conjoncture de transition politique que vit actuellement la Tunisie marquée notamment par les difficiles négociations autour de la formation du gouvernement. Tarak Chérif, président de la Conect, qui présente sa structure comme «partenaire entrepreneurial de référence pour un développement économique et social durable, inclusif, équitable et responsable», fait le point sur ces deux phases de la transition. Une qui touche en profondeur la deuxième centrale patronale syndicale en Tunisie avec la mise en place d’un nouveau cabinet, et l’autre qui concerne l’avenir politique de tout le pays. Interview.


Commençons par l’actualité, vous avez organisé récemment l’événement «Miqyes 2018- Focus TPE». Il s’agit d’un baromètre pour mesurer le degré de difficultés qui empêchent les très petites entreprises (TPE) de survivre et de progresser dans un contexte économique assez challengé. Quel intérêt pour un tel événement et pour ce baromètre ?
C’est un intérêt majeur, car c’est une première lorsqu’on fait ce baromètre pour les très petites entreprises, cela permet de placer les projecteurs sur la place occupée par ces structures, sur leurs problèmes mais aussi sur les perspectives. Cela permet également à l’administration tunisienne d’adapter son comportement par rapport à la très petite entreprise, mais pas uniquement l’administration, il s’agit également d’évoquer les problèmes de financement de ces entreprises. Nous faisons ce projet avec le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) qui s’intéressait généralement aux moyennes entreprises, mais nous avons choisi de nous intéresser cette fois aux très petites entreprises car nous jugeons qu’il s’agit d’un axe très important d’autant plus que ces structures sont très présentes dans le tissu économique national. Donc c’est très important pour nous, pour le PNUD, mais également pour l’Etat.

Vous avez relevé dans ce baromètre d’innombrables problèmes de financement de ces entreprises. A quoi sont-ils dus ?
Il faut signaler tout d’abord qu’en Tunisie le financement constitue une question qui est loin d’être facile à résoudre. Au niveau des opportunités de financement aujourd’hui nous n’avons que 23 banques dont trois publiques, qui sont toutes commerciales et dont le comportement est difficile avec l’entreprise d’une manière générale et avec les petites et moyennes entreprises d’une manière particulière, parce qu’elles fonctionnent généralement avec des modes basés surtout sur les garanties. Je ne dis pas qu’il ne faut pas exiger des garanties, mais les TPE tunisiennes ne sont pas toujours capables de fournir ces garanties donc elles ont des finances qui sont assez serrées, ce qui ne leur permet pas d’effectuer des extensions d’activité. C’est dommage qu’il n’y ait pas une structure adaptée pour le développement des entreprises, et pour ce faire il nous faut des banques de développement, mais il y a également les fonds d’investissement, le capital-risque ou encore le Private equity surtout dans les régions. A Tunis nous avons des structures qui proposent des financements de type Private equity, mais elles sont malheureusement centralisées et absentes dans les régions. Je pense que l’Etat doit encourager fortement les privés pour lancer ces fonds d’investissement décentralisés. Car le problème du financement des entreprises est aigu dans ces régions.

La banque des régions ne constitue-t-elle pas la solution ?   
Notre position quant à la banque des régions est claire. Dès le départ on n’était pas pour, nous n’avons pas besoin d’une 24ème banque, même si je ne veux pas avoir une position de principe. On va voir comment cela va fonctionner, si elle fonctionnera comme une banque de développement c’est tant mieux, si elle adoptera la même approche des 23 autres banques je pense qu’on ne va pas avancer suffisamment par rapport aux besoins des petites et moyennes entreprises. Dans ce sens, nous avons toujours dit qu’on pourra donner cette opportunité à la Poste tunisienne pour devenir la banque des régions, d’ailleurs c’est ce qui s’est fait en France et au Maroc. La meilleure présence territoriale c’est celle de la Poste, laquelle a vu certaines de ses tâches qu’elle assumait s’alléger comme notamment l’envoi de télégrammes et de lettres. Donc il suffirait simplement de lui donner du crédit et elle pourrait ainsi compléter la gamme de produits qu’elle propose par l’octroi de financements aux petites et moyennes entreprises. Il y a aussi l’alternative du crowdfunding (financement participatif) à travers la participation des personnes ou des familles au financement des projets. Je cite en particulier les Tunisiens à l’étranger qui peuvent placer leur argent dans l’entreprise tunisienne.
Il faut tout miser sur la promotion des investissements, pour nous c’est fondamental, car comme le dit Helmut Schmidt (Ancien Chancelier fédéral d’Allemagne) les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain.

Ces problèmes de financement touchent également les grand projets, les projets d’Etat, n’est-ce pas ?
Au niveau de la Conect notre vision par rapport aux grands projets a toujours été claire. D’abord nous connaissons les capacités et moyens de l’Etat, car quand on voit le budget de l’Etat 2020 on s’aperçoit que seulement six ou sept milliards de dinars sont consacrés au développement, c’est très peu. La voie royale pour la Tunisie comme pour tout autre pays c’est le PPP (Partenariat public-privé). Malheureusement depuis la promulgation de la loi sur les contrats de partenariat public privé nous n’avons pas vu de grandes avancées sur ce volet. Il est probable qu’il va y avoir quelques projets notamment dans le secteur des énergies renouvelables mais ce n’est pas suffisant. J’insiste sur ce point, le PPP est le plus important moyen pour accélérer le développement du pays.

Qu’est-ce qui bloque alors ?
C’est clairement la volonté politique. Il faut encourager les gens, il faut valoriser les réussites et les success stories. Dans la politique comme en économie ce qui compte ce sont les résultats. Nous voulons des résultats, les Tunisiens ont besoin de résultats. Si on a fait une loi qui n’a pas marché il faut avoir le courage de la revoir, si on a fait un code d’investissement qui ne correspond pas aux attentes des investisseurs, il faut le reprendre.

Est-ce que vous avez une conception pour un nouveau code d’investissement ? Pourquoi ne prenez-vous pas l’initiative de proposer vos propres solutions ?
Nous avons fait le nécessaire, malheureusement certaines des propositions que nous avons faites n’ont pas été prises en considération, ce n’est pas propre qu’à la Conect. Je n’essaye pas de dire que ce constat concerne uniquement notre structure, je dis simplement qu’il faut être pragmatique, s’il y a des choses qui ne marchent pas il ne faut pas avoir honte de changer. A ma connaissance, le plus vieux projet de PPP en Tunisie c’est le Lac de Tunis, c’est une réussite, c’est un bon exemple à valoriser. Encore faut-il que l’Etat assume ses engagements financiers dans le cadre de ces projets de PPP et que toutes les parties sortent gagnantes. L’Etat accélère le développement, et l’opérateur économique réalise des bénéfices pour pouvoir mener d’autres projets. Le PPP n’est pas l’apanage des pays pauvres, au contraire, des pays européens, y compris la France, les pays du Golfe, la Turquie recourent à ce genre de partenariat.

La Conect s’impose aujourd’hui comme deuxième plus grande centrale syndicale patronale en Tunisie. Quel bilan dressez-vous après huit ans d’expérience ?
Le bilan ? On ne peut pas le faire aussi rapidement, mais je pense qu’aujourd’hui la Conect a démontré que sa présence est utile pour le pays. D’abord c’est une émulation entre les deux centrales patronales, ensuite, il faut noter que nous sommes différents dans notre démarche, nous sommes complètement apolitiques. Après huit ans, plus personne ne peut remettre cela en question. Nous constituons également une très grande force de proposition, au niveau du pays, et c’est utile car nous sommes créateurs d’idées et nous avons de grandes compétences qui ne font que suggérer des propositions pouvant améliorer les choses pour le pays. Idem pour notre bonne présence dans les régions qui nous permet de nous approcher de plus en plus des attentes des citoyens, et des investisseurs et d’en être le relais.

Sur quels dossiers vous penchez-vous actuellement ?
Nous avons plusieurs dossiers mais nous essayons de travailler sur deux plans. Premièrement au niveau national pour encourager les entreprises à investir et surtout protéger celles qui existent déjà, car nous estimons que nous vivons dans une ère de désindustrialisation du pays, et d’ailleurs nous allons organiser prochainement un deuxième forum sur les dattes et les palmiers dont l’objectif est de souligner l’importance de la transformation des produits pour créer le maximum de valeur en Tunisie. Il ne s’agit pas d’exporter les dattes comme on le fait pour l’huile d’olive, en vrac. Il est devenu impératif aujourd’hui de transformer ces produits dans les régions, pas uniquement sur la côte, nous avons besoin de tout un écosystème dans les régions, mais tout cela nécessite certainement de l’expertise et des partenaires, et c’est ce que nous essayons de faire à travers tous les événements que nous organisons.
Deuxièmement, la Conect travaille à l’échelle internationale. On essaye à travers nos différentes missions d’amener le maximum d’investisseurs en Tunisie, mais également de préparer des voyages purement économiques pour les investisseurs tunisiens en vue de s’ouvrir sur différents marchés. Par exemple dans quelques jours nous partons à Amman, et à travers cette capitale, nous ambitionnons de cibler les trois marchés de la Jordanie, l’Irak, la Syrie et la Palestine.

Nous avons appris que la Conect va revoir sa direction? Dans quel sens ? Pour quelles raisons ? Est-ce en raison de certains échecs ou défaillances ?
Je pense que la Conect connaît une crise de croissance, mais on ne peut pas parler d’échec. C’est une crise de croissance, à chaque étape il faut avoir les personnes qu’il faut. Nous sommes en cours de restructuration pour mettre en place un grand cabinet, avec le support financier de la Berd (Banque internationale pour la reconstruction et le développement), et c’est un chantier qui va prendre six mois. Il est normal qu’après huit ans la Conect fasse son évaluation et se restructure en conséquence pour le présent et pour l’avenir. Le contraire serait anormal. L’on ne peut avoir un discours de transformation et de réforme du pays et puis dans notre structure on stagne.

Il est vrai que la Conect est un organisme à vocation purement économique, sociale et entrepreneuriale, mais elle garde aussi un œil sur les affaires publiques dont notamment la politique. Comment la Conect suit-elle l’actuelle conjoncture politique marquée notamment par les résultats des élections et les concertations autour de la formation du gouvernement ?
Je ne voulais pas aborder les questions politiques, mais je vais répondre quand même. Nous suivons de loin ce qui se passe dans la vie politique car ce n’est pas de notre ressort de nous impliquer dans ces affaires. Ce que nous souhaitons, c’est avoir rapidement un gouvernement qui dure, qui ait une vision et qui transmette cette visibilité aux investisseurs, c’est ce qui compte. Nous pouvons avoir les meilleurs gouvernements, mais in fine, s’il n’y a pas de vision, de visibilité, ni de travail de groupe pour transformer le pays, pour adopter les réformes nécessaires, on ne va pas réussir. Je le répète nous devons avoir le plus tôt possible un gouvernement ayant une visibilité partagée, notamment avec tous les opérateurs économiques nationaux et internationaux. Car finalement nous cherchons la croissance, et on ne réalise pas de bons taux de croissance avec les discours, c’est une résultante d’investissement. L’actuelle phase constitue une nouvelle chance pour la Tunisie, il y a eu une certaines dynamique qui s’est créée avec l’élection du président de la République et il faut s’en inspirer pour dire que le pays est capable de s’en sortir si tout le monde s’implique davantage, si on travaille beaucoup plus à tous les niveaux, car la première richesse qu’on peut créer c’est certainement la productivité.

Encore faut-il restituer la valeur du travail en Tunisie ?
Franchement nous avons un grand problème compte tenu de la valeur du travail, si les gens ne se remettent pas à travailler il y aura un grand problème pour ce pays. Le taux d’absentéisme, les vacances, les jours fériés, la séance unique, le surnombre… tout cela pèse sur l’économie nationale.

Selon vous quel profil et qualités devrait avoir le prochain chef du gouvernement ?
Pour moi, il doit être un économiste, quelqu’un qui sache gérer les dossiers économiques. Nous avons besoin d’un technocrate qui connaisse les dossiers prioritaires, la situation du pays, les défis qui l’attendent, il faut qu’il ait les mains libres pour adopter les réformes exigées. Pour résumer, nous avons besoin d’un nouveau Schröder (ancien chancelier social-démocrate d’Allemagne) en Tunisie. Il a fait toutes les réformes nécessaires, il a fait le travail qu’il fallait pour son pays, maintenant l’Allemagne est la première puissance économique européenne, et c’est ce que nous souhaitons pour notre pays.

Quelles contributions le président de la République Kais Saied, qui n’a pas le profil économique pour améliorer la situation économique en Tunisie, peut-il apporter ?
Le président de la République peut faire beaucoup de choses pour améliorer la situation économique du pays. D’abord consolider la confiance des investisseurs, ensuite ouvrir des perspectives pour l’économie tunisienne. J’espère qu’il fera les bons déplacements à l’étranger, voir ce qui se passe à l’international, et notamment séduire les investisseurs étrangers. Il y a beaucoup d’argent dans le monde, pour en bénéficier, il faut que les responsables bougent, le premier de ces responsables, c’est bien entendu le chef de l’Etat. J’espère également qu’il va assister à tous les événements économiques majeurs. Opter également pour une approche bilatérale avec certains pays et miser sur le contact direct avec les opérateurs économiques internationaux seront d’une extrême utilité.

Pour rester dans l’actualité, quelles sont vos premières lectures à propos du projet de la loi de Finances 2020 ?
Qu’est-ce qu’il y a à dire? Je suis de nature optimiste, mais franchement cette loi a été faite parce qu’il fallait la faire, parce que nous avons des délais constitutionnels à respecter c’est tout. Comme je l’ai dit, il y a beaucoup de réformes, mais je ne vois pas l’ombre de réformes, je ne vois pas une loi de Finances audacieuse. Un des aspects qui m’intéresse le plus c’est l’allocation de l’argent. Comment l’argent sera-t-il dépensé ? Malheureusement on va continuer à dépenser des fonds pour rien, une masse salariale dans le public qui ne sert à rien. Ce qu’il faut faire, c’est transformer, encourager les gens à quitter l’administration, à faire des projets, à investir.

Peut-on le faire dans l’immédiat ?
Donnez-moi des indications qu’on va commencer. Le problème en Tunisie c’est que chacun compte sur son successeur et on va continuer à avoir le même rythme. J’aurais souhaité par exemple qu’on abaisse la fiscalité, car nous avons l’une des fiscalités les plus lourdes dans le monde entier. L’Etat dépense énormément, et enfin nous n’avons pas de résultats. On fait croire aux Tunisiens que le secteur étatique est mieux que le privé, or c’est faux. Je dirais même que c’est parce que c’est l’Etat que c’est moins bien.

Donc vous êtes pour une approche de la privatisation dans le secteur public ?
Je voudrais libérer les secteurs où l’Etat n’a pas vocation à être présent. On met des cahiers des charges et on mettra les opérateurs privés en compétition, ce n’est pas à l’Etat de gérer tous les secteurs. A un certain moment il faut se remettre en question. Je suis allé à Abidjan il y a quelques mois et j’ai constaté que c’est très propre. C’était grâce à une entreprise tunisienne qui a remporté, avec une autre entreprise portugaise, un appel d’offres dédié au nettoyage d’Abidjan. Mettez les gens en compétition. L’Etat n’a pas à gérer ni municipalités, ni transport, ni autoroutes. Par contre l’Etat doit se pencher sur l’éducation et la santé qui sont des secteurs prioritaires. L’Etat en gérant croit faire des économies alors qu’il accentue la corruption et la dépense énormément d’argent.

L’intérêt immédiat de la Tunisie c’est finalement de réformer en privatisant certains secteurs publics ?
Je suis complètement d’accord. Certaines voix vont s’élever pour dire que nous voulons tout vendre, mais pas du tout, ce n’est en tout cas que le système le moins mauvais au niveau mondial. Après il va falloir s’occuper du social, mais nous devons le faire avec des opérations bien ciblées. Car nous voulons une approche basée sur la rationalisation des dépenses, l’Etat doit investir l’argent qu’il a gagné en levant la main sur certains secteurs dans le côté social. Il ne faut, en aucun cas, mélanger le social et l’économique.

Votre position nous amène à évoquer la situation des entreprises publiques dont la majorité est déficitaire. Que faut-il faire ?
Nous avons à peu près 102 entreprises publiques avec 200 mille employés, au Maroc il existe 230 entreprises publiques avec un effectif de 129 mille personnes. En Tunisie on dépense annuellement plus de 1500 millions de dinars pour compenser le déficit de ces entreprises, ce n’est pas possible, il faut arrêter l’hémorragie. Prenant le cas du transport ou de la compagnie Tunisair. Sur sept aéroports en Tunisie, quatre sont fermés à cause du retard de la concrétisation de l’accord de l’Open Sky. Allez voir l’état de l’aéroport Tunis-Carthage qui est la première et dernière vitrine du pays. C’est un problème chronique d’administration, au sein de ces entreprises il n’existe aucune préoccupation pour sauvegarder la qualité des services, contrairement au secteur privé qui marque une forte compétition, alors quand on est en situation de monopole c’est totalement le contraire, c’est à prendre ou à laisser.
Au niveau des entreprises publiques il est clair que nous avons une mauvaise gestion. Les rapports de la Cour des Comptes n’ont de cesse de le signaler, mais malheureusement il n’y a pas de suivi, ni de décisions pour réformer. Le rapport annuel de la Cour des Comptes doit faire l’objet d’un intérêt majeur, d’un débat national et d’un suivi efficace.

Mais dans certains cas, on s’oppose à la privatisation du secteur public au nom de la paix sociale. N’est-ce-pas ?
C’est du n’importe quoi. Nous devons entretenir les réformes nécessaires, transformer le pays, dégager le maximum d’argent et après sauvegarder la paix sociale. Si on opère autrement, c’est vraiment insensé, c’est du n’importe quoi.

Les exportations sont l’un des problèmes majeurs de l’économie. Pourquoi la Tunisie exporte-t-elle mal ses produits ?
Depuis la création de la Conect nous avons plaidé en faveur de la mise en place d’un ministère du Commerce extérieur. Car pour nous l’exportation est tout un métier, avec des chaînes qui commencent dans les sociétés et qui se terminent jusqu’à ce que le produit arrive aux destinataires. Dans ces chaînes existent malheureusement une infinité de problèmes de différentes natures. Nous avons des lacunes au niveau du transport et sur le plan logistique et financier. A cela s’ajoutent bien évidemment les problèmes d’ordre administratif. Nous avons besoin d’une équipe qui gère tout cela de manière cohérente. Ce n’est pas du ressort du Cepex (Centre de promotion des exportations) de faire cela car il s’occupe plutôt des salons, des événements et des foires. Pour le ministère du Commerce, extérieur l’enjeu sera d’accompagner et vivre avec l’entreprise tunisienne au niveau de toutes ces chaînes. Avons-nous les capacités logistiques et financières ? Bien sûr que non. Le port de Radès se présente comme étant l’un des plus mauvais de la région et même du monde à cause de cette situation de monopole. C’est une honte. Nous cherchons à mettre en place une logique de compétitivité, nous devons privatiser ces secteurs pour rendre la Tunisie compétitive et attractive.

L’autre problème c’est également l’industrie tunisienne qui ne se porte pas bien. Que faut-il faire ?
On n’a jamais rien donné comme avantage à l’industrie tunisienne. On traite un commerçant qui importe tous les produits qu’il veut et un industriel qui fait face à toutes les complications imaginables de la même manière. Ils sont soumis au même régime fiscal, et l’industriel passe sa vie avec ces complications administratives et douanières. Maintenant nous avons des industriels qui vendent leurs usines pour faire du commerce, pour aller vers le service. Personnellement quand je vois d’autres secteurs je me dis que je dois être fou pour continuer à exercer une activité industrielle. S’il y a un secteur à encourager aujourd’hui c’est bien l’industrie, parce que c’est un secteur qui créé de la valeur, des postes d’emploi et des perspectives d’exportation. C’est ce secteur qui permet d’équilibrer la balance commerciale. L’agriculture est également un secteur très important, qu’on doit soutenir et remettre à niveau notamment à travers les transformations des produits agricoles.

Le secteur immobilier fait face également à de nombreux problèmes. Les Tunisiens peinent aujourd’hui à acheter un premier logement. Que peut-on faire pour promouvoir ce secteur ?
La gestion du secteur immobilier en Tunisie est hallucinante. Je dirais même que nous sommes en train de détruire ce secteur par des décisions insensées. On a imposé tellement de conditions que plus personne ne peut acheter un logement. Avoir un logement est la seule chose qui puisse encore motiver un couple, une famille. Avoir un toit, c’est très rassurant, ainsi on se battra pour ce pays, parce qu’on a un capital à défendre. Il y a urgence pour revoir tout le modèle de gestion du secteur immobilier. Maintenant il y a des pays qui donnent la nationalité aux propriétaires étrangers des biens immobiliers.

Nous n’avons pas parlé de votre position quant à l’Aleca. Que pensez- vous de cet accord dont les négociations sont actuellement au point mort?
Nous sommes très à l’aise sur ce sujet. Nous n’avons pas une position dogmatique, tout se négocie. Si on arrive à négocier en s’inspirant de ce qui s’est passé en 1995 (En 1995, la Tunisie a été le premier pays du sud de la Méditerranée à signer un Accord d’Association avec l’Union Européenne), avec un accord qui a été bénéfique pour la Tunisie, c’est tant mieux. Pour l’Aleca c’est à nous de demander ce qu’il faut pour remettre à niveau l’agriculture et les services, personne ne nous oblige à faire quoi que ce soit. Refuser de parler de l’Aleca d’une manière dogmatique est inacceptable. Qu’est ce qui nous empêche de négocier dans le sens de rendre cet accord bénéfique pour notre pays ? Rien du tout, cela dépendra de nous et on ne fera rien si on n’est pas d’accord.

La question de l’éducation vous préoccupe tellement. Pourquoi? Comment jugez-vous l’actuel système éducatif et universitaire ?
Le système éducatif est l’épine dorsale d’un pays. Si on ne mise pas tout sur le système éducatif on n’aura rien compris. Je veux que notre système éducatif soit le plus performant possible. Nous voulons que nos universités figurent dans le classement Pisa. S’il le faut on fait des échanges et on ramène de grands universitaires en Tunisie. Notre système éducatif doit préparer notre jeunesse aux métiers de l’avenir. On ne peut pas rester avec un système éducatif et universitaire classique qui ne répond pas aux attentes de l’entreprise. Il faut arrêter de former des étudiants spécialisés dans des métiers où les marchés d’emploi n’existent plus. Nous produisons de futurs chômeurs. Il faut adapter notre système aux attentes du système économique et aux nouvelles technologies.

*(Ancien chancelier social-démocrate d’Allemagne)

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