Elus il y a un an et demi, les conseils municipaux, porteurs pourtant d’un air de renouveau d’une gouvernance locale et de renforcement de la décentralisation du pouvoir, peinent toujours à s’imposer comme véritables vecteurs de participation citoyenne et en tant qu’acteurs du changement. Cette situation devra sans aucun doute affecter la culture de la décentralisation en Tunisie.


Le code des collectivités locales adopté en mai 2018 avait promis un air de renouveau pour la décentralisation et la mise en place de tout un système de gouvernance locale. Un an après, on a espéré voir les élections municipales renforcer ces ambitions, peut-être très grandes, d’aller vers une véritable décentralisation du pays et une promotion des mécanismes de gestion locale des affaires publiques. Mais les Tunisiens se sont vite aperçus qu’il n’en est rien, nous sommes encore loin d’une telle situation, où les conseils municipaux se présentent comme le principal relais de la gouvernance locale, une situation marquée, malheureusement, par la démission en masse de maires et la dissolution de nombreux conseils municipaux.
En mai dernier, une vague de démissions collectives a secoué de nombreux conseils municipaux, élus pourtant pour améliorer le quotidien des Tunisiens et non pas pour se livrer à des problèmes insolvables. D’ailleurs, des organisations de la société civile dont notamment Bawsala ont pointé du doigt le risque d’un effet domino et les conséquences sur la gouvernance locale. Des craintes qui se sont malheureusement concrétisées et la vague des démissions et de la dissolution de nombreux conseils municipaux s’est poursuivie tout au long de ces derniers mois.
Ce triste bilan du rendement des élus municipaux, illustré par la démission en masse des maires depuis les élections municipales de mai 2018, n’est certainement pas en faveur de l’instauration des mécanismes d’un pouvoir local efficace. C’est dans ce sens que l’ONG Bawsala avait publié le bilan de ces démissions pour revenir sur le rendement des communes un an et demi après leur mise en place. Ainsi, 25 présidents ou présidentes de communes ont démissionné de leurs postes depuis leur prise de fonctions à l’issue des Municipales de mai 2018, le dernier étant le maire de Kerkennah. Il a attribué les raisons de cette démission à l’incapacité des autorités régionales et centrales de respecter leurs engagements envers l’île et au manque de soutien et d’équipements nécessaires au développement.

Pas d’entente ni de communication
Selon les données publiées par cette ONG spécialisée dans la gouvernance, 42% des démissions enregistrées dans les conseils municipaux ont concerné les élus du parti Ennahdha, 21% de Nida Tounès contre 37% pour les Indépendants. 21% de ces démissions ont été présentées en raison des conditions de travail au sein des conseils municipaux, les démissionnaires ayant affirmé ne plus pouvoir travailler avec la composition de ces conseils.
Ces conseils municipaux seraient-ils victimes de leurs compositions ? A en croire les ONG et les composantes de la société civile, la réponse sera oui. Les municipalités dont les conseils sont en majorité constitués d’indépendants et de représentants de différents partis politiques souffrent, en effet, de grands problèmes au niveau de l’entente, du travail en équipe et d’absence de communication.
Dans ce sens, la présidente de l’Association tunisienne pour l’intégrité et la démocratie des élections (Atide), Leïla Chraibi, avait expliqué à notre journal que les affinités et les appartenances politiques des élus ont nui à leur rendement. « Des problèmes d’entente et d’harmonie sont à relever dans plusieurs municipalités, étant donné qu’elles sont composées de différents partis et courants politiques, ce qui explique la dissolution de certaines d’entre elles », a-t-elle expliqué.
Ce constat explique-t-il à lui seul le triste bilan de nos élus ? Certainement pas, car pour les différents observateurs, la question dépasse ces problèmes d’harmonie, encore moins les questions des moyens et capacités financières et logistiques, mais porte notamment sur tout un système de pouvoir local et décentralisé qui peine à s’instaurer. Un système qui commence par la mise en place de tout un cadre juridique qui stipule notamment la protection des élus, mais aussi qui porte sur la promotion d’une culture de gouvernance locale et de pouvoir décentralisé.

Le prix à payer
En mai 2018, un million neuf cent mille Tunisiens ont pris la direction des urnes pour élire 7.200 conseillers municipaux dans 350 communes en Tunisie. Un nouveau Code des collectivités locales a été promulgué, conformément aux dispositions prévues dans la Constitution, instaurant un nouveau système de décentralisation effective rompant avec l’ancien système qui se limitait à une décentralisation apparente ne répondant pas aux aspirations des habitants. Aujourd’hui, les attentes des Tunisiens sont encore plus grandes notamment au vu d’une dégradation de la situation environnementale dans certaines régions. En effet, si les défis auxquels sont exposés les conseils municipaux sont importants, les attentes des citoyens le sont encore plus. Mais encore faut-il s’interroger sur l’état des lieux légués aux nouveaux élus.
En tout cas, c’est l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) qui doit payer le prix de ce dilemme de la dissolution des conseils municipaux. Après avoir réussi un processus électoral atypique marqué par l’organisation de trois scrutins électoraux en moins d’un mois, l’instance électorale se trouve obligée de se pencher sur l’organisation des élections municipales partielles. Le président de l’Isie, Baffoun, avait affirmé qu’après avoir accompli le processus électoral relatif aux deux tours de la présidentielle et des législatives, l’instance électorale se penchera sur l’organisation des élections municipales partielles de quatre municipalités, dont les conseils ont été dissous, prévues le 26 janvier 2020.
Elus il y a un an et demi, les conseils municipaux, porteurs pourtant d’un air de renouveau d’une gouvernance locale et de renforcement de la décentralisation du pouvoir, peinent toujours à s’imposer comme véritables vecteurs de participation citoyenne et en tant qu’acteurs du changement. Cette situation devra sans aucun doute affecter la culture de la décentralisation en Tunisie.

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