Rétrospective | Des « Gilets jaunes » au « Hirak »: 2019, une année de révolte mondiale

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Crédit photo: Toufik DOUDOU – © 2019 AP


Une année s’achève pour laisser place à une autre. En attendant la présidentielle américaine prévue le 3 novembre 2020 et les Jeux olympiques de Tokyo ou la 16e édition de l’Euro —  qui se déroulera du 12 juin au 12 juillet dans 12 villes de 12 pays d’Europe —, 2019 restera dans les annales de l’histoire contemporaine comme étant l’année des tous les ras-le-bol.

Si dans plusieurs pays, le pouvoir exécutif a été renouvelé par la voie de scrutins libres à travers des élections démocratiques, sous d’autres cieux, 2019 aura été marquée par des nombreux mouvements de contestation contre le pouvoir en place.

 

Entre inégalités sociales et corruption

Inégalités, fracture sociale, libertés politiques muselées, corruption endémique, crise économique, flambée des prix de l’essence, etc…: tels étaient les moteurs des mobilisations de rue et la motivation des mouvements des indignés dans le monde en 2019.

C’est dans le vieux Continent, et plus précisément, en France, que la contagion protestataire à débuté le 17 novembre 2018 à travers le mouvement des « Gilets jaunes » — du nom des gilets de haute visibilité de couleur jaune portés par les manifestants — en s’organisant autour de blocages de routes et ronds-points et de manifestations tous les samedis.

 

L’acte IX des « Gilets jaunes », à Paris, le 12 janvier 2019. (Crédit photo: © AFP 2019 LUDOVIC MARIN)

 

Déclenché par la hausse du prix de l’essence et le coût élevé de la vie, le mouvement des « Gilets jaunes » accuse le gouvernement d’ignorer les besoins des citoyens ordinaires. La colère a connu son paroxysme en 2019 avec des émeutes majeures, les plus violentes depuis celles de mai 1968.

Tout le monde se souviendra des violences de  l’« acte XVIII » à Paris à traces l’incendie d’une agence bancaire et de la brasserie le Fouquet’s. Bilan de la course: plus de 1.500 casseurs et de « Black-bloc » dégradent 216 commerces (27 d’entre eux sont pillés) sans parler des 79 incendies, dont cinq de bâtiments, et la destruction de la quasi-totalité des kiosques à journaux de l’avenue des Champs-Élysées, selon les chiffres de la police francilienne.

 

Un manifestant «gilets jaunes» avec un portrait d’Emmanuel Macron près d’une barricade en feu, le 16 mars 2019, à Paris. (Crédit photo: Philippe Wojazer / © REUTERS)

 

La ferveur du mouvement des « Gilets jaunes » a fini par contaminer plusieurs pays de l’Europe de l’Est (la Géorgie, la Roumanie et l’Albanie), dont la corruption est derrière la naissance de mouvements antigouvernementaux assoiffés de réformes plus démocratiques et bonne gouvernance.

 

En Algérie, on rêve d’un « regime change » à la tunisienne

Au Maghreb, voilà plus de 10 mois que les Algériens ont fini par prendre le relais de la vague contestataire avec la naissance du « Hirak » (mouvement), le 16 février 2019.

 

Manifestation contre le régime Bouteflika, le 29 mars 2019 en Alger. Les protestataires ont trouvé un nouveau souffle depuis que le général Ahmed Gaïd Salah a invoqué l’article 102 de la Constitution qui stipule que le president peut être révoqué. (Crédit photo: Ryad Kramdi / © AFP)

 

Dans un premier temps, le manifestants algériens se sont opposés contre un éventuel cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, puis contre son projet — également contesté par l’armée —, de se maintenir au pouvoir à l’issue de son quatrième mandat dans le cadre d’une transition et de la mise en œuvre de réformes.

Ni Bouteflika, ni son « système », scandaient les contesterais chaque vendredi ainsi que le mouvement étudiant tous les mardis. Les protestataires réclament la mise en place d’une Deuxième République, soit un « regime change » à la tunisienne, et faire table rase d’une classe politique manipulée par des militaires tirant les ficelles depuis leurs casernes.

 

Des opposants du mouvement pacifiste Hirak appellent au boycott de la Présidentielle algérienne.(Crédit photo: Ryad Kramdi / © AFP)

 

Malgré l’élection très contestée, le 12 décembre, de l’ancien Premier ministre Abdelmadjid Tebboune comme huitième président de la République algérienne démocratique et populaire, et le décès du tout-puissant chef d’État-major des forces armées, le général Ahmed Gaïd Salah, le 23 décembre, d’ « un arrêt cardiaque »; les manifestants continuent de battre le pavé car ils considèrent que l’ancien régime dirige toujours le pays.

 

Liban, Irak et Iran: une grogne populaire sur fond de crise économique

Le Proche-Orient n’échappe pas aussi à la fièvre des grognes populaires. Par exemple, au Pays des Cèdres, le 17 octobre, après l’annonce de nouveaux impôts sur l’essence, le tabac et les appels en lignes par le biais d’applications comme WhatsApp, les Libanais ont envahi, pacifiquement, les rues pour contester ces nouvelles mesures gouvernementales.

 

Des manifestants libanais contre la crise économique (EPA/MAXPPP/Nabil Mounzer)

 

Treize jours après le début des manifestations, le président du Conseil des ministres Saad Hariri a jeté l’éponge en ayant annoncé sa démission et celle de son cabinet. Or malgré que la présidence ait chargé, le 19 décembre, l’universitaire Hassan Diab (60 ans) —  une candidature soutenue par le puissant mouvement chiite, le Hezbollah et son allié du Courant patriotique libre, parti du président de la République, Michel Aoun — pour former un nouveau gouvernement,  les manifestants continuent de squatter les rues de Beyrouth et Tripoli (à part la mini-trêve durant les fêtes de Noël).

En Irak, le Premier ministre Adil Abdul-Mahdi a, de son côté, démissionné sous l’impulsion de manifestations de masse, déclenchés le 1er octobre, contre le chômage, la corruption, la déliquescence des services public et la tutelle de l’Iran et réclament la « chute du régime ». Au total, plus de 400 personnes ont été tuées durant plus de deux mois de contestation inédite contre le pouvoir politique, selon l’AFP et Reuters, citant des sources médicales et policières.

 

Un Irakien brandit le drapeau national durant une manifestation à Kerbala, le 27 novembre 2019 (Crédit photo: REUTERS)

 

Dans l’Iran voisin, durant la deuxième quinzaine du mois de novembre 2019, des mouvements de contestation ont lieu dans le pays pour protester contre l’augmentation du prix du carburant annoncée par les autorités dans un contexte de crise économique. Des groupes d’opposition et des journalistes locaux, des centaines de personnes ont été tuées lors de cette répression, selon des ONG internationales de défende de droits de l’homme. Dans la foulée, le régime des mollahs a bloqué internet sur tout le territoire iranien, pendant une semaine, pour étouffer les pires troubles depuis le déclenchement de la révolution islamique en 1979.

 

« Printemps latino-américain » et colère hongkongaise

En Amérique du Sud, si en 2011 le monde a connu le « Arab spring », en 2019, c’était le tour du « printemps latino-américain ».

En Équateur, le 2 octobre, une grève générale a paralysé le pays en réaction à de mesures d’austérité. Le président Lenine Moreno a fini par déclarer l’état d’urgence suites aux plus importantes manifestations de l’histoire contemporaine du pays. Le 13 octobre, le décret présidentiel a finalement été retiré. Cette annonce a mis fin à un 11 jours de tensions réprimés dans le sang avec un bilan de 10 morts, plus de 1.300 blessés et près de 2.000 arrestations.

 

Des manifestations ont éclaté dans tout l’Équateur, comme ici à Quito le 7 septembre 2019. (REUTERS/Daniel Tapia)

 

Toujours dans l’Amérique latine, mais cette fois-ci, en Bolivie. En effet, lors des élections générales du 20 octobre, des allégations de fraude électorale ont déclenché des manifestations de masse. Le Président Evo Morales s’est réfugié au Mexique. Et un nouveau vote est attendu dans les prochains mois.

 

La démission du président Evo Morales a été suivie de manifestations de joie comme ici à La Paz. (REUTERS/Marco Bello)

 

Au Chili —  l’un des pays les plus riches, les plus stables et les plus pacifiques du continent, mais aussi le plus inégal —, depuis le 7 octobre, la date de l’augmentation des prix de services publics, notamment ceux des tarifs du métro, la population vit au rythme d’un tsunami de manifestions et de violents heurts ayant engendrés au moins 26 morts, 2.459 blessés et 5.012 arrestations, selon les données publiées par l’« Instituto Nacional de los Derechos Humanos » (« Institut national des droits de l’homme » ou INDH), le 26 novembre.

 

Manifestation contre le gouvernement à Santiago du Chili, le 8 novembre 2019. (MARTIN BERNETTI / AFP)

 

Enfin, on clôture ce tour d’horizon des mouvements de contestation avec l’Asie et les manifestations de Hong Kong entamés le 15 mars 2019 contre l’amendement de la loi d’extradition par le gouvernement. Le 16 juin, en réponse aux actes violents et à cause de la position ferme du gouvernement, près de 2 millions d’Hongkongais ont participé à une mobilisation monstre; soit la plus grande manifestation de l’histoire de Hong Kong, poussant Carrie Lam a présenter ses excuses, sans pour autant démissionner. 

 

Des manifestants défilent à Hong Kong pour s’opposer au gouvernement, le 16 juin 2019. (REUTERS/Tyrone Siu)

 

Si le 8 juillet, le projet de loi a été retiré, les manifestants n’ont pas quitté la rue en exigeant désormais des réformes démocratiques plus profondes.

De Hong Kong à Santiago passant par Alger, personne ne peut prédire la fin de ces grognes anti-systèmes. Et tout porte à croire que l’année 2020 devrait être le prolongement de ces mouvements et pourquoi pas l’apothéose d’une révolte mondiale.


 

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