Aucune législation pour le service des renseignements en Tunisie depuis l’indépendance du pays. Neuf ans après la révolution de 2014, c’est le statu quo.


Les diverses recommandations depuis la révolution, inhérentes à la restructuration du secteur de la sécurité, sont restées, à ce jour, lettre morte. Les réticences et parfois le refus émanant aussi bien de certains partis politiques que des organisations syndicales qui appuient le projet de loi relatif à la répression des atteintes contre les forces armées et refusent la proposition de rattacher la police judiciaire au ministère de la Justice, confirment que le secteur sécuritaire est en pleine ébullition. Sur le plan législatif, la publication d’un décret gouvernemental (n° 2017-71 du 19 janvier 2017) portant création du centre national des renseignements, et d’un arrêté du Président de la République le 30 octobre 2017, relatif aux commissions permanentes du conseil de sécurité nationale, quoique saluée par les experts sécuritaires, n’a pas été de nature à répondre aux attentes d’une profonde restructuration.

Selon le projet de loi concernant les renseignements généraux, il est créé à la Présidence du gouvernement un organe dénommé «le Centre national des renseignements». Il est chargé à cet effet d’accomplir plusieurs missions dont la coordination entre les divers organes de renseignement nationaux, la collecte des analyses et rapports auprès des divers organes de renseignement nationaux, la réalisation des analyses occasionnelles et périodiques et des évaluations des risques et menaces ainsi que l’élaboration des notes de renseignement qui sont remises au chef du gouvernement et au président du conseil de sécurité nationale, l’élaboration des options stratégiques et des priorités en matière de renseignement et les soumettre au conseil de sécurité nationale.
Le projet en question se trouve toujours au niveau de la présidence du gouvernement, mais permettra en cas de son adoption de protéger aussi bien les agents du centre que les citoyens. Ceci permettra aux renseignements généraux de travailler dans un cadre légal et en conformité avec les lois du pays contrairement aux années passées.

Qui détient le renseignement détient le pouvoir
Dans les quatre coins du monde, les services spécialisés sont connus pour leur hermétisme et sont d’un apport extrêmement important pour la sécurité nationale. Le renseignement ne touche plus que les questions purement sécuritaires, mais plutôt tous les domaines économiques, sociaux et politiques. Il est vrai que celui qui détient le renseignement détient le pouvoir, mais il est impératif que les services spécialisés soient protégés par une législation adéquate à même d’éviter de les mettre au service de partis politiques ou au profit de certains clans.

Pris de court par la révolution en 2011, le régime de Ben Ali n’a pas longtemps résisté, non pas que la machine infernale des renseignements généraux ne fonctionnait pas mais pour la simple raison qu’elle a été, à son tour, récupérée par certaines parties et que le prédisent lui-même a été déconnecté de la réalité du pays. Plusieurs hauts cadres sécuritaires ont payé le prix fort et ont été licenciés en raison de l’absence d’une législation susceptible de les protéger.

Pour un cadre juridique clair
Neuf ans après la révolution, l’appareil des renseignements généraux n’a pas subi de grands changements au niveau structurel et n’a pas pu échapper aux tentatives de mainmise qui l’ont déstabilisé. La désignation à sa tête de plusieurs directeurs dans un laps de temps très court pose toujours problème. Les RG font-ils peur à ce point au moment où le pays fait face à la menace terroriste, à la corruption et à une ingérence à plusieurs facettes ?
Il est vrai qu’un service de renseignements bien solide fait peur mais ceci n’est valable que pour les régimes autoritaires. Dans les pays démocratiques, les activités des RG sont régies par la loi pour ne pas piétiner les libertés fondamentales et freiner un pouvoir discrétionnaire.

Pourquoi alors ce vide juridique autour d’une question cruciale en rapport avec la sécurité nationale et pourquoi les gouvernements rechignent encore à légiférer ? C’est que certains partis politiques refusent, du moins pour le moment, une législation à même de limiter leur champ d’action dans cette période transitoire où l’immixtion étrangère ne fait plus l’ombre d’un doute.
Aucune législation trouvée pour le service des renseignements en Tunisie et pour la coopération internationale policière contrairement au secteur militaire, relève un rapport d’étude publié en 2012 par le Centre pour la gouvernance du secteur de la sécurité (DCAF) basé à Genève et avec qui l’Etat tunisien collabore depuis la révolution pour la réforme du secteur de la sécurité dans le pays. «Un cadre juridique clair, cohérent et complet est une condition préalable à une gestion efficace, transparente et responsable du secteur de la sécurité» avait pourtant souligné le rapport. Il est vrai que confrontés à la question de la sécurité nationale lors d’un débat électoral transmis sur les plateaux de télévision, la majorité des candidats à la présidentielle n’ont pas apporté la réponse à laquelle s’attendaient les professionnels du secteur de la sécurité, celle qui est en rapport avec la législation. L’un de ces candidats à appelé à la création d’une agence nationale pour les renseignements sans pour autant évoquer le volet juridique qui a pris beaucoup de retard, puisqu’il est question aujourd’hui de coopérer avec les instances constitutionnelles indépendantes, dont l’Instance de la protection des données personnelles et celle du droit d’accès à l’information.

Loi sur l’état d’urgence, pas aussi urgent ?
L’état d’urgence a été le plus souvent proclamé et prolongé dans le pays depuis la révolution. Depuis les séries d’attaques terroristes en 2015 et jusqu’à cette date, rien n’a changé en dépit du projet de loi sur l’état d’urgence déposé à l’ARP. L’ancien président de la République, feu Béji Caïd Essebsi avait menacé de ne plus prolonger l’état d’urgence dans le pays depuis avril 2019 pour finir par revenir sur cette décision. L’ARP n’a pas jugé urgent le vote de ce projet de loi bien que les dispositions du décret 1978-50 réglementant l’état d’urgence ne soient pas constitutionnelles.

En effet, la déclaration de l’état d’urgence est liberticide à plus d’un titre et nécessite une profonde révision puisque dans sa version actuelle, elle a permis le retour à des pratiques qu’on croyait révolues à jamais. Les organisations de défense des droits de l’homme ont vite réagi et ont exprimé leur «inquiétude sur le fait que le gouvernement utilisait ses pouvoirs découlant de l’état d’urgence pour assigner des citoyens à résidence avec peu d’éléments de preuve ou de soupçons fondés» . Certes, des pas ont été franchis en vue de renforcer le secteur sécuritaire et de combler le fossé entre l’Etat de droit et certaines pratiques sécuritaires et techniques de renseignement, dont notamment la publication de l’arrêté du présidentiel du 30 octobre 2017, relatif à la formation de commissions permanentes du conseil de sécurité nationale.

Ces missions sont appelées à aider le conseil de sécurité nationale à s’acquitter de sa mission par l’élaboration d’études, l’émission de recommandations et de propositions en rapport avec les options stratégiques dans les domaines de la sécurité nationale, l’identification des dangers et des menaces qui ont des répercussions sur la sécurité du pays afin de proposer les dispositions et les mesures adéquates permettant de s’en prévenir.
L’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme et de prévention de la radicalisation et d’une stratégie de sécurité des frontières, la coopération multilatérale sécuritaire ouverte avec le G7+ sont d’un atout considérable pour un secteur en manque surtout de stabilité au niveau du commandement, mais qui a besoin d’être entouré d’une législation bien claire qui protège et met le citoyen en confiance.

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