Echange de graves accusations entre deux hauts magistrats : Faut-il craindre pour l’indépendance de la justice ?

L’échange d’accusations inédit dans l’histoire contemporaine du pays rouvre le débat, encore une fois, autour de l’indépendance de la justice en Tunisie. En effet, à la moindre crise, la question de l’indépendance des juges et leur impartialité à l’égard des différentes couleurs politiques sont remises en cause.

Accusations et contre-accusations, sorties médiatiques incendiaires, grèves et obligation de réserve oubliée, le pouvoir judiciaire va mal et est actuellement au cœur de la tourmente. En effet, on n’aura jamais connu pareille situation qui s’empare du troisième pouvoir, lorsque deux hauts juges échangent de graves accusations, il y a de quoi s’inquiéter compte tenu du bon fonctionnement de l’appareil judiciaire. En tout cas, cette situation devra servir de moyen pour se pencher sur les réalités de ce pouvoir qui semble en pleine crise à multiples dimensions. Mais une chose est sûre, tout doit être fait de manière à garantir l’indépendance de la justice, une des revendications de la révolution.

Le Conseil de l’ordre judiciaire, relevant du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), a décidé, mardi dernier, de charger le parquet du Tribunal de première instance de Tunis d’enquêter sur les fuites de suspicion de crimes en rapport avec les affaires des assassinats des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, ainsi que sur des présomptions de crime en rapport avec des affaires de terrorisme et de malversations financières. Cette décision intervient dans le cadre de l’affaire d’échange de graves accusations entre le premier président de la Cour de cassation, Taïeb Rached, et l’ancien procureur de la République du Tribunal de première instance de Tunis, Béchir Akremi. Il a été également décidé de retirer l’immunité judiciaire au magistrat Taïeb Rached, dans un des trois dossiers soulevés à son encontre dans le cadre de cette affaire.

L’immunité, un droit garanti

Le président du Conseil supérieur de la magistrature, Youssef Bouzakher, a expliqué, à cet effet, que le retrait de l’immunité à ce juge intervient dans l’objectif de permettre à la justice de se pencher sur les accusations portées à son encontre. «Le Conseil de l’ordre judiciaire n’a pas pris la décision de lever l’immunité judiciaire de l’ancien procureur de la République du Tribunal de première instance de Tunis, Béchir Akremi, car nous n’avons pas reçu de demande ni de la part du parquet, ni du juge d’instruction à cet effet», a-t-il expliqué. Il a dans ce sens rappelé que «l’immunité est un droit dont bénéficie le juge et qui ne peut être levée qu’à la demande d’une autorité habilitée à le faire, à savoir le parquet ou le juge d’instruction».

Retour sur les faits. Tout a commencé lorsque des partis politiques et le bâtonnier des avocats avaient appelé à une enquête «sérieuse» sur des rapports présentés par le premier président de la Cour de cassation Taïeb Rached où il accuse l’ancien procureur de la République du Tribunal de première instance de Tunis Béchir Akremi, de dissimuler des crimes terroristes, et de cacher des données et preuves importantes dans les dossiers des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Ces rapports, fuités, concernent également des accusations portées par l’ancien procureur de la République contre Taïeb Rached concernent des pots-de-vin dans de nombreuses affaires et «l’amplification de ses biens, en un court laps de temps, sans que leur source ne soit justifiée et légitime». Un échange d’accusations si graves qui porte atteinte à l’image du pouvoir judiciaire.

Mais les choses ne se sont pas arrêtées à ce niveau. Dans une sortie médiatique polémique, lundi dernier sur Attessiaa Tv, qui a fait fi de l’obligation de réserve, Taïeb Rached a récusé tout ce qui a été évoqué par Béchir Akremi, «de posséder des biens immobiliers et une grosse fortune», signalant que «c’est une manière de lui porter atteinte». «Ces déclarations ont comporté de nombreuses supercheries», a-t-il indiqué. Et d’ajouter que tous ses biens sont enregistrés, et déclarés, tous les ans, auprès de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc).

Demande de levée du droit de réserve

Attaché à l’obligation de réserve, l’ancien procureur de la République au Tribunal de première instance de Tunis, Béchir Akremi, qui a, à son tour, exclu toutes les accusations et allégations qui lui sont imputées, a formulé une demande au Conseil de l’ordre judiciaire, et au Conseil supérieur de la magistrature, où il leur a demandé la levée du droit de réserve, afin qu’il puisse répondre aux informations relayées, et éclairer la lanterne de l’opinion publique sur ces dossiers sensibles.

Cet échange d’accusations inédit dans l’histoire contemporaine du pays rouvre le débat, encore une fois, autour de l’indépendance de la justice en Tunisie. En effet, à la moindre crise, la question de l’indépendance des juges et leur impartialité vis-à-vis des différentes couleurs politiques sont remises en cause.

Certains observateurs pointent du doigt les tentations politiques et les postes ministériels et au sein de l’administration tunisienne proposés à certains juges, ce qui a conduit à la construction de certains liens et même relations entre des magistrats et des partis politiques. Rappelons dans ce contexte que le gouvernement Habib Jemli avait proposé quatre magistrats pour des portefeuilles ministériels, dont des ministères régaliens.

D’ailleurs, le bâtonnier de l’Ordre national des avocats tunisiens (Onat), Brahim Bouderbala, a appelé à l’ouverture d’une enquête minutieuse afin de vérifier les accusations que l’ancien procureur de la République, Béchir Akremi, et le premier président de la Cour de cassation, Taïeb Rached, se sont lancées dernièrement. Qualifiant ces accusations de «dangereuses», Maître Bouderbala a soutenu que la justice tunisienne doit enquêter sur cette affaire «si elle souhaite sauver son image». « Si la justice passe cette affaire sous silence, elle perdra sa crédibilité et la confiance des citoyens », a-t-il averti.

C’est aussi dans ce contexte que le Courant démocratique avait appelé le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et le parquet et l’inspection générale, relevant du ministère de la Justice, à ouvrir une enquête sérieuse dans les rapports présentés par le premier président de la Cour de Cassation, Taïeb Rached, où il accuse l’ancien procureur de la République du Tribunal de première instance de Tunis, Béchir Akremi de dissimuler des crimes terroristes, en vue de préserver le principe de l’indépendance de la justice.

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