Violence, sit-in et divergences : Où va le Parlement ? 

Depuis l’acte d’agression, lundi dernier, le Parlement est toujours dans l’incapacité de condamner les actes de violence inouïe dont a été victime notamment le député du Courant démocratique Anouar Ben Chahed. Et pour cause, des divergences et des tiraillements politiques entre les différents blocs parlementaires et la présidence de l’Assemblée ayant conduit le bloc démocratique, composé principalement des députés du Courant démocratique et du Mouvement du peuple, à entamer un sit-in au Parlement.

Ce qui se passe actuellement sous la coupole du Bardo ne fait que ternir une image déjà entachée aux yeux des Tunisiens, mais surtout des électeurs. Quand le sang coule sous la coupole du Parlement, pourtant institution à laquelle nous avons confié la législation de nos lois, on s’aperçoit qu’une crise institutionnelle, politique et morale s’y est installée. Nul ne doute qu’au vu des images que nous voyons sur nos écrans, certains Tunisiens ont sûrement regretté leurs choix électoraux.

En tout cas, depuis le jour de l’agression, lundi dernier, le parlement est toujours dans l’incapacité de condamner ces actes de violence inouïe dont a été victime notamment le député du Courant Démocratique Anouar Ben Chahed. Et pour cause, des divergences et des tiraillements politiques entre les différents blocs parlementaires et la présidence de l’Assemblée ayant conduit le bloc démocratique composé principalement des députés du Courant Démocratique et du Mouvement du Peuple à entamer un sit-in au Parlement. Une action qui intervient comme dernier recours, comme l’expliquent les leaders et députés de ces deux partis, face à ce qu’ils appellent «le mutisme de la présidence du Parlement face à la violence».

En effet, depuis mardi soir, les 40 députés de ce bloc parlementaire occupent l’espace devant la salle des plénières du Parlement en signe de protestation contre toute forme de violence et notamment contre l’agression des députés du Courant Démocratique. Hier, ils ont également poursuivi leur mouvement de protestation sans pour autant bloquer les travaux du parlement. Joint par La Presse, Mohamed Ammar, député et président du bloc démocratique explique que ce sit-in entamé ne constitue que le début de plusieurs formes de protestation si la présidence du Parlement s’obstine à ignorer les revendications de son bloc parlementaire. « Nous revendiquons une condamnation ferme et immédiate de ces formes de violence qui ont eu lieu sous la coupole du Bardo. C’est une première dans l’histoire de la Tunisie », explique-t-il insistant que le sit-in observé intervient suite à l’épuisement de toutes les alternatives pacifiques possibles en vue de pousser le Parlement à dénoncer la violence.

Selon Mohamed Ammar, tout l’enjeu étant aujourd’hui d’éviter un retour de la violence observé précédemment en Tunisie. « Certaines parties veulent que la Tunisie retourne à la violence, mais aujourd’hui nous sommes là pour défendre le caractère civil de l’Etat tunisien, mais eux, ils sont en train de défendre un autre Etat», insiste-t-il.

Polarisation de la scène parlementaire

Interrogé si la Coalition Al-Karama constitue la seule source de tension au sein du Parlement, notre interlocuteur pense qu’il existe actuellement une forme de polarisation entre Al-Karama et le Parti Destourien Libre (Pdl) qui a conduit à ces formes d’anarchie. «Certainement, la Coalition Al-Karama est soutenue par le parti Ennahdha qui lui offre une certaine protection», explique-t-il.

S’agissant des appels à dissoudre le Parlement, Mohamed Ammar soutient qu’actuellement il faut avant tout réformer le processus politique en Tunisie avant de penser à toute alternative de ce genre. «Dissoudre le Parlement dans cette phase aura des répercussions graves, nous devons avant tout réformer le processus politique, déterminer les responsabilités», explique-t-il pour dire que dissoudre le Parlement avec le même système politique conduira aux mêmes résultats. Et d’ajouter qu’actuellement la priorité étant de trouver des solutions économiques et politiques à cette crise avant de penser à la dissolution du Parlement. «Après, si cela s’avère nécessaire, nous ne sommes pas contre», conclue-t-il.

Pour sa part, Ridha Zaghmi, membre dudit groupe, le mouvement de protestation observé par les députés du groupe démocratique se poursuivra jusqu’à la satisfaction de leur demande. « Ce mouvement, qui a démarré mardi en fin d’après-midi, ne bloquera pas les activités du Parlement, ni le vote de la loi de finances 2021 », a-t-il tenu à préciser. Il a ajouté que le groupe votera cette loi à travers l’application digitale utilisée.

Appels à dissoudre le Parlement

Face aux multiples formes d’anarchie qui se sont emparées du Parlement, plusieurs voix se sont élevées récemment pour appeler à dissoudre le Parlement. L’ancien secrétaire d’Etat, Touhami Abdouli, a dans ce sens appelé le président de la République à dissoudre le Parlement sur fond de violences et de chaos qui y ont eu lieu dernièrement. Estimant que ce Parlement a perdu «toute légitimité électorale». Le député Mongi Rahoui a également appelé à la dissolution du Parlement ainsi qu’à la déchéance de son président Rached Ghannouchi. “L’ARP est devenue synonyme de corruption. Il n’est plus possible de la réformer, elle doit être complètement abandonnée”, a-t-il souligné.

Même son de cloche chez le juriste et professeur de droit constitutionnel, Sadok Belaid, qui estime que «dissoudre le Parlement est devenu aujourd’hui une nécessité pour l’intérêt du pays». Belaid rappelle que seul le président de la République est habilité constitutionnellement à dissoudre le Parlement.

Sauf que, selon plusieurs spécialistes en Constitution, bien que l’article 80 permette au Chef de l’Etat de bénéficier de plusieurs prérogatives, son activation n’est pas aussi évidente et pourrait déclencher une crise constitutionnelle en l’absence de la Cour constitutionnelle. Ledit article stipule qu’«en cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du Chef du gouvernement et du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la cour constitutionnelle. Il annonce les mesures dans un communiqué au peuple».

Face à ces appels, le président du parlement Rached Ghannouchi a estimé que seuls les courants anarchistes veulent conduire le pays à un tel scénario, estimant que «l’institution législative est aujourd’hui visée». 

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