Crise de l’école Normale Supérieure de Tunis : Ne touche pas à mon droit au recrutement !

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Dans la Tunisie d’aujourd’hui, où le système éducatif vit ses moments les plus difficiles avec des problèmes structurels et des grèves à n’en plus finir, il faut penser à la crise qui frappe le secteur depuis des années, empoisonne le quotidien et hypothèque l’avenir… A l’ENS, la situation ne diffère pas beaucoup de celle que connaît le pays ces dernières années. Elle demeure complexe, étant donné que la grève ouverte des étudiants, observée depuis le 26 novembre dernier, s’est transformée en une grève de la faim. Pis, les étudiants comptent hausser le ton si leurs revendications ne sont pas satisfaites. Que se passe-t-il au sein de cet établissement, censé former une élite d’enseignants et de chercheurs pour le secondaire et le supérieur ?

Durant des années, même celles qui précèdent la révolution, tous les secteurs vivent sur les effets pervers des projets non entamés, inachevés ou abandonnés. A chaque remaniement gouvernemental et à chaque nomination d’un nouveau gouvernement, c’est la même chose : l’effort du département change d’orientation, en fonction des perceptions primaires de la nouvelle équipe ministérielle mise en place, et les promesses engagées par les autorités précédentes restent lettre morte. Cette règle s’applique aussi dans le système éducatif tunisien, qui a perdu de sa superbe et de son lustre d’antan, et qui est, actuellement, objet de suspicion de la part de la majorité des gens. Et ce qui se passe, aujourd’hui, à l’Ecole normale supérieure de Tunis (ENS), institution en cotutelle entre le ministère de l’Education et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, est un bon exemple de la détérioration et de l’effondrement du système éducatif tunisien, qui nécessite une véritable révolution de fond.

Un dangereux précédent

Le projet de loi de Finances pour l’exercice 2021 a eu l’effet d’une bombe sur les étudiants de l’ENS, premier établissement tunisien d’enseignement supérieur, qui a pour mission de préparer, depuis sa création en 1956, ses hôtes à l’agrégation, avec pour objectif de former une élite d’enseignants et de chercheurs pour le secondaire et le supérieur. En effet, ce PLF annonce l’affectation de seulement 15 enseignants diplômés de l’ENS au courant de l’année 2021, sur les 83 normaliennes et normaliens de la prochaine promotion, alors que selon les lois et les législations qui sont toujours en vigueur, ceux qui réussissent au concours de l’agrégation sont nommés «automatiquement et directement» soit dans les lycées, soit dans un établissement de l’enseignement supérieur.

«Face à ce dangereux précédent, nous avons décidé de prendre les choses en main pour que cette situation injuste cesse définitivement et ce scénario ne se répète plus. Nous nous sommes adressés aux autorités compétentes et, sans surprises, nous nous sommes trouvés face à plusieurs versions qui s’opposent; le ministère de l’Education affirme que le nombre de postes est en adéquation avec le nombre de candidats normaliens et que les 83 normaliennes et normaliens seront, de toutes les manières, recrutés au titre de l’année 2021. Mais cette démarche ne semble pas intéresser le ministère des Finances, qui a baissé ce chiffre à 15 seulement, sans donner des explications sur les motifs de cette décision. Pour sa part, le ministère de l’Enseignement supérieur a gardé le silence face à cette situation», indiquent Ibrahim S’hari et Oussema Dkhili, respectivement délégué des étudiants de l’ENS et un étudiant normalien, dans une déclaration accordée à La Presse.

Nous irons jusqu’au bout !

Face à cette situation, pas moins de 8 étudiants de l’ENS ont entamé depuis lundi, 14 décembre 2020, une grève de la faim pour imposer ce qu’ils estimaient être le minimum syndical : l’organisation d’une rencontre qui regroupe des représentants de l’ENS, du ministère des Finances, ceux de l’Education et de l’Enseignement supérieur et de la Présidence du Gouvernement pour garantir le recrutement automatique et direct de 83 normaliennes et normaliens au titre de l’année 2021, comme le stipule la loi en vigueur. Ces derniers doivent également garantir le droit au recrutement pour les deux prochaines promotions (2022 et 2023).

Sur un autre plan, les étudiants réclament la création d’un Comité spécifique en charge de la révision des lois et du cadre législatif de l’ENS pour garantir et assurer sa pérennité et sa continuité, ainsi que les droits des générations futures. Ils plaident, également, pour la fixation d’une date annuelle pour le concours (et donc une date fixe pour la publication de la circulaire l’organisant) et un nombre de postes en adéquation avec le nombre de candidats normaliens. Ils regrettent, en outre, l’absence de professeurs permanents qui devraient accompagner les étudiants tout au long de leur formation.

Parmi les autres demandes, ils réclament la reprise des stages d’étudiants à l’étranger, l’organisation de conférences scientifiques et de manifestations culturelles, la prise au sérieux de l’état des locaux et des conditions d’hébergement des étudiants…

«Le ministère de l’Education a donné son accord aux propositions faites, ce qui n’est pas le cas pour le ministère de l’Enseignement supérieur qui continue de faire la sourde oreille. Mais, pour notre part, on ne compte pas baisser les bras et on ira jusqu’au bout, car rien ne garantit que la crise ne se répétera pas l’année prochaine. Après la grève ouverte que nous avons entamée depuis le 26 novembre, un bon nombre d’étudiants entament, aujourd’hui, une grève de la faim… Faut-il ici rappeler que c’est même la survie pure et simple de l’ENS qui est en jeu, aujourd’hui ?!

Pour ce faire, une réforme réfléchie et approfondie, qui tient compte de l’expérience d’un long passé de l’école, s’impose aujourd’hui. Car dans le cas contraire, l’ENS, qui était un rêve, se transforme peu à peu en cauchemar… Ainsi, s’il faut hausser le ton encore plus pour qu’on nous entende, nous le ferons pour garder notre droit au recrutement automatique et garder cet acquis national, qui doit continuer de fournir une formation distinguée», souligne S’hari.

Un commentaire

  1. lamine chabchoub

    17/12/2020 à 07:52

    laisser l’ens se déliter c’est le pays qui perd une partie de son âme.

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