Accueil A la une Polémique autour de la prestation de serment des nouveaux ministres : Tous les yeux rivés sur Kaïs Saïed !

Polémique autour de la prestation de serment des nouveaux ministres : Tous les yeux rivés sur Kaïs Saïed !

Une crise profonde sur fond politique pourrait avoir lieu si le Chef de l’Etat Kaïs Saïed concrétisait ses menaces adressées au Chef du gouvernement Hichem Mechichi  en privant les ministres soupçonnés de conflits d’intérêts de prêter serment, une procédure protocolaire mais constitutionnelle et nécessaire. Les avis des constitutionnalistes divergent. 

Ce cas de figure n’a jamais eu lieu en Tunisie. Autrement, il s’agira d’un précédent et en l’absence de la Cour constitutionnelle, tout reste sujet à diverses interprétations et lectures parfois contradictoires. En présidant, la veille du vote de confiance aux nouveaux ministres à l’Assemblée des représentants du peuple, un Conseil de sécurité nationale, le Chef de l’Etat Kaïs Saïed s’est montré contre ce remaniement opéré il y a quelques jours par le locataire de La Kasbah. Pour lui, il s’agit même d’un remaniement qui a enfreint les dispositions de la Constitution, affirmant que les ministres concernés par des soupçons de corruption et des conflits d’intérêts «ne peuvent pas prêter serment», dans un message clair adressé à Hichem Mechichi et l’appelant à revoir sa copie. Sauf que ce dernier a opté pour un passage en force et a sollicité la confiance du Parlement aux nouveaux ministres proposés. D’ailleurs, ils ont tous obtenu l’aval des députés. Une manœuvre qui a, certes, assuré le passage de cette nouvelle composition gouvernementale, mais qui a mis tout le paysage politique et parlementaire au cœur d’une situation extrêmement compliquée, délicate et ouverte  à tous les scénarios.  

Au fait, tout le blocage réside dans l’interprétation de l’article 89 de la Constitution portant sur la prestation de serment des membres du gouvernement. En effet, conformément audit article, «le chef et les membres du gouvernement prêtent devant le Président de la République le serment qui suit : “Je jure par Dieu Tout-puissant de travailler fidèlement pour le bien de la Tunisie, de respecter sa Constitution et sa législation, de veiller scrupuleusement sur ses intérêts et de lui devoir allégeance”».

Saïed pourrait s’abstenir de convoquer certains ministres qui seraient liés à des soupçons de conflit d’intérêts pour prêter serment ? Ou s’agit-il simplement d’un coup de poker pour pousser Hichem Mechichi à revoir certains noms proposés ?

Contactée par La Presse, la constitutionnaliste et chargée de l’information au sein de l’Association tunisienne de droit constitutionnel Faten Mbarki pense que deux lectures constitutionnelles résument cette situation. Elle explique que la première porte sur la compétence liée dont dispose le Chef de l’Etat, c’est-à-dire un pouvoir que son détenteur est obligé d’utiliser, qu’il le veuille ou non. Donc dans ce cas, en refusant de convoquer certains ministres à la prestation de la Constitution, le Chef de l’Etat enfreint la Constitution.

La deuxième lecture dit, en revanche, que le président de la République jouit d’un pouvoir d’appréciation et pourrait ne pas convoquer ces ministres à cette cérémonie protocolaire et dans ce cas, personne ne pourrait l’obliger à le faire. «Ces deux lectures résument actuellement la situation, mais il faut dire qu’il n’existe aucune crise constitutionnelle, mais l’absence de la Cour constitutionnelle a fait que le paysage politique se trouve dans ce blocage», ajoute-t-elle. Notre interlocutrice insiste sur le fait qu’il s’agit plutôt d’une crise politique et que les avis des constitutionnalistes ne peuvent rien apporter et ne peuvent rien changer. Faten Mbarki évoque également un autre cas de figure portant sur le décret présidentiel par lequel seront nommés officiellement ces nouveaux ministres, ce qui pourrait créer un autre blocage politique si le président s’abstient de le promulguer. 

Une décision anticonstitutionnelle ?

Pour la constitutionnaliste Mouna Kraïem Dridi, «en matière de prestation de serment, le président de la République n’est qu’un simple témoin puisqu’il s’agit d’une compétence liée», et par conséquent il ne pourra pas refuser la prestation de serment de certains ministres, sinon «il enfreindrait la Constitution dont il est le garant».  La professeure en droit constitutionnel Salsabil Klibi est du même avis. Pour elle, il serait anticonstitutionnel pour le Président de la République d’empêcher l’un des ministres de prêter serment. Mais, selon elle, le Chef de l’Etat pourrait en revanche retarder cette procédure infiniment, car aucun délai n’est mentionné dans la Constitution pour délimiter dans le temps la cérémonie de prestation de serment après le vote de confiance à l’ARP. 

En tout cas, le secrétariat général de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a adressé, hier, une correspondance à la présidence de la République pour lui notifier les résultats de la séance plénière après le vote en faveur des ministres proposés dans le remaniement opéré par Hichem Mechichi. Cette correspondance s’inscrit dans le cadre de la procédure législative ordinaire et le respect des dispositions de la Constitution et le règlement intérieur du Parlement, a indiqué l’assesseur du président de l’ARP, chargé de la communication et de l’information, Maher Madhioub.

Ce blocage intervient en effet sur fond d’une crise politique entre le Président de la République et le Chef du gouvernement qui remonte même au jour du vote de confiance au gouvernement Mechichi en septembre dernier. Si ce dernier affirmait que la relation qu’il entretient avec le locataire de Carthage est plutôt bonne, la divergence de points de vue entre les deux hommes est devenue palpable. Certains observateurs évoquent même une guerre de prérogatives opposant les deux présidences. Lors d’un dernier Conseil de sécurité nationale, le Président de la République avait même accusé Hichem Mechichi d’avoir enfreint la loi en procédant à un remaniement sans passer par un Conseil des ministres. En quête de soutien politique au Bardo, Mechichi a rappelé, à son tour, à Kaïs Saïed que ses prérogatives constitutionnelles lui permettaient de composer son gouvernement.

Ce blocage officialise-t-il la rupture entre les deux hommes ? Nul ne sait, en tout cas, tous les yeux seront tournés vers le palais de Carthage. Kaïs Saïed s’abstiendra-t-il de convoquer certains ministres pour prêter serment ?

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