Confrontée à une violente vague d’hostilités, d’accusations et même de menaces, la Haute autorité de la communication audiovisuelle (Haica) est dans la tourmente. Convoquée récemment par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour une séance de dialogue, l’instance de régulation du paysage audiovisuel est au cœur de l’attention médiatique.
Œuvrant depuis 2018 dans une situation fragile au vu de la fin de son mandat de six ans, la Haica connaît, en effet, une période extrêmement difficile, notamment face à la montée d’une vague d’hostilités menée par des partis politiques. Reçus, récemment, par le Président de la République, les membres de cette instance provisoire ont crié à une pression politique et à des menaces mettant en péril leur activité et même leur intégrité physique. Cette réunion avec le Président de la République a été interprétée comme une manière de renouveler la légitimité de l’instance face à ces hostilités menées notamment par Al-Karama et Qalb Tounès.
En effet, alors que, conformément à la loi, son mandat a touché à sa fin le 3 mai 2019, la Haute instance indépendante de la communication audiovisuelle se trouve encore une fois dans une situation de quête de légitimité, d’autant plus que des voix ne cessent d’appeler à mettre fin à son activité. Lors de la dernière séance plénière consacrée à la discussion avec les membres de la Haica, plusieurs députés ont, effectivement, pointé la situation d’illégalité dans laquelle s’active cette instance, dans des propos qui rouvrent le débat autour de sa légitimité. Une situation de confusion qui oblige les membres de l’instance à briser le silence pour apporter des éclaircissements.
Tous les membres de la Haica, dont notamment son président Nouri Lajmi, repoussent continuellement toutes ces accusations d’illégitimité, indiquant que l’instance est appelée par la loi à poursuivre son activité jusqu’à l’élection de la nouvelle Instance de régulation des médias audiovisuels. « Non ! La Haica n’est pas obsolète et n’est pas illégitime. Nous avons soumis un projet de loi au Président de la République et au gouvernement portant sur l’organisation du paysage audiovisuel, nous réitérons notre appel à l’adoption d’un nouveau cadre juridique pour mettre en place la nouvelle instance», rappelle dans ce sens Lajmi, car pour lui, « tant que la nouvelle instance n’existe pas, la Haica poursuivra son activité », autrement « le secteur sera livré au vide juridique ».
L’avis des universitaires compte. Evoquant le cas de la Haica, Abdelkarim Hizaoui, chercheur et enseignant à l’Institut de presse et des sciences de l’information, juge nécessaire le renouvellement de sa structure, d’autant plus que le mandat de la majorité de ses membres a pris fin depuis mai 2019. «Pour s’assurer de la légalité de la Haica et en attendant la mise en place de la nouvelle instance qui, au vu du paysage parlementaire, devrait tarder encore plus, il est nécessaire de renouveler la structure de la Haica conformément aux dispositions légales», a-t-il expliqué.
Des médias hors-la-loi
Outre cette question de quête de légitimité, l’instance de la régulation du paysage audiovisuel fait également face au grand dossier des chaînes de télévision et stations radio illégales opérant en Tunisie et bénéficiant de l’absence de l’application de la loi. Pour la Haica, qui ne cesse de mettre en garde contre ces médias, des ramifications politiques résident derrière cette situation d’illégalité de sorte que ces médias continuent de diffuser dans l’illégalité sous le couvert de la politique. C’est en tout cas ce que dénonce Hichem Snoussi, membre de l’Instance, qui pointe du doigt Nessma TV, Zitouna TV et la radio “Coran Karim”. Pour lui, ces trois médias bénéficient d’une couverture politique et c’est ce qui fait que les décisions de la Haica ne sont pas appliquées.
«Ce qui marque le plus l’actuel paysage audiovisuel, ce sont les médias hors-la-loi, soutenus par des partis politiques. Chaque média qui diffuse d’une manière illégale, sans autorisation, est soutenu par un parti politique. Nessma est protégée par Au Cœur de la Tunisie, Zitouna Tv par Ennahdha, et la radio du Coran par le parti Errahma. Il faut rappeler également que les médias audiovisuels se sont malheureusement inscrits aux agendas de certains partis politiques et certains candidats aux élections de 2019, ce qui constitue un constat extrêmement dangereux pour la démocratie tunisienne», a-t-il expliqué.
En attendant la nouvelle instance
En tout cas, confrontée à toutes les épreuves, la Haica ne pourra pas continuer sa mission dans de telles conditions. La Constitution de 2014 a prévu la mise en place d’une nouvelle instance constitutionnelle permanente qui organisera le secteur audiovisuel. L’Instance de la communication audiovisuelle (ICA), telle que prévu par la Constitution de 2014, sera chargée de la régulation du secteur audiovisuel et veillera notamment à la liberté d’expression et des médias, ainsi qu’à la garantie du pluralisme médiatique dans le respect des valeurs de la démocratie.
L’ICA disposera de prérogatives règlementaires, décisionnelles et régulatrices pour exercer ses missions statutaires. Pour le moment, le projet de loi établissant cette instance n’a pas encore été adopté par l’Assemblée des représentants du peuple. C’est pour cette raison que l’instance établie avant 2014 conformément au décret 116 continue d’exercer ses fonctions, mais n’est pas exempte de critiques et de remises en cause, notamment en ce qui concerne sa légitimité.