Kais Saied renvoie au Parlement l’amendement de la loi organique relatif à la Cour constitutionnelle : « Eviter toute interprétation non scientifique et non innocente »

Selon l’article 81 de la Constitution de la République Tunisienne du 27 janvier 2014, le Président peut renvoyer le projet à l’Assemblée pour une seconde lecture en motivant sa décision. Selon ce même article, les projets de loi ordinaires sont adoptés, après renvoi, à la majorité absolue des membres du Parlement, alors que les projets de loi organiques sont adoptés à la majorité des trois cinquièmes des membres.

La crise politique et constitutionnelle entre les trois présidences n’a pas fini de s’aggraver. Alors que dernièrement des prémices de dénouement ont été observés, notamment à la lumière des efforts de la Centrale syndicale visant à briser la glace entre les trois présidents, un dernier rebondissement de taille vient nous rappeler le blocage qui frappe le sommet de l’Etat dans une conjoncture économique, sociale et sanitaire extrêmement délicate.

Le Président de la République a renvoyé au Parlement, samedi dernier, le texte d’amendement de la loi organique 50-2015 relatif à la Cour constitutionnelle adopté par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) le 24 mars dernier. Selon un communiqué publié vers 23h samedi sur la page Facebook de la présidence de la République, le Chef de l’Etat a insisté sur «l’importance du respect de la Constitution, loin de toute interprétation non scientifique et non innocente», une manière de refuser le dernier amendement sollicité notamment par les députés de la ceinture gouvernementale, ceux d’Ennahdha en l’occurrence.

Pour prendre cette décision, le locataire de Carthage dit avoir fait usage de ses prérogatives constitutionnelles en «recourant à son droit constitutionnel et en se basant sur les délais constitutionnels énoncés dans le paragraphe 5 de l’article 148».  Ce paragraphe stipule que «dans un délai maximum de 6 mois à compter de la date des élections législatives, il est procédé à la mise en place du Conseil supérieur de la magistrature, et dans un délai d’une année à compter de la date de ces élections à la mise en place de la Cour constitutionnelle», mais n’explique pas parfaitement la position du Président de la République qu’il a détaillée dans une correspondance envoyée au chef de l’ARP, Rached Ghannouchi. Le Chef de l’Etat fait ainsi allusion au retard accusé au niveau de la mise en place de la Cour constitutionnelle, prévue une année après la promulgation de la Constitution de 2014.

Sauf que selon l’article 81 de la Constitution de la République Tunisienne du 27 janvier 2014, le président peut renvoyer le projet à l’Assemblée pour une seconde lecture en motivant sa décision. Selon ce même article, les projets de lois ordinaires sont adoptés, après renvoi, à la majorité absolue des membres du Parlement alors que les projets de lois organiques sont adoptés à la majorité des trois-cinquièmes des membres.

Risques de politisation

Commentant cette situation, le professeur en droit constitutionnel, Motaz Gargouri, soutient que le Chef de l’Etat jouit du plein droit de faire usage de son recours constitutionnel et de renvoyer au Parlement cet amendement pour une deuxième lecture.  Et d’ajouter que le Parlement peut adopter à nouveau le projet d’amendement de la  loi relative à la Cour constitutionnelle mais cette fois à la majorité des 3/5, soit 132 voix étant une loi essentielle. Pour ce professeur, le rôle de la Cour constitutionnelle a été dévié pour se transformer en un outil de pression sur le Chef de l’Etat.

Pour sa part, l’ancien juge Ahmed Souab pense qu’en renvoyant le projet d’amendement de la loi sur la Cour constitutionnelle au Parlement, Kais Saied vise à accaparer «les rôles d’interprétation de la Constitution». Et d’ajouter que d’un point de vue constitutionnel, «les interprétations du président sont assez étranges».

Si les avis des constitutionnalistes divergent, ceux des députés le sont aussi. Sauf que ce sont les députés de la ceinture politique du Chef du gouvernement, notamment ceux de la Coalition Al-Karama, qui ont tiré à boulets rouges sur le Président de la République. Le député de ladite coalition Mohamed Affes est allé jusqu’à dire que le «Président de la République sera isolé tôt ou tard».

Pour sa part, le député du parti Amal et Aamal, Yassine Ayari estime qu’il est du plein droit du Président de la République de faire usage de son recours constitutionnel, mais il est inapproprié de juger les intentions des protagonistes politiques en évoquant des «interprétations non scientifiques et non innocentes». L’Assemblée des représentants du peuple (ARP) avait adopté le 24 mars dernier l’amendement de loi organique numéro 50 de l’année 2015, relatif à la Cour constitutionnelle, à 111 voix favorables, 08 abstentions, sans opposition. La révision a concerné les articles 10, 11 et 12. Ainsi, l’Assemblée élit quatre membres de la Cour constitutionnelle, dont trois parmi les experts en droit, et ce à la majorité des 2/3 (145 voix) si le nombre suffisant des candidats n’obtient pas la majorité requise, après trois tours successifs, les autres candidats seraient élus à la majorité des 3/5 (132 voix) à trois tours consécutifs, stipule l’article 11 bis. Si les candidats n’obtiennent pas la majorité demandée, un deuxième tour est organisé, où l’élection des candidats restants se fait à la majorité des 3/5.

Ces amendements avaient été proposés par le gouvernement. La ministre de la Justice par intérim, Hasna Ben Slimane, a considéré que « le but des amendements est de surmonter les problèmes posés pour parachever l’élection des autres candidats de la Cour constitutionnelle ».

Le Chef de l’Etat avait émis ses réserves quant aux risques de politisation de la Cour constitutionnelle, mettant en garde contre le fait d’impliquer cette structure indispensable pour le parachèvement du processus démocratique dans les tiraillements politiques.

Certains observateurs évoquent le scénario du retrait de confiance au Président de la République une fois la Cour constitutionnelle installée, et c’est ce qui provoque une vive tension entre Le Bardo et Carthage.

Ce nouveau rebondissement intervient alors que le pays est toujours bloqué dans une crise politique inédite opposant les deux têtes de l’Exécutif sur fond d’un remaniement ministériel opéré par le Chef du gouvernement et refusé par le Président de la République.

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