Opérationnelle depuis près de neuf ans, l’Unité de préparation à l’accouchement sans douleur, créée au CHU Farhat Hached à Sousse, demeure quelque peu méconnue du public et des responsables. Pis encore : dépourvue de cahier des charges pourtant indispensable à sa réglementation, cette pratique fait ainsi l’objet d’une nonchalance institutionnelle, ce qui nuit à son efficience et ouvre la voie aux intrus qui n’hésiteraient nullement à l’intégrer dans leurs cursus sans fondement scientifique ni aptitude justifiée. Pourtant, il s’agit d’une première à l’échelle nationale et même internationale. Le Dr Slama attire l’attention sur les lacunes à combler afin de diffuser la culture de la «préparation à l’accouchement sans douleur» et apporter un appui plus que salutaire aux futures mamans, aux couples et à leurs progénitures. La Presse l’a rencontré pour vous. Interview.
Parlez-nous de la genèse de cette unité spécialisée.
«La première péridurale en obstétrique à Sousse a été pratiquée le 11 novembre 1988. La préparation physique à l’accouchement a débuté par la suite. Avec l’appui du Pr Hédi Khairi, chef de service de gynécologie-obstétrique, l’Unité de préparation à l’accouchement sans douleur a été créée en décembre 2010 grâce à des fonds privés collectés auprès de généreux donateurs. Mon objectif consistait en la préparation des parturientes à l’accouchement «sans douleur» ce qui représente un concept tout à fait nouveau en Tunisie. La douleur ainsi que la souffrance physique et psychologique de la femme enceinte sont bien connues par les médecins traitants. En revanche, et en dépit de leurs souffrances et de leurs angoisses, les femmes tunisiennes ignorent moult données portant sur les caractéristiques spécifiques aussi bien à la grossesse qu’à l’accouchement. Non informées, parfois mal informées, sur les exigences de l’accouchement sans douleur, la plupart d’entre elles présument que seule la péridurale leur épargnerait la douleur, ce qui est archifaux. Au jour J, elles se trouvent, par conséquent, incapables de respirer convenablement et de pousser au bon moment pour aider le bébé à voir le jour. Or, toute une pratique multidisciplinaire s’impose pour aider le couple mère-enfant à réussir l’épreuve et éviter toutes répercussions fâcheuses d’un accouchement douloureux. La lutte contre la douleur fait partie de la qualité des soins à notre époque».
Quelle évolution a connu l’unité depuis sa création ?
«L’évolution de l’unité se traduit aussi par l’introduction d’une nouvelle vision et d’une nouvelle mission, à savoir celle formatrice. Aujourd’hui, notre unité représente un véritable centre de formation de renommée internationale. En effet, nous y assurons des stages de formation spécialisée, d’une durée de deux semaines, sanctionnés par un examen théorique et pratique. Par groupes de 8 au maximum et en 38 cycles de formation, nous avons diplômé 240 médecins, kinésithérapeutes et sages-femmes pour la majorité, venant de toutes les régions de Tunisie et pour certaines du Maroc et d’Algérie. Nous avons aussi contribué à la création d’unités de préparation à l’accouchement à la maternité de Métlaoui et dans une clinique à Ksar Helal et bientôt dans une clinique à Gafsa et à la maternité de Monastir. Notre objectif est de vulgariser l’information sur cette pratique et d’apporter une aide psychologique et physique favorable à un plus grand nombre de Tunisiennes enceintes, de nouveau-nés voire de couples. Nous avons aussi réussi à convaincre les maris de l’utilité d’accompagner leurs femmes durant la période prénatale, post-natale et surtout au moment de l’accouchement. Cela n’a pas été et n’est pas encore une tâche facile car l’homme, mari de la femme qui accouche et père du nouveau-né, est encore indésirable dans les salles d’accouchement. Et donc la mentalité est à réviser ainsi que la conception architecturale des maternités».
Combien de femmes enceintes avez-vous assisté depuis décembre 2010 ?
«Le nombre reste minime en comparaison notamment de l’importance des résultats escomptés via cette pratique. En effet, seule une femme enceinte sur cent dans notre région bénéficie de la préparation à l’accouchement sans douleur, soit 1%. Pis encore : une femme sur cinquante réussit à impliquer son mari dans cette approche. Cela dit, et depuis 2013, l’unité est, tout de même, parvenue à préparer plus de 140 couples à l’accouchement sans douleur. Certes, le nombre de personnes assistées semble être bien en deçà de nos attentes. La majorité de nos couples ont accepté d’être photographiés et qu’on publie les photos sur notre groupe privé facebook, groupant près de 6.000 membres (préparation à l’accouchement sans douleur Sousse Tunisie). Cela traduit une prédisposition confirmée des jeunes couples à briser les tabous relatifs à la vie maternelle et infantile, voire à la vie de couple».
Pensez-vous que les contraintes culturelles risquent d’entraver votre mission ?
«Les contraintes culturelles persistent et j’ai l’impression qu’il n’y a aucune volonté collective à les éradiquer. Même le vocabulaire propre au corps de la femme acquiert un sens péjoratif plutôt que laudatif, ce qui est, à mon sens, aberrant surtout concernant le travail (hiss) et la douleur (loujaïa). Or, il est grand temps de dépasser toutes ces contraintes et de changer les mentalités. D’ailleurs, parmi les couples que nous avons assistés, dix ont accepté de se faire photographier durant les séances d’haptonomie et de massage relaxant, à condition d’avoir les yeux bandés pour ne pas être reconnus par leurs proches!».
Y a-t-il des contraintes autres que culturelles qui ralentissent l’avancée escomptée de cette pratique ?
«Oui, malheureusement et pas des moindres ! Ce sont les contraintes politiques et structurelles. En effet, et jusqu’à ce jour, la préparation à l’accouchement ne dispose pas d’un cahier des charges qui serait le fondement réglementaire de cette pratique. Pourtant, je n’ai ménagé aucun effort à cet effet. J’ai frappé à toutes les portes, demandant des audiences auprès de trois ex-ministres de la Santé. Des demandes qui sont restées sans suite aucune… Je viens d’ailleurs de solliciter un entretien avec la ministre de la Santé qui semble sensibilisée à ce problème ainsi que son staff. L’instauration d’un cahier des charges s’impose aussi bien pour réglementer la pratique, apporter plus de légitimité à l’unité mais aussi pour protéger cette filière contre les intrus. Certains coaches sportifs s’amusent à l’intégrer dans leurs activités sportives alors qu’ils n’ont aucune qualification, aucune légitimité et n’ayant reçu aucune formation dans ce domaine, ce qui est alarmant. De plus, la préparation à l’accouchement sans douleur ne fait partie d’aucun cursus d’études surtout des médecins (sauf à Sousse) et des kinésithérapeutes qui ne font aucun stage dans les maternités. Et au moment où les pays occidentaux passent la vitesse supérieure et s’intéressent à la Bébologie (science axée sur le comportement du bébé durant les périodes pré, per et postnatales), beaucoup de responsables et de spécialistes se montrent indifférents quant à la préparation à l’accouchement ! D’ailleurs, nous ne bénéficions d’aucun budget spécifique et rien ne laisse deviner une volonté politique ou autre visant l’élargissement de notre champ d’action et encore moins à implanter des unités similaires au sein des établissements sanitaires ! Nos conditions de travail sont loin d’être optimales : nous avons des équipements, surtout audiovisuels, en panne qui n’ont pas été réparés afin de contribuer à l’action que nous menons non sans conviction et persévérance. Nous comptions d’ailleurs sur les compétences de deux kinésithérapeutes qui ne font plus partie de notre équipe pour des raisons tout à fait légitimes (décès et retraite). Elles doivent être remplacées car notre équipe a besoin de cette spécialité. Enfin, nous comptons sur nos amis gynécologues et sages-femmes pour participer et appuyer réellement cette précieuse activité, surtout en ce qui concerne son cahier des charges».