
Avec l’opacité totale qui entoure le devenir économique de notre pays, en l’absence flagrante d’une feuille de route pouvant gérer l’état d’exception assigné au pays, l’inquiétude qui ronge les nerfs des acteurs économiques est à son paroxysme.
En l’absence flagrante, aussi d’un soupçon des grandes lignes de ce qui pourrait constituer une politique économique et sociale transitoire et de salut, l’inquiétude ne manquera pas de se muer en désespoir. Et quand le désespoir touche les acteurs économiques, bye bye investissement, donc croissance et création d’emplois.
Ajoutons à cela une loi de finances pour 2022, qui est en train d’être mijotée entre les murs de l’administration et qui verra le jour sous forme d’un décret-loi, donc sans subir l’épreuve du Parlement et un minimum garanti de transparence, et le pays entier se retrouvera plongé dans le noir.
Nous étions dans un marécage ? Nous voilà englués dans un vrai bourbier. Le danger nous guettait ? Nous voilà en plein dans l’œil du cyclone. Nous subissions plein de contradictions ? Nous voilà en plein dans l’absurde. Et à part quelques voix qui essayent de dénoncer ces dépassements monstrueux et d’appeler à ce que cesse cette descente aux enfers, tout le monde croit que le pays est en marche pour le grand salut.
Même le dialogue que tout le pays, ou presque, attendait depuis de longs mois, ne sera pas un vrai dialogue puisque c’est une personne qui va définir quant il démarrera, qui va y participer, quels seront ses axes, qui va en conduire son processus et qui va en traiter le contenu afin de produire les éventuels inputs. Soit, tous les ingrédients qui détruisent toute la logique du dialogue.
D’ailleurs, le pouvoir se retrouve de plus en plus confronté à d’interminables et inextricables contingences qui ne peuvent que l’user, qui le poussent parfois à essayer d’apporter des explications à l’opinion publique, à agir au coup par coup et à ne plus se concentrer sur l’essentiel.
Oui, Saïed peut agir et prendre de bonnes initiatives, y compris celles qui pourraient assainir un tant soit peu la situation générale du pays, mais le problème restera entier, un pouvoir de fait qui a confisqué tous les droits fondamentaux d’un peuple. Et devant la complexité de la situation, aucune personne, si géniale soit-elle, ne pourrait prétendre résoudre, à elle seule, tous les problèmes.
C’est comme si un mari jette sa femme et ses enfants dehors parce que la première n’est pas soumise et que les seconds n’arrêtent pas de se chamailler, déchire le contrat de mariage et déclare qu’il ne doit aucun compte à qui que ce soit et que pour lui il est toujours en conformité avec le Code du statut personnel, alors qu’il le dénigre en long et en large et décide unilatéralement de ne plus s’y conformer.
Saïed aurait pu faire beaucoup de choses rien qu’en usant de ses prérogatives constitutionnelles au lieu de s’ériger en maître absolu des lieux. Grâce au Conseil de la sécurité nationale qu’il préside et grâce au droit de présider tout conseil des ministres auquel il veut assister, il aurait fait depuis début 2020 beaucoup de choses intéressantes au lieu de bafouer la Constitution, de s’adjuger tous les pouvoirs et de plonger tout le pays dans l’inconnu.
Comme si ce «pauvre» pays peut se payer le luxe de rester les bras croisés en attendant que Saïed règle ses comptes avec ses adversaires et qu’il refaçonne l’Etat à sa manière et selon sa volonté, créant, dans le sillage et avec force populisme, un soutien populaire monté de toute pièce, occultant ainsi le fait qu’il s’est adjugé tous les pouvoirs et qu’il s’est donné le droit d’exclure, d’accuser et de salir qui il veut.
Un soutien populaire composé de larges franges de Tunisiens politiquement et juridiquement analphabètes, désireux comme l’écrasante majorité de leurs concitoyens, d’en découdre avec le système d’avant le 25 juillet 2021, qui, comme déjà dit, est pourri, et galvanisés par sa manière belliqueuse de lancer les mises en garde et les ultimatums contre des inconnus, mettant dans le même sac-poubelle toute la classe politique et les opérateurs économiques.
Pire, un soutien qui pourrait facilement se transformer comme nous l’avions déjà dit en groupes fascistes et violents puisque Saïed n’arrête pas de monter la masse contre toutes les institutions et tous les acteurs de la société politique, la société civile et de l’économie et qu’il appelle les «patriotes» à nettoyer le pays (au karcher).
Même la lutte contre la corruption, qui est la pierre angulaire pour la construction de l’Etat de droit et des institutions et qui doit être l’affaire de tous et à leur tête des institutions habilitées à agir afin de faciliter le travail de la Justice, Saïed veut se l’approprier. A preuve le fait de montrer lundi deux lourds dossiers, contre deux hauts magistrats, déjà archi-connus par l’opinion publique et qui sont en cours d’instruction.
De Charybde en Scylla. Ainsi le peuple tunisien évolue depuis des décennies, obligé, comme il est de subir les humeurs et les caprices de gouvernants, qui ne jurent que par «c’est moi qui commande» et par la politique du provisoire qui dure, donc de l’absence de politiques.
Impossible pour un être doté d’un minimum d’intelligence et de dignité d’accepter ce qui se passe actuellement dans un pays dont le peuple n’a cessé de verser son sang, depuis près d’un siècle pour pouvoir jouir d’un Etat de droit et des institutions. D’un Etat où la Constitution est reine, où le Parlement est roi et où les lois, les institutions, publiques, privées et de la société civile sont les remparts.
Ndlr : A cause de l’abondance de la matière et pour des raisons purement techniques, la présente chronique n’a pas été publiée dans notre dernière livraison. Toutes nos excuses.