Les prochaines années seront-elles synonymes de big bang pour le textile national ? En tant que grand pourvoyeur d’emplois au pays, comment peut-on revigorer ce secteur, encourager la production nationale au moment où les produits «made in Tunisia» font face à une concurrence farouche de la part des produits importés, et œuvrer à instaurer un climat de concurrence loyale sur le marché national ?
Le secteur textile-habillement, pilier de l’économie tunisienne, a connu, ces dernières années, une situation de perte de vitesse, voire de crise, matérialisée par la baisse des investissements et des exportations, une perte d’emplois (environ 40.000 emplois) et un recul sur le rang des fournisseurs de l’UE, devancé par des pays concurrents de la zone Euromed.
Cette situation résulte entre autres d’un retard accusé dans la mise en œuvre des stratégies sectorielles précédemment élaborées. Un tel retard est dû principalement à un déficit des capacités d’exécution, de gouvernance et de pilotage, de formation, de promotion, d’infrastructures, d’environnement d’affaires…
Climat des affaires morose
La position géographique de la Tunisie est attractive des investissements européens, mais le pays ne tire pas tout le bénéfice de cette position, en raison de la morosité du climat des affaires. « C’est un grand handicap pour les marchés des petites et moyennes séries et du sur-mesure, car il pousse celles-ci à la migration vers d’autres destinations concurrentes à la Tunisie », précise la Fédération tunisienne du textile–habillement (Ftth).
Dans l’industrie textile et habillement, les entreprises employant 10 personnes occupent 157.742 salariés. Le segment offshore est prépondérant dans les trois branches industrielles employant le plus grand nombre de cet effectif, à savoir la confection, la bonneterie et le finissage, où entre 91 et 93 % des salariés travaillent pour l’exportation.
Le nombre d’entreprises à participation étrangère est de 557, dont 383 sont à capitaux 100 % étrangers. 539 entreprises sont totalement exportatrices.
D’après les données de l’analyse sur le secteur du textile-habillement, réalisée par le Centre technique du textile (Cettex), la balance commerciale du secteur a enregistré, en 2021, une baisse de 4,2 points, tout en demeurant excédentaire à 125,2%, contre 129,3%, en 2020.
Toujours au cours de l’année 2021, la valeur des exportations du secteur a atteint 7.634 MD, ce qui signifie que les exportations ont augmenté de 12,48% en dinars, de 13,47% en euros et de 22,85% en poids, par rapport à l’année 2020.
Les exportations de la filière habillement ont enregistré une hausse de 15,73 % en DT et de +11,35% en poids, tandis que celles de la filière textile ont baissé de 0,11% en DT et augmenté de 30,39% en poids, par rapport à 2020.
Concernant les importations, la valeur a atteint 6.098 MD, soit une hausse de 16,22% et de 6,07% en poids, par rapport à l’année 2020.
Pour les intrants en textile, ils ont augmenté de 16,12% en DT et de 5,71% en poids. Quant aux importations d’habillement, elles ont également enregistré une hausse de 16,68% en DT et de 15,44% en tonnes.
Enjeux et leviers stratégiques
Un plan de relance du secteur du textile et de l’habillement (2019-2023) a été mis en place en 2019, en se basant sur six leviers stratégiques. Il s’inscrit dans le cadre d’un pacte sectoriel de partenariat public-privé. Ces deux secteurs s’engagent, en effet, en tant que parties prenantes à respecter un certain nombre d’impératifs et de mesures à chaque niveau de levier.
Le premier levier consiste en la stratégie et la gouvernance à travers la mise en place d’un modèle de gouvernance public-privé adapté. « Trois composantes essentielles ont été réfléchies en tant que base dudit modèle. Il s’agit d’un Conseil national stratégique du secteur textile (Cnst), d’un fonds dédié au développement du secteur, ainsi que d’une instance de pilotage de l’exécution du plan de relance (Agence de pilotage) ». Le deuxième levier est l’intégration, qui se manifeste par une dizaine de projets stratégiques d’intégration identifiés.
Le troisième levier consiste en la promotion qui sera accentuée sur les marchés traditionnels et nouveaux. Pour ce faire, « il faudra trois actions majeures, à savoir construire et développer une proposition de valeur par filière sur la base des facteurs-clés d’attractivité et des cibles, établir un Plan Go to Market par filière, ainsi que développer la diplomatie économique pour favoriser le développement et l’accès aux marchés traditionnels (UE) et nouveaux (USA, Afrique) ». Le quatrième levier est celui de la formation qui sera co-construite et adaptée aux besoins des différentes filières textiles.
Le cinquième levier concerne les infrastructures à travers la mise en place d’une logistique performante. Cela signifie « offrir des infrastructures de qualité et aux meilleurs standards internationaux, ainsi qu’améliorer la compétitivité logistique des filières : les zones industrielles, les infrastructures eau et environnement, et notamment un parc de production d’énergie ».
Le dernier est celui de l’environnement des affaires, un des leviers-clés du plan de relance. Il s’agira donc de mettre en place des mesures incitatives adaptées aux attentes du secteur du textile et de l’habillement. Ces mesures consistent à « permettre des incitations spécifiques adaptées aux attentes du secteur ( dont la tarification préférentielle de l’énergie , de l’eau et de l’environnement, à établir des contrats programmes avec les entreprises leaders, à faciliter les procédures administratives (export, implantation IDE et autres), à lancer des mesures de rationalisation des importations (contrôle technique, prix tendance…), à instaurer une concurrence loyale entre les importateurs et les fabricants pour le marché local, ainsi qu’à faciliter la commercialisation de 30% des produits des entreprises totalement exportatrices sur le marché local ». Ayant consigné dans ce document unifié leurs engagements mutuels, les partenaires espèrent apporter à l’ensemble des investisseurs et régulateurs/autorités la visibilité nécessaire sur les perspectives du secteur textile d’ici à 2023.Les investissements relatifs aux projets stratégiques d’intégration sont de l’ordre de 265 à 345 millions de dinars tunisiens, dont plus de la moitié est mobilisé sur les deux premières années du plan.