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Vision plus: Le documentaire, ce mal-aimé

La majorité de nos chaînes de télévision, publiques et privées, ne font pas cas du documentaire et ne le diffusent pas. Si ce dernier ne bénéficie d’aucune visibilité, c’est que, selon les décideurs de la programmation de ces chaînes, il ne génère pas d’audience. Certes, les spectateurs zappent dès qu’ils voient l’image d’un paysage ou d’un artisan penché sur son outil de travail. Cette catégorie de documentaires, caractérisée par la monotonie des plans, la redondance des témoignages et la difficulté à assurer une progression dramatique, étaient légion dans les années 70 au tout début de la télévision, mais n’a plus cours de nos jours.

Sous d’autres cieux, le documentaire bénéficie de chaînes spécialisées à l’instar de la célèbre National Geographic ou encore des chaînes thématiques comme  Arte et El Jazira qui consacrent un large volume horaire à des documentaires dont elles sont producteurs. Le genre a même permis des avancées et des innovations technologiques au niveau de la caméra pour que les prises de vue soient les plus précises possible  notamment lorsqu’il s’agit de filmer des animaux ou de montrer des situations périlleuses en étant au cœur du danger. Aujourd’hui, le drone dont on abuse, par ailleurs, à tort et à travers, rend d’énormes services, en particulier pour les prises de vue aériennes qui sont de plus en plus magnifiques.

Les exigences croissantes en termes d’audience laissent donc très peu de place au documentaire. La télévision est un marché fermé régi par la logique du profit. Par conséquent, le doc reste absent des grilles de programmes des télévisions et encore moins des écrans de cinéma. Pourquoi les documentaires sont-ils interdits d’antenne notamment ceux dits de création ? La dictature de l’audience impose-t-elle à ce point son pouvoir aux chaînes privées où les productions doivent s’adapter à des partipris formels ?

Commençons justement par les chaînes privées. Certaines d’entre elles, qui ont l’audace de diffuser des documentaires à l’instar de MTV, Telvza TV, El Janoubia, proposent soit de vieux reportages sur les us et coutumes de certains pays lointains en l’occurrence asiatiques, des documentaires animaliers ou encore des reportages touristiques de mise en valeur des régions tunisiennes et les métiers d’artisanat qui les caractérisent. Des films didactiques, les mêmes depuis des années, jetés en pâture à des heures impossibles notamment les après-midi ou tôt le matin lorsque les enfants sont à l’école et les parents au travail. Leur taux d’audience est faible du fait qu’ils sont des copies conformes où seuls les thématiques et les lieux changent.

Fonction : Bouche-trou
Le documentaire est le bouche-trou par excellence des chaînes de télévision. Prenons le cas de la télévision publique El Wataniya, qui n’est pas dans la course à l’audience, elle a cessé de produire des documentaires et se sert d’un ancien stock. N’étant pas conditionnée par la question de l’audience, la chaîne diffuse à gogo de vieux documentaires touristiques sur la Tunisie. On voit Dorra Zarrouk flanquée de deux Européennes visiter différentes régions du pays, louant la beauté des paysages et de l’artisanat. C’est l’image d’une Tunisie tel qu’on veut nous la montrer. On oublie le nombre de fois du passage du reportage sur le thermalisme  dans la station de Korbous ainsi que la série de documentaires  non moins intéressantes sur les trains. « Qu’il est beau mon pays ! »

Les téléspectateurs ne peuvent, sans doute, imaginer le documentaire autrement que sur cette facette  « carte postale ». Pourquoi le documentaire de création produit dans un cadre cinématographique n’est-il pas projeté sur le petit écran ? Le documentaire qui fait émerger des réalités singulières avec un point de vue original peut être une plus-value dans une grille de programme et constituer une alternative d’un autre genre de cinéma. Il suffit d’avoir la volonté d’assigner des cases au film documentaire. Des films comme les plus récents « Les filles de la lune » de Hiba Dhaoudi, « La voie normale » d’Erije Shiri, « Ghezala » de Hajer Nefzi et d’autres renvoient à une démarche qui favorise l’expression d’un point de vue spécifique à travers la construction d’un récit conçu sur une expérience réelle opposée au modèle de reportage qui est la norme de référence du documentaire de télévision.

Avec les festivals, la télévision est presque l’unique espace de diffusion du documentaire. Au lieu d’assommer les spectateurs avec des documentaires vus et revus des milliers de fois, les chaînes de télévision devraient renouveler leur stock de films et assumer leur rôle de médiateur en accordant une place à d’autres formes d’expression  du documentaire tunisien et de redéfinir les grilles de programmes pour permettre au documentaire de création d’exister. La télévision a le devoir de donner un autre son de cloche, de donner la possibilité au public de réfléchir et non de l’abrutir avec des émissions insipides.

Le documentaire peut avoir un public non négligeable dans une grille de programmes étudiée. Certes, tous les documentaires ne se valent pas, mais il existe une production intéressante à tous les niveaux thématiques, techniques et esthétiques qui a nécessité, à  ses auteurs, des années de réalisation. Il y a lieu d’offrir l’opportunité à ce genre de cinéma pour qu’il puisse continuer à exister et non pas le considérer comme un bouche-trou d’une programmation boiteuse.

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