La Tunisie poursuit sa traque des fonds suspects. Alors que le pays fait face à de gros risques en matière de financement des organisations criminelles et même terroristes, ce sont aussi les menaces liées au blanchiment d’argent qui inquiètent les autorités.
La Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf), principal organe financier responsable de la lutte contre les flux et transactions douteux, fait état d’une hausse des déclarations et des informations de soupçon en matière de financements douteux et de blanchiment d’argent.
Au titre de l’année 2021, la Ctaf annonce avoir traité 1.538 dossiers en rapport avec les déclarations et les informations de soupçon, contre 1.086 en 2020 et 645 dossiers en 2019, conformément à son rapport d’activité pour l’exercice 2021. Parmi les 1.538 dossiers traités, 630 dossiers se rapportent aux déclarations de soupçon et 908 aux informations de soupçon.
L’organe financier fait savoir qu’au cours de l’année 2021, les trois principales infractions sous-jacentes liées aux risques de blanchiment d’argent, avérés et transmis au Procureur de la République, sont la contrebande, à raison de 20%, la corruption et le trafic d’influence pour 19% et l’escroquerie et la fraude pour 11% du total des dossiers transmis en 2021.
Toujours selon le rapport en question, 296 personnes physiques et 67 personnes morales détentrices de 908 comptes bancaires, dont 87% sont libellés en dinar et 13% en devises, ont été visées par des investigations.
Pour les déclarations sur opérations sur Billets de banque étrangers (BBE), le rapport a dévoilé que la quasi-totalité des transactions portent sur la vente de BBE, passant de 79,91% en 2020 à 73,75% en 2021.
La délivrance de fonds continue à occuper la seconde place avec un taux de 12,37% en 2021, contre 13,87% en 2020. Le fait marquant, note le rapport, est, la reprise des versements en compte dont l’importance est passée de 3,86% à 9,79% entre 2020 et 2021. En ce qui concerne la nationalité des opérateurs, les Tunisiens continuent de réaliser l’essentiel des opérations sur BBE, à raison de 75 % en 2021 contre 83% des opérations déclarées en 2020. Les opérateurs maghrébins ont accaparé 12% des opérations en 2021 contre seulement 5% en 2020.
L’économie parallèle, un fléau
En dépit des efforts déployés, l’économie parallèle continue de nuire considérablement à l’économie nationale. Blanchiment d’argent, contrebande, évasion fiscale, les risques sont multiples alors que les citoyens et les cercles économiques reconnus sont les plus impactés. L’économie parallèle est une expression utilisée pour désigner toutes les activités économiques qui se déroulent en dehors de l’économie officielle d’un pays. Ce sont, en d’autres termes, les flux et les opérations financières ou administratives qui échappent complètement ou partiellement à l’Etat. Depuis la révolution, ces risques financiers se sont multipliés et la facture sur l’économie nationale est très lourde : certains économistes estiment que 30% de l’activité économique échappe à l’Etat tunisien. A cet égard, les chiffres de l’Institut tunisien d’études stratégiques (Ites) sont alarmants. On révèle que le deuxième obstacle majeur à la relance économique en Tunisie est la concurrence inégale à laquelle sont confrontées les entreprises structurées par leurs homologues non-formelles. Selon l’étude présentée par l’Ites et réalisée en 2020 par la Banque mondiale, l’économie parallèle en Tunisie attire 41,5% de la population active, soit 1 453 620 citoyens dont 87,6% sont des hommes. On affirme même que l’économie parallèle coûte à l’Etat 16,5 milliards.
Autant dire aussi que les habitudes et les pratiques de consommation des Tunisiens ont petit à petit intégré les structures anarchiques dans leurs modes de consommation, en l’absence d’une culture généralisée et d’une prise de conscience collective, s’opposant à ces secteurs hors-la-loi. Ceci dit, les consommateurs tunisiens ont également légitimé en quelque sorte ces activités illégales pour diverses causes dont notamment l’attractivité des prix. La première implication de ces activités incontrôlées, et la plus importante d’ailleurs, s’avère être le manque de recettes fiscales, première source de financement des caisses de l’Etat. En effet, si l’économie informelle ou parallèle désigne en particulier l’ensemble des activités de production qui ne donnent pas lieu à déclaration à des organismes officiels et ne s’inscrit pas dans une forme légale prévue par le code de travail, ses premières «victimes» ne sont autres que les caisses de recettes fiscales.
Obstacle majeur à la relance économique en Tunisie, cette concurrence inégale à laquelle sont confrontées les entreprises structurées par leurs homologues non-formelles devrait aujourd’hui constituer la priorité du gouvernement d’autant plus que l’économie nationale en souffre considérablement, au point que parfois on ne fait plus une différence entre secteur formel et informel.