Ridha Ellouze a su décrocher un billet parmi les 23 convoqués pour la glorieuse campagne argentine. Né le 27 avril 1953 à Sfax, l’ex-brillant latéral droit a signé en 1963 une première licence pour l’équipe minimes du Sfax Railways Sport, livrant son premier match seniors en 1969 contre l’UST (défaite 1-2), et le dernier en 1987 (nul avec l’ESS 1-1). Son palmarès comporte une finale de la coupe de Tunisie 1979, perdue devant l’Espérance de Tunis en deux éditions (0-0, puis (3-2), et la coupe de Tunisie cadets remportée face au CA (1-0), sans parler des finales de coupe de Tunisie juniors perdues face au CSS (2-1), et de l’AMS (2-1).
En équipe nationale, il a joué de 1971 à 1983, remportant la coupe de Palestine 1973 sous la conduite d’Ameur Hizem.
Par ailleurs, entre 1987 et 1995, Ellouze a été arbitre assistant.
Cet agent de la Sncft (ateliers de Sfax), parti en 2004 pour une retraite anticipée, est marié et père de quatre enfants.
Ridha Ellouze, tout au long de la campagne argentine, vous avez été remplaçant. N’est-ce pas frustrant?
Non, car il y a souvent des choix techniques. Une fois intégré, Mokhtar Dhouib, le joueur le plus sérieux de tout le groupe, n’a plus lâché son poste, celui où je joue d’autant que l’équipe marchait bien. A un certain moment, il était question de voir Dhouib occuper le flanc gauche, alors que je devais jouer latéral droit. Ali Kaâbi évoluait alors avec le COT en division 2, et ses sorties étaient irrégulières. J’ai été convoqué pour la première fois en 1971 par Si Ameur Hizem. Côté droit, j’avais devant moi en attaque le Clubiste Sfaxien Aleya Sassi. C’est dire que j’ai côtoyé plusieurs générations. Franchement, je ne me considérais jamais inférieur à Dhouib ou à qui que ce soit.
Sauf que Chetali ne vous a que rarement aligné…
Il avait ses plans de jeu, ses choix techniques. Alors que nous venions de disputer un match amical en Algérie, l’ambassadeur de Tunisie était venu nous voir à l’hôtel. Sa première question a été de savoir où était passé Ezeddine Chakroun. Chetali se contenta de lui répliquer : «Son coéquipier au SRS, Ridha Ellouze, peut vous répondre mieux que moi». A notre ambassadeur qui était venu vers moi, je lui répondis : «C’est vrai, Chakroun est le meilleur buteur de la sélection, le meilleur joueur du pays. Mais je ne suis pas l’entraîneur. C’est Si Majid qui commande ici». Cela n’a visiblement pas été du goût de Chetali. C’est dire que personne ne m’a fait de cadeaux. J’ai de bout en bout largement mérité ma carrière internationale.
Il n’en reste pas moins que l’Argentine demeure la page la plus glorieuse du football national…
Et comment ! Nous aurions même pu aller au second tour. Et puis, quel fabuleux coup de pub pour notre pays ! Là-bas, en Amérique latine, on pensait que les Tunisiens avaient la peau noire, que nous appartenions à la culture de l’Afrique subsaharienne. Colonel Younès Chetali, qui était avec nous, a dû s’employer à fond pour expliquer aux Argentins que nous avions un beau pays, une infrastructure hôtelière qu’ils ne possédaient pas eux-mêmes…
Y a-t-il un souvenir que vous gardez de votre douzaine d’années passées en sélection ?
En 1975, Chetali nous rassemblait durant trois jours chaque semaine. Au départ de Sfax pour rejoindre le lieu du stage à Tunis, je prenais une voiture louage avec les internationaux du Club Sfaxien, Mokhtar Dhouib, feu Mohamed Ali Akid et Hamadi Agrebi. Sur notre chemin, à Sakiet Ezzit, Agrebi descendait de la voiture pour acheter son paquet de cigarettes. Parfois, il ne revenait pas. Nous étions ainsi contraints de continuer notre chemin sans lui. Sur un coup de tête, il lui arrivait de rentrer à Sfax et de faire quelquefois faux-bond au sélectionneur national. Je crois que la «menace» du service militaire l’a, d’une certaine façon, amené à se montrer plus assidu en équipe nationale.
Avouez que, tout de même, dix-huit ans au plus haut niveau, cela laisse des traces, non ?
Bien évidemment, mais je m’en remets petit à petit. J’ai subi, il y a quelques années, une prothèse totale de la hanche. Celle-ci s’est totalement esquintée du fait des chutes et glissades sur des surfaces en terre battue. En notre temps, on jouait presque exclusivement sur ce genre de terrain. L’opération m’a coûté près de huit mille dinars. Sur intervention de ma femme, anesthésiste de son état, le montant initial de dix mille dinars a été ramené à huit. Malheureusement, quelques promesses de prendre en charge les frais n’ont finalement pas été tenues.
Quels furent vos entraîneurs ?
Chez les jeunes, je n’ai connu qu’Ahmed Bouraoui avec lequel j’ai disputé la finale de la coupe de Tunisie juniors 1976 perdue face au CSS. Chez les seniors, j’ai connu Mohamed Najjar, le père de l’ancien défenseur du CSS, Raouf, qui allait devenir ministre des Sports. C’était un technicien exquis et respectable. Mokhtar Tlili a débarqué très jeune au SRS. Il n’avait peut-être pas encore trente ans, et débutait sa carrière d’entraîneur. Tout comme Faouzi Benzarti, d’ailleurs. Il faut croire que le SRS a lancé dans le grand bain beaucoup de techniciens. Mais le meilleur reste à mon avis Ahmed Ammar, aussi bien point de vue technique qu’humain. En sélection, j’ai connu Ameur Hizem, André Nagy, Abdelmajid Chetali, Hmid Dhib…
Que vous a donné le football ?
Rien, si ce n’est l’amour des gens. Pourtant, je ne regrette rien. J’ai vécu dans une grande famille nommée SRS. Mon club m’a embauché aux ateliers de la Sncft. Notre président était le mythique Mokhtar Mhiri. J’ai passé un demi-siècle de ma vie au stade Ceccaldi. Le SRS, c’est comme un second père, une seconde mère. Je lui dois tout.
Pourquoi dites-vous alors que le foot ne vous a rien donné ?
Parce qu’il n’y a aucune comparaison possible avec les joueurs d’aujourd’hui dont le salaire peut arriver jusqu’à 120 mille dinars. Je parle des joueurs tunisiens, bien entendu. Deux mois après avoir débuté leur carrière, ils ont déjà un café qu’ils gèrent et une voiture. Imaginez un peu qu’après la fabuleuse coupe du monde 1978 en Argentine, j’ai touché une prime de trois mille dinars. Dans mon club, la prime était de 2 dinars et demi, ou 5 dinars. Avant la distribution des primes, notre entraîneur des jeunes, Ahmed Bouraoui, me demandait d’aller chercher la monnaie parce que tel joueur doit recevoir 1750 millimes, tel autre 1325 millimes….
Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
Bien sûr, l’aventure argentine d’abord, et la finale de la coupe de Tunisie 1979 ensuite. Il a fallu deux éditions pour que nous abandonnions le trophée à l’Espérance de Tunis. Le goût de la défaite est certes amer. Mais il ne faut pas oublier qu’une semaine avant la finale, nous avons joué contre le Club Athlétique Bizertin un match décisif pour le maintien. Nous revenions de loin, pour ainsi dire. Enfin, je citerais la coupe de Palestine 1973 que nous avons remportée à Tripoli sous la conduite de Si Ameur Hizem. L’attaquant du COT, Mohieddine Habita, a écrasé de son immense talent cette édition-là.
Et le plus mauvais ?
Le souvenir de la jambe cassée de notre ailier droit Mustapha Sassi dans un match amical contre l’Etoile du Sahel. Depuis, il n’était plus revenu à son meilleur niveau.
A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs tunisiens?
Aleya Sassi, Tahar Chaïbi et Temime Lahzami.
Parlez-nous de votre famille…
En 1980, j’ai épousé Fadhila El Abed, fille de Hamadi, ancien joueur du CSS. Nous avons quatre enfants : Hela qui vit au Canada, Nadia, esthéticienne de formation, Fatma, informaticienne, et Mohamed Ridha, Prof d’Education physique et sportive.
Enfin, dans quelle mesure le football a-t-il marqué votre existence ?
J’ai arrêté mes études en première année secondaire. J’étais destiné à faire une carrière de plombier. Eh bien, la magie du ballon rond a changé ma trajectoire. Sans lui, je n’aurais jamais eu une vie aussi pleine.