Accueil Economie Ridha Chiba, conseiller international en exportation à La Presse : «Se baser sur une stratégie claire et des options réalisables»

Ridha Chiba, conseiller international en exportation à La Presse : «Se baser sur une stratégie claire et des options réalisables»

 

A chaque début d’année, la loi de finances préoccupe tous les intervenants économiques parce qu’elle illustre les éventuelles dépenses publiques à prévoir et les recettes publiques à se procurer à partir des impôts, des taxes, des cotisations sociales, des recettes parvenues des biens de l’Etat et aussi de l’excédent public en ressources financières. A côté de cela, l’Etat doit compléter ses ressources par des emprunts et des crédits à travers les diverses instances monétaires internationales et nationales, notamment, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, la Banque de développement africaine afin de réaliser les projets préconisés et assurer les dépenses pour les activités programmées au préalable. A cet effet, et pour mieux comprendre le mécanisme et les répercussions de la loi de finances 2023, sur tous les secteurs, primaire secondaire et tertiaire, ainsi que ses principales options économiques et financières, les solutions qu’elle propose pour mettre un terme au marasme économique qui caractérise le pays, nous avons contacté Ridha Chiba, conseiller international en exportation, pour nous donner plus d’éclaircissements sur toutes ces questions décisives. Interview.

En quoi consiste l’importance de la loi de finances ?

Certes, la loi de finances définit pour un exercice d’une année la nature, le montant et l’attribution des ressources et des dépenses de l’Etat ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en découle. Elle prend en considération l’équilibre économique déterminé ainsi que les objectifs et les résultats des programmes qu’elle préconise au début de chaque année administrative.

A cet effet, la loi de finances présente une importance capitale parce qu’elle détermine les grandes orientations économiques et financières du pays, constitue un moyen pour accélérer les activités économiques, financières et sociales, stimuler les investissements et créer de la richesse.

Comment pouvez-vous évaluer la situation économique et financière actuelle en Tunisie ?

Notre pays traverse, actuellement, une situation économique et financière très critique. La balance commerciale a enregistré durant l’année 2022 un déficit important sans pour autant assurer au pays les produits de base destinés pour les classes démunies comme le sucre, le blé et l’huile végétale et les produits pharmaceutiques dont la majorité demeure encore manquante sur le marché.

En fait, à la fin du mois de novembre 2022, les exportations ont progressé de 24%. Elles ont atteint le niveau de 52.164,7 MD contre 42.069,6 MD durant la même période de l’année 2021. Les importations ont, de leur côté, évolué plus rapidement avec un taux de 33%. En valeur, ces dernières ont atteint 75.445,8 MD contre 56.723,4 MD durant la même période de l’année 2021, dépassant ainsi le budget de l’Etat.

La loi rectificative de 2022 a enregistré un déficit budgétaire pour l’année 2022, qui s’élève à 9,7 milliards de dinars, étant donné que les dépenses vont dépasser les 50,9 milliards de dinars, alors que les ressources financières sont estimées à 41,3 milliards de dinars. Les chiffres avancés par les autorités tunisiennes inhérents à la loi de finances 2023, sont équivoques et difficilement réalisables. Le nouveau budget de l’Etat pour la nouvelle année est estimé à 69.640 MD avec une augmentation de 14,5% par rapport aux résultats actualisés pour 2022.

Tout le budget repose sur des données très aléatoires, entre autres, la croissance du PIB de 1,8%, l’évolution des ressources propres de l’Etat de 12,9% par rapport aux estimations de la loi de finances rectificative pour l’année 2022 (soit une valeur de 46.424 MD) avec une augmentation virtuelle des recettes fiscales, des recettes non fiscales et des dons évalués respectivement à 12,5 % et 15,7%.

La croissance des recettes fiscales tient, selon les données officielles, à l’importance de l’évolution prévue de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés respectivement de 8,5 et 8,7% en plus de la hausse attendue du droit à la consommation, de la taxe sur la valeur ajoutée et des droits de douane.

A la lumière de ce qui précède, nous remarquons que l’Etat base son budget, pour l’année 2023, sur des données confuses et précaires avec une pression fiscale pour atteindre coûte que coûte 25% du PIB, contre 24,9% actualisés en 2022.

En parallèle, et concernant les dépenses prévues, les salaires atteindront approximativement 22.771 MD en 2023, soit 14% du PIB, contre 21.832 MD et 15,1% du PIB estimés par la loi de finances rectificative pour l’année 2022, et que les frais de gestion augmenteront de 25,7%, compte tenu du paiement partiel attendu des fournisseurs des services de l’Etat.

Egalement, l’Etat va bénéficier d’une diminution de 8% environ, en raison d’une baisse de 26,4% des dépenses de subventions et d’une augmentation des transferts monétaires en prévision de l’effet attendu de la suppression progressive des subventions aux carburants et aux produits de base. Tout cela dans une économie caractérisée par le marasme à tous les niveaux et le désaccord entre le gouvernement et le Fonds monétaire international qui est en train de tergiverser pour lui accorder une première partie d’un prêt insignifiant par rapport au budget de l’Etat, tout cela en contrepartie des conditions exorbitantes édictées par le FMI.

Quelles sont les principales dispositions de la loi de finances 2023 ?

En fait, plusieurs nouvelles dispositions ont été enregistrées au niveau de la nouvelle loi, mais nous essayons de nous limiter aux principales entre elles.

La première nouvelle disposition concerne l’impôt sur le revenu des personnes physiques (Irpp) et l’impôt sur les sociétés (IS). Cette disposition prévoit l’unification des taux de l’IS, l’énonciation de l’objectif d’unification des taux de l’IS à 15% avec le maintien du taux de 35% et la suppression progressive du taux de 10%.

A partir de 2023, les établissements sanitaires et hospitaliers privés, les établissements d’éducation et d’enseignement privé et les établissements de formation professionnelle et de recherche scientifique et les projets d’hébergement universitaire privé seront soumis au taux de 15% au lieu de 10%.

Cette première disposition prévoit également la révision du taux de l’avance d’imposition à l’importation, et ce, à travers l’augmentation du taux de 10 à 15% pour les entreprises en défaut total ou partiel et les entreprises qui déclarent des revenus ou bénéfices minorés, l’avance de 15% est désormais reportable et non restituable. Cette disposition sera applicable à partir du 1er janvier 2024, par application d’indicateurs objectifs de classification des entreprises concernées.

Il est également prévu d’instaurer une retenue à la source comme avance sur la vente d’alcool, et ce, sous forme d’avance sur impôt au taux de 5% sur les acquisitions faites par les distributeurs de boissons alcoolisées, de vins et de bières auprès des industriels.

La seconde mesure concerne la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Là, il s’agit d’abord, de l’unification des taux de TVA à travers l’énonciation de l’objectif de limiter les taux de TVA à deux taux (19 et 7%) et la suppression progressive du taux de 13%. A partir de 2023, plusieurs activités seront soumises au taux de 19% au lieu de 13%. Il s’agit des architectes et des ingénieurs-conseils, des dessinateurs, des géomètres et des topographes à l’exclusion des services relatifs à l’immatriculation foncière des terres agricoles, les avocats, les notaires, les huissiers et les interprètes, les conseils fiscaux, les entrepreneurs de tenue de comptabilité, les experts et les conseils quelle que soit leur spécialisation.

Par ailleurs, sont désormais taxées à une TVA de 19% au lieu de 7% les prestations médicales et de chirurgie esthétique.

Cette nouvelle loi de finances prévoit par ailleurs, une facilitation des dispositions fiscales des forfaitaires convertis au régime réel. Les forfaitaires reconvertis au régime réel doivent souscrire et déposer à la recette des finances de leur circonscription une déclaration des impôts et taxes exigibles selon le modèle fourni par l’administration, en vue de leur imposition à la taxe sur la valeur ajoutée au plus tard le 15 du mois suivant chaque trimestre.

La troisième mesure concerne le droit d’enregistrement. Ainsi, avec cette révision des droits d’enregistrement et de timbre passeront de 0,6 à 1 DT. Il est, également, rajouté à l’article 117 du code des droits d’enregistrement, les droits sur les opérations suivantes : le bon de commande visé (10 dinars), l’attestation générale d’avantage fiscal en matière de taxe sur la valeur ajoutée ou de taxe à la consommation ou d’autres taxes sur le chiffre d’affaires (100 dinars), l’attestation circonstancielle en avantage fiscal relative à l’article de la taxe sur la valeur ajoutée ou de la taxe sur la consommation ou d’autres taxes sur le chiffre d’affaires (50 dinars).

Cette loi de finances 2023 envisage la mise en place de nouvelles impositions, comme l’institution de l’impôt sur la fortune immobilière. Cette imposition est applicable uniquement aux personnes physiques qui détiennent, au premier janvier de l’année d’imposition, des biens fonciers se situant en Tunisie ou à l’étranger, dont la valeur nette est supérieure ou égale à 3 MD après déduction des crédits se rattachant à ces biens et sans que ce soit garanti pour un crédit aux entreprises.

Le taux est de 0,5% de cette valeur nette et les biens fonciers en question ne doivent pas être la propriété d’habitation principale, des biens utilisés pour l’exercice d’une activité professionnelle et non destinés à la location pour des tiers.

Autre disposition ; l’amélioration du rendement de la contribution des solidarités sociales (CSS). La révision du taux de la CSS applicable aux sociétés (et non aux salariés) pour la période allant de 2023 à 2025 comme suit : 4% pour les sociétés soumises à l’IS au taux de 35%, 3% pour les sociétés soumises à l’IS à un taux inférieur à 35%.

La révision du minimum de la CSS se fera comme suit : 500 DT au lieu de 300 DT pour les sociétés soumises à l’IS au taux de 35%, 400 DT au lieu de 200 DT pour les sociétés soumises à l’IS au taux de 15% ou 20% et aussi pour les sociétés exonérées, 200 DT au lieu de 100 DT pour les sociétés soumises à l’IS au taux de 10%, 0.5% pour les personnes physiques au titre de l’Irpp.

Afin de limiter l’utilisation des espèces, il est prévu de réviser le régime fiscal applicable aux achats en espèces qui dépassent 5.000 DT comme suit : abandon du principe de non-déductibilité de la TVA, des charges et des amortissements au titre de ces acquisitions, application d’une nouvelle pénalité égale à 20% sur ces montants avec un minimum de 2.000 dinars. Il est attendu que cette pénalité soit généralisée à tous les contribuables, y compris ceux qui ne tiennent pas une comptabilité conforme au système comptable des entreprises.

La loi de finances 2023 envisage, d’autre part, la réduction des délais de restitution du crédit de TVA de 30 à 21 jours pour les crédits provenant des opérations d’investissements directs et de mise à niveau et de 120 à 90 jours pour les crédits provenant de l’exploitation.

Cette loi prévoit de contrôler des avantages accordés en matière de TVA. Ainsi, il est prévu l’application d’une pénalité administrative de 50% du montant de la TVA à l’acheteur qui réalise des achats en suspension de TVA sans présenter des bons de commande visés (au même titre que le vendeur) avec institution de l’obligation d’apurement des attestations ponctuelles d’achat en suspension de TVA. Il est, aussi, prévu l’augmentation des pénalités de retard à travers l’augmentation des pénalités mensuelles des retards des déclarations de 0,75 à 1,25% de la somme déclarée avant l’intervention des services du contrôle fiscal, de 1,25% à 3% si le retard ne dépasse pas les soixante, de 2,5% à 5% si les retards dépassent les soixante jours, les pénalités mensuelles, de 1,25% à 2,25% au cas où le retard serait constaté par les services de contrôle fiscal.

Il est également prévu une augmentation de 10 à 20% comme une amende fixe à hauteur de la somme due. Cette amende concerne les pénalités sur la TVA et autres droits appliqués sur le chiffre d’affaires et non déclarés, les impôts applicables lors des taxations d’offices, les impôts applicables en cas de minorisation de l’assiette de l’impôt ou de fraude fiscale. Il y aura une réduction du taux de 2,25% à 1,25% prévu au paragraphe premier de l’article 82 du code des procédures fiscales lorsque le paiement intervient dans le mois qui suit la reconnaissance de la dette fiscale et s’il y a reconnaissance de la dette fiscale avant la taxation d’office.

Par ailleurs, le montant de la déclaration mensuelle ou trimestrielle ou semestrielle ne peut être inférieur à 10 dinars pour les forfaitaires, 15 dinars pour les personnes physiques soumises au régime réel et 30 dinars pour les personnes morales.

Il est prévu également que le minimum de la pénalité de retard prévue par les articles 81, 82 et 85 du code des procédures fiscales passe de cinq à dix dinars. Ce minimum est dû même en l’absence de montant d’impôt exigible. Il sera envisageable d’octroyer aux services fiscaux la possibilité de recourir à des experts locaux et étrangers sur des sujets nécessitant une expertise technique ou une compétence particulière, à condition que le mandat soit accordé directement par le ministre des Finances et de les tenir au secret professionnel. Il y aura, aussi, la réduction du délai pour statuer sur les contentieux douaniers en séparant les affaires douanières en justice des autres affaires de droit public auprès du parquet.

En ce qui concerne les timbres de voyage, la loi prévoit l’institution de la possibilité de paiement à distance et par les moyens électroniques fiables. A la lumière de ce qui précède, nous affirmons d’emblée que ces réformes sont virtuelles et non plausibles, étant donné les conditions matérielles difficiles dans lesquelles vivent surtout les personnes physiques et les petites et moyennes entreprises.

En fait, une loi de finances comme celle de l’année 2023, basée principalement sur la fiscalité et les emprunts nationaux et étrangers et aucunement sur la plus-value et la création de la richesse, ne peut engendrer que des répercussions négatives sur l’économie et affecter véritablement la vie matérielle des Tunisiens et la rendre très difficile, surtout si nous prévoyons un taux d’endettement qui pourrait s’aggraver davantage. Cela, outre le déficit budgétaire, le déficit commercial et l’inflation galopante de plus de 9,80 % dont les répercussions ne peuvent être que désastreuses.

D’après vous, comment l’Etat tunisien peut-il remédier à la situation économique et financière ?

C’est uniquement lorsque le gouvernement cesse d’être un gouvernement de gestion d’affaires quotidiennes et accorde une grande attention aux citoyens tunisiens en tant que moyen et finalité et s’éloigne des solutions faciles.

Ce gouvernement doit travailler conformément à une stratégie préalablement préconisée et des options claires, réalisables et axer ses efforts sur toutes les questions importantes, comme le bâtiment, l’agriculture, l’économie verte, l’économie numérique, l’exportation, les investissements nationaux et réels… en optant pour un management optimal basé sur la programmation adéquate, l’organisation rationnelle, la direction concordante et le contrôle scrupuleux.

Bref, c’est tout ce qui engendre une plus-value et crée la richesse, l’emploi et l’exportation. Cela, outre l’amélioration continue entre autres des domaines de la santé, de l’enseignement, du social, de la jeunesse et de la justice qui reflètent, à vrai dire, une image pessimiste qui ne va pas réellement avec les desseins et les aspirations de chaque tunisien.

A cet effet, le gouvernement doit procéder immédiatement à une politique fiscale encourageante et souple basée sur le dialogue, la persuasion et la motivation en vue d’assurer le meilleur recouvrement. Il faut inciter et encourager les hommes d’affaires à investir et à créer de nouvelles entreprises, prendre les mesures strictes et agir d’une manière intransigeante et ferme contre le commerce informel, la concurrence déloyale, le dumping et la contrebande, protéger les produits tunisiens et imposer des restrictions légales et fiscales à toutes les importations entravant la vente des produits locaux tunisiens.

Le gouvernement doit également instaurer un programme de sauvegarde de toutes les entreprises tunisiennes visant principalement à leur restructuration, leur modernisation et leur accompagnement en renforçant leur pérennité et leur compétitivité.

Il est impératif de faire augmenter le taux d’encadrement des entreprises pour assurer une bonne production, une meilleure productivité et une organisation optimale, adopter la méthode de la réallocation dans l’administration et les entreprises publiques et de faire un audit concernant toutes les terres agricoles publiques et opter pour leur redistribution en faveur de ceux qui sont du domaine, entre autres, les techniciens et les ingénieurs agronomes.

Qui proposez-vous d’autre en guise de conclusion ?

A mon avis il est encore temps pour sauver la Tunisie. Il ne faut plus perdre de temps. Il faut adopter les mesures adéquates qui vont de pair avec l’intérêt du pays et du peuple tunisien en appliquant les mesures qu’il faut et qui sont en conformité avec les circonstances de la situation économique, financière et sociale de la Tunisie. Il ne faut pas se baser sur une économie de la rente qui repose sur la protection et l’exploitation de privilèges, de faveurs ou d’opportunités d’affaires à l’abri de la concurrence et de l’efficience économique.

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