On meurt ailleurs par l’effet de l’acharnement au travail alors que chez nous c’est l’acharnement à devenir adepte du moindre effort aussi bien physique qu’intellectuel. «Doucement le matin, pas trop vite le soir», dit-on en français, quand ce n’est pas l’autre maxime, «perdre sa vie en voulant la gagner», c’est-à-dire un environnement de travail générateur d’accidents mortels, tellement les risques pullulent. Et qui dit travail, dit tout effort organisé et rémunéré, obéissant à des règles bien précises et sûres, dont le principal objectif est la production de richesses, et ce, dans le respect de la loi. Effort conscient intelligent et rentable. C’est-à-dire que le temps qui lui est consacré permet de dégager une plus-value. Ainsi, le travail est devenu, grâce à… des droits de l’homme, la valeur des valeurs, celle qui lui permet de devenir libre.
Nous sommes pourtant un peuple victime d’un taux de chômage endémique et structurel dont le taux est assez élevé (autour de 15%, et près de 24% chez les diplômés du supérieur). Cela sans compter ceux parmi les actifs qui ont décidé de rester oisifs ou de s’adonner à des activités marginales, illégales ou, pire, criminelles.
Cela n’a pas empêché la majorité d’entre nous qui travaillons d’être moins productifs (5,9 heures par jour pour les hommes, contre 7,2 pour les femmes, selon certaines études), moins compétents, moins rigoureux, moins ponctuels, moins disciplinés et moins comparables aux autres peuples voisins ou assez proches qui essayent de percer. Ne parlons pas de ceux qui, au bout de trois décennies, ont réussi à hisser leur pays au rang de pays émergent.
Nous pouvons donc dire, non sans amertume, que nous entretenons avec le travail une relation complexe, compliquée et conflictuelle. Du genre je t’aime moi non plus. Avec comme principe vital «travailler moins, gagner plus». Et notre devise collective répétée à longueur de journée pourrait être résumée dans ces quelques sentences on ne peut plus démotivantes : «travailler tout juste en fonction du salaire». Ou encore la célébrissime et non moins macabre proposition inspirée de la logique aristotélicienne, «Tous ceux qui ont travaillé sont morts» (Illi khidmou métou).
Deux entrepreneurs, le premier, un Tunisien ayant réussi à s’imposer dans un pays avancé, qui a créé, dans son pays d’origine, il y a quelques mois, une entreprise, le second un entrepreneur étranger qui s’est installé chez nous, nous ont confié qu’ils sont en train de se mordre les doigts. Pourquoi ? Eh bien pour avoir choisi la Tunisie en voulant investir, ont-ils précisé. Hélas à cause de cette fâcheuse situation qui fait que notre pays est pourvoyeur de travailleurs peu rentables et peu disciplinés. Salariés qui veulent gagner le maximum tout en travaillant le minimum.
En accédant à la vie active, le Tunisien se voit, hélas et généralement en salarié, de préférence assis, avec des tâches routinières et sans problèmes à résoudre, ni imprévus, ni efforts supplémentaires. Un emploi qui donne droit à un salaire à vie, presque une rente. Une fois recruté, il cherche, tout de suite, non à apprendre le métier mais à être titularisé. Il s’étalera alors, en long et en large en jérémiades, alors que juste avant son recrutement il rêvait, à en mourir, d’un boulot.
Toutes les excuses sont bonnes pour entonner l’hymne au farniente. La moindre fête, le moindre pépin, le moindre frémissement du mercure, la moindre averse et voilà la porte de l’inertie grand-ouverte, et bye bye le boulot. Cela sans oublier les pauses et autre motifs pour décrocher.
Des notions comme le bon travail, le travail bien fait, la perfection, l’excellence, le beau travail, la conscience professionnelle, l’honneur du métier, et bien d’autres du même registre, semblent, hélas chez nous, tout à fait étrangères et même bannies. Tout comme la notion de travail décent qui est pourtant une notion centrale de la philosophie et droits socio-économiques de l’homme et dans les dispositions normatives.
Historiquement, plusieurs facteurs sont à l’origine de cette situation, tels que le fait de vivre des grandes cultures et/ou de l’élevage extensif en parcours, les impôts, l’Etat marchand, les conflits, les guerres. Après l’indépendance, cette situation a partiellement évolué mais est venu le facteur secteur public qui a permis à cette mentalité du moindre effort et de rente de prendre de l’ampleur.
Il y a aussi cette absence de la notion de professionnalisme par métier. Historiquement la Tunisie a toujours bénéficié des compétences de professionnels étrangers, conquérants ou immigrés. Après l’indépendance et le départ des compétences européennes, les premiers cadres tunisiens étaient très qualifiés et à un certain moment il y avait, aussi, un système de stages à l’étranger.
Petit à petit il y a eu comme une dilution successive des compétences de génération en génération. D’où la nécessité de faire de nouveau appel à des compétences étrangères dans le cadre de la coopération technique et aussi réinstaurer le système des stages à l’étranger.