Mabrouk Korchid, avocat et ancien ministre des Domaines de l’Etat, dont le témoignage est important dans l’affaire de la restitution des fonds à l’Etat tunisien, joint par La Presse, précise que la demande de réconciliation pénale de Imed Trabelsi remonte à l’ère où il était lui-même encore ministre et que cette procédure avait été entravée par l’ancienne présidente de l’Instance Vérité et Dignité, Sihem Ben Sedrine. «A l’époque nous avons requis près de 400 millions de dinars pour qu’il puisse bénéficier de ce processus, mais les procédures ont été gelées par Ben Sedrine elle-même».
Imed Trabelsi, ancien homme d’affaires et neveu de Leila Trabelsi, a entamé une grève de la faim depuis son lieu de détention, la prison d’El Mornaguia. Il dénonce un énième rejet de sa demande de réconciliation pénale formulée il y a quelques mois. Depuis, aucune avancée notable.
Détenu à la prison civile d’El Mornaguia pour délits et crimes financiers relatifs notamment à des affaires de chèques sans provision, de transferts illicites d’avoirs, de malversations et d’abus de pouvoir, le gendre de l’ancien président feu Zine El Abidine Ben Ali vient d’entamer, une nouvelle fois, une grève de la faim pour protester contre le blocage de son dossier de réconciliation pénale déposé depuis janvier dernier.
Imed Trabelsi a fait valoir son souhait de conclure un accord avec l’Etat, par le biais d’une réconciliation pénale, ses avocats affirment avoir épuisé tous les recours pour une demande de libération contre une amende qui serait conséquente. Selon une source proche du dossier, cet ancien homme d’affaires, qui était une personne clé du sérail, aurait proposé 33 millions de dinars.
Son représentant légal, Issam Semali, brise le silence et déclare dans certains médias, que le dossier de Imed Trabelsi a subi de nombreuses infractions, affirmant que son comité de défense envisage de saisir la justice pour dévoiler toutes les vérités autour de cette affaire complexe. «J’ai eu l’information (de sa grève de la faim) par l’un des membres de sa famille. Imed Trabelsi est déçu, car le processus de réconciliation pénale est anormalement entravé. Je vous rappelle qu’il a déjà procédé à une première demande avec l’Instance Vérité et Dignité et une deuxième avec la Commission nationale de réconciliation pénale afin de régulariser sa situation, sans succès», regrette-t-il.
Des pratiques peu orthodoxes pendant près de 20 ans
L’avocat explique que les deux responsables chargés directement du dossier au sein de cette commission ont été limogés. «Le limogeage du président de la commission, Makram Ben Mna, ensuite de la membre chargée de son dossier, Fatma Yaâcoubi. Mais encore, les procédures engagées par des experts ont empêché de se profiler à l’horizon la moindre issue», déplore-t-il. Le conseiller de Imed Trabelsi évoque un concours de circonstances pour le moins étrange dont serait victime son client, d’où sa décision d’entamer encore une fois une grève de la faim.
Le cas Imed Trabelsi est révélateur du sort post-révolution de la famille Trabelsi, dont le nom a été toujours lié à des pratiques peu orthodoxes et de passe-droits qui ont défrayé la chronique pendant près de 20 ans. Depuis son arrestation, le 14 janvier 2011, Imed Trabelsi est détenu à la base militaire d’El Aouina avant d’être transféré le 24 juin 2012 à la prison civile d’El Mornaguia. Depuis, il fait l’objet de poursuites judiciaires. Le 26 janvier 2011, la justice l’accuse d’«acquisition illégale de biens mobiliers et immobiliers» et de «transferts illicites de devises à l’étranger». Son premier procès s’ouvre le 20 avril 2011, pour consommation de stupéfiants. Il est condamné à deux ans de prison ferme le 7 mai suivant, peine alourdie en appel à quatre ans de prison. En décembre 2022, il est condamné à une peine de quatre ans de prison assortie d’une amende de six millions de dinars pour avoir obtenu un crédit sans y avoir droit.
Dans ce contexte, il faut rappeler que la fin tragique de Mourad Trabelsi frère de Leila Trabelsi, écroué à la même prison, depuis 2012 et décédé en avril 2020, avait fait polémique autour des droits de la famille Trabelsi qui seraient bafoués. Cette belle-famille de l’ancien président décédé Zine El Abidine Ben Ali, devenue une oligarchie, qui avait bouleversé le rapport à la politique et à l’argent en Tunisie, faisant la pluie et le beau temps, et exerçant un monopole de fait sur une partie non négligeable de l’économie tunisienne. Certains observateurs avaient émis alors l’hypothèse que le clan, pour avoir régné sans partage pendant près de deux décennies, ferait l’objet de vengeance sans fin et de règlements de comptes.
Bassem Trifi, président de la ligue tunisienne des droits de l’homme, sollicité par La Presse, affirme ne pas avoir connaissance des derniers rebondissements des affaires concernant Imed Trabelsi et l’ensemble du clan des Trabelsi, et préfère donc ne pas s’exprimer. Interrogé sur l’aspect des droits de l’homme dans le traitement des affaires de justice de cette famille, Bassem Trifi estime qu’on ne peut pas se prononcer sur cet aspect, tant qu’on ne dispose pas de toutes les données. «Il est à mon avis impossible de s’exprimer sur ces affaires, il faut les prendre au cas par cas pour, pouvoir donner son avis même sur le plan des droits humains, or nous ne disposons pas actuellement de tous les éléments dans ces affaires», explique-t-il.
Les procédures ont été gelées
Egalement joint par La Presse, Mabrouk Korchid, avocat et ancien ministre des Domaines de l’Etat dont le témoignage est essentiel dans l’affaire de la restitution des fonds de la famille de l’ancien président de la République, sa réponse est catégorique. Selon lui, ni la famille Ben Ali ni la famille Trabelsi n’ont bénéficié d’une justice équitable. «Il suffit de rappeler que le fils de Ben Ali, à l’époque mineur, était poursuivi par la justice tunisienne pour les biens qu’il possède, un précédent !», explique-t-il. L’ancien député rappelle, également, que sur le plan international, les décisions de justice allaient à l’encontre des procès en Tunisie. «La preuve est que ces personnes, à l’égard desquelles je n’éprouve aucun sentiment de compassion, n’ont pas été extradées en Tunisie, tant que les conditions de procès équitables n’ont pas été réunies, et c’était justement le cas de Belhassan Trabelsi», soutient-il.
S’agissant de la demande de réconciliation pénale de Imed Trabelsi, Korchid rappelle qu’elle remonte à l’ère où il était lui-même encore ministre et que cette procédure avait été entravée par l’ancienne présidente de l’Instance vérité et Dignité, Sihem Ben Sedrine. «A l’époque, nous avons requis près de 400 millions de dinars pour qu’il puisse bénéficier de ce processus, mais les procédures ont été gelées par Ben Sedrine elle-même», détaille-t-il.
La réconciliation pénale, le temps est-il venu ?
L’autre principale figure de la famille Trabelsi, le beau-frère de l’ancien président, feu Zine El Abidine Ben Ali, Belhassen Trabelsi connaît, lui, un autre sort. Il est parvenu à prendre la fuite dans la foulée des événements de la révolution et vit en exil depuis 2011, échappant ainsi à la justice tunisienne.
Condamné à plusieurs reprises en Tunisie, Belhassen Trabelsi accumule les forfaits. Divers crimes financiers, dont notamment la vente d’actions de la compagnie Tunisair, avec un mécanisme installé, surfacturation au sein de la société Tunisie Sucre. Belhassan Trabelsi avait été condamné par contumace à 33 ans de prison ferme. La Tunisie avait formulé alors une demande d’extradition, sauf que la justice française insiste sur la question des risques de maltraitance et de possibles règlements de comptes.
Si leur règne est bel et bien révolu, les Trabelsi auront longtemps, à leur manière, bouleversé les rapports de force sur la scène politique, économique et le milieu des affaires. Aujourd’hui, il est évident que le processus de restitution des fonds spoliés n’a pas abouti. La commission de réconciliation pénale est appelée à jouer pleinement son rôle en vue de traiter des dizaines de dossiers et garantir des recettes non négligeables au profit des caisses de l’Etat.
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